PARIS: Pénibilité, carrières morcelées, faibles salaires et forte féminisation: la réforme des retraites inquiète les travailleurs du nettoyage qui se sentent toujours plus exposés.
"Je suis obligée de continuer de travailler, j'espère que je vais pouvoir, avec ma santé." Khadija Achtouk est agent de service dans un collège d'Argenteuil (Val d'Oise) en banlieue parisienne. A bientôt 60 ans, cette ancienne assistante maternelle et agent d'entretien dans une clinique, mère célibataire de deux enfants, a eu une carrière en dents de scie. "J'ai fait le calcul. Si je m'arrête à 64 ans, je n'aurai que 450 euros par mois", s'alarme-t-elle auprès de l'AFP.
Les travailleurs comme Khadija, qui exercent des métiers du nettoyage, représentent 8% de l'ensemble des salariés français, selon des chiffres de 2019 de la Dares, le service statistique du ministère du Travail. Parmi eux, 41% sont employés auprès de particuliers, 36% sont agents de service, 23% exercent en entreprise. Huit emplois sur dix sont occupés par des femmes, 44% par des non-diplômés, 20% par des immigrés. Age moyen: 46 ans.
Tous subissent une exposition aux risques physiques plus fréquente, constate cette étude qui cite un travail plus souvent répétitif, des postures pénibles, une exposition aux mauvaises odeurs, à la saleté, aux risques chimiques et infectieux plus importante.
Cinq jours par semaine de 06H30 à 14H00, Khadija nettoie les salles de classe avant l'arrivée des élèves, prépare les repas, aide au service et enfin fait le ménage de la cuisine et du réfectoire. "Monter les chaises sur les tables pour nettoyer le sol, les descendre pour préparer les tables, porter les paniers contenant les verres, les bacs remplis de légumes, c'est très lourd", confie-t-elle, même si "physiquement, pour l'instant ça va."
Exposition aux risques
Le projet de réforme des retraites suscite beaucoup d'inquiétudes parmi ces salariés pour qui les conditions de travail et d'emploi "demeurent plus difficiles que celles des autres salariés non qualifiés", selon la Dares.
Nicki Menaj est le pseudonyme de l'auteure du blog "La vie d'une femme de ménage". Travaillant chez des particuliers, elle est obligée de porter en permanence une ceinture après deux hernies discales. "Quand je pense qu'ils veulent nous faire travailler jusqu'à 64 ans, je me demande comment je ferai", écrit-elle dans un de ses billets récents.
"C'est très compliqué de repérer les effets précis qu'aura cette réforme des retraites" mais "ce qui est certain c'est que les caractéristiques de ces salariés-là les exposent à des difficultés au moment de leur retraite", estime l'économiste François-Xavier Devetter, coauteur avec Julie Valentin de "Deux millions de travailleurs et des poussières" (Les Petits Matins, 2021), une étude consacrée aux métiers du nettoyage.
"La faiblesse de leurs salaires, liée au temps partiel, conduit à une retraite de base faible" et "plus la carrière est hachée, plus les difficultés seront grandes à avoir le nombre suffisant de trimestres", ajoute l'universitaire lillois.
Pour Julie Valentin (Paris-1), "ce sont des salariés particulièrement défavorisés et la retraite étant construite comme une logique contributive, ces inégalités sont reproduites et pas améliorées".
"Quand le gouvernement dit que sa réforme produit une amélioration pour les salariés les plus vulnérables à travers une augmentation du minimum contributif, le point central est: qui remplira les conditions pour accéder au minimum contributif?", souligne-t-elle. Elle rappelle que pour percevoir ce minimum, "il faut avoir l'ensemble de ses trimestres. Or, on parle ici de carrières fragmentées".
Toujours selon la Dares, plus de la moitié des postes des salariés du nettoyage "sont occupés à temps partiel et près de deux sur dix ont des temps de travail morcelés au cours de la journée".