ANTAKYA: Dans la vieille ville d'Antakya (sud), un secouriste volontaire turc descend d'un tas de gravats en hurlant, traînant derrière lui un homme au visage ensanglanté: "C'est un Syrien, il volait!"
La haine anti-Syriens a atteint son paroxysme en Turquie depuis le séisme du 6 février, qui a fait près de 40 000 morts et des milliers de sans-abri dans le sud et sud-est du pays.
La scène se répète quelques minutes plus tard au même endroit. Un homme portant une chasuble fluorescente de secouriste en rudoie un autre, qui tient dans une main un sac en plastique noir à moitié rempli. Lui aussi est accusé d'être un pillard.
Dans la petite foule qui se presse pour assister à l'incident, une jeune femme turque les défend: "Ce sont mes employés, nous avons la permission d'aller récupérer mes affaires dans mon commerce", lance-t-elle, ce que confirment des gendarmes arrivés sur place.
En vain. Depuis le tremblement de terre, un rien suffit à mettre le feu aux poudres: "Alors que des gens crient sous les ruines, ces salauds en ont après leurs biens", s'égosille Ibrahim Igir, l'un des assaillants.
"Et quand nous allons dans les villages pour leur apporter de l'aide, ils fument le narguilé!", tonne-t-il.
La Turquie accueille 3,7 millions de réfugiés syriens ayant fui la guerre qui ravage leur pays depuis 2011, selon le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR).
Dans la province de Hatay et celle de Gaziantep, toutes deux frontalières de la Syrie, près de 20% de la population est syrienne.
Le racisme anti-Syriens a cru ces dernières années en Turquie, nourri par la crise économique qui a transformé les réfugiés en boucs émissaires pour une partie de la population.
L'approche des élections présidentielle et législatives -- officiellement toujours prévues en mai -- a fait de leur accueil un sujet plus brûlant encore, obligeant le président Recep Tayyip Erdogan, sous la pression de l'opposition, à promettre le retour chez eux d'un million de Syriens - sur la base du volontariat, assure-t-il.
«Toujours coupables»
Interrogés sur le regain de haine à leur égard, beaucoup font profil bas.
Muhammed Bekir, arrivé en Turquie il y a onze ans, et qui vit depuis le séisme dans une tente avec 26 autres personnes, affirme à l'AFP "ne rien savoir" des accusations dont lui et ses compatriotes font l'objet.
Dans un autre camp d'Antakya, où des tentes de l'ONU côtoient celles de l'Afad, l'organisme public turc de gestion des catastrophes, les langues se délient.
"Les premières personnes à avoir pillé les boutiques étaient des Turcs. Mais ça, personne ne le dit", dénonce Ouadda, un jeune père de 35 ans qui travaille dans le BTP.
"Les Syriens sont toujours les coupables ici. Ce n'est pas notre patrie, alors ils peuvent nous accuser de tout !", souffle-t-il.
Cent kilomètres plus au nord à Islahiye, un district de la province de Gaziantep, également dévasté par le séisme, le débat est tout aussi enflammé.
Dans la nuit du séisme, quand des milliers d'immeubles se sont effondrés, Ahmad Salami s'est précipité pour extraire des survivants des décombres, raconte-t-il à l'AFP devant une tente blanche où il vit désormais avec sa femme et ses cinq enfants.
"Nous avons sorti vingt personnes vivantes le premier jour, neuf Syriens et onze Turcs", affirme le trentenaire, réfugié originaire de Hama, dans le centre de la Syrie.
"Certains Turcs disent que nous volons. Mais nous ne sommes pas allés dans les décombres pour voler! Seulement pour aider les gens", se défend-il, son bébé de onze mois dans les bras.
Au milieu des bâtiments en ruine, Baki Evren, 43 ans, l'affirme tout de go: "Les Turcs cherchent à sauver des vies mais les Syriens cherchent de l'argent, de l'or !"
"Quand les Syriens sont arrivés en Turquie, (les autorités) leur ont donné des tentes, des ventilateurs (...) Nous, nous n'avons reçu de quoi nous chauffer qu'hier", poursuit-il.
"Occupons-nous d'abord de nos propres citoyens (...) Nous ne pouvons aider que nous-mêmes !", renchérit Rahsan, habitante d'Islahiye, doudoune noire sans manche et fichu blanc brodé de fleurs.
Ahmad Salami veut toutefois relativiser.
"Certains Turcs ne nous aiment pas. Ils demandent +Qu'est-ce vous faites ici ? Retournez en Syrie !+. Mais ils sont peu nombreux... Peut-être 5% ", estime-t-il.
"Nous vivions tous ensemble ici. Nous payions des loyers. Nous vivions comme des Turcs", rappelle-t-il.