PARIS : Journalistes, défenseurs des droits, « gilets jaunes », plusieurs milliers de personnes ont manifesté samedi en France pour dénoncer une loi qui réprime la diffusion malveillante d'images montrant des agents des forces de l'ordre, qualifiée par les contestataires d'atteinte « à la liberté d'expression » et à « l'Etat de droit ».
Une vingtaine de manifestations à travers le pays ont réuni quelque 22.000 personnes, dont 7.000 à Paris, 2.000 à Marseille et 1.300 à Montpellier, selon la préfecture de police de Paris (PP).
Dans la capitale, des milliers de manifestants se sont réunis dans le calme place du Trocadéro dans l'après-midi pour dire leurs craintes face à cette proposition de loi qui encadre notamment la diffusion d'images des forces de l'ordre.
En fin d'après-midi, après l'ordre de dispersion diffusé par les forces de l'ordre, la tension est toutefois peu à peu montée sur la place parisienne.
Des poubelles ont été incendiées et une petite dizaine de manifestants ont jeté des projectiles sur les forces de l'ordre qui ont répliqué en faisant usage de canons à eau et en chargeant.
A Lille (nord), un millier de manifestants brandissaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire: « Même pas drone » ou « Orwell was right ». Ils étaient un millier aussi à Rennes (Bretagne, ouest), idem à Montpellier (sud). Parmi les slogans: « baissez vos armes, nous baisserons nos téléphones ».
Le parlement a voté, vendredi, une loi sur la « sécurité globale » contenant un passage très controversé, l'article 24, qui encadre la diffusion d'images sur lesquelles apparaissent des policiers, même si un amendement l'a assorti de garanties sur le « droit d'informer ».
Cet article mais aussi l'utilisation possible de drones pendant les manifestations et de la reconnaissance faciale via les caméras de surveillance ont suscité une intense émotion dans les médias, qui y voient un risque d'entrave à la liberté d'informer.
« La démocratie meurt dans l'obscurité" », dénonçait à Paris une banderole du journal d'information en ligne Mediapart, côtoyant une autre du groupe « Extinction Rebellion » et des drapeaux du Parti communiste ou des écologistes.
« Darmacron (un jeu de mots avec les noms du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin et du président Emmanuel Macron, ndlr) nous insécurisent », était-il écrit sur une pancarte. Parmi les slogans repris en boucle: « tout le monde veut filmer la police ! » et « la rue, elle est à nous ! »
« Nous sommes inquiets de la lente déliquescence de l'Etat de droit, qui semble mener à un Etat de police », a renchéri l'avocat Arié Alimi, membre du bureau national de la Ligue des droits de l'Homme, au cours d'une conférence de presse aux côtés d'Amnesty International, de syndicats de journalistes et d'un syndicat de policiers minoritaire (CGT-Intérieur).
Pour les représentants des journalistes, pas besoin d'une nouvelle loi « pour faire peur », le code pénal et la loi sur la liberté de la presse de 1881 punissant déjà l'incitation à la haine.
L'article litigieux rend passible d'un an de prison et de 45.000 euros d'amende la diffusion de « l'image du visage ou tout autre élément d'identification » de policiers ou de gendarmes en intervention quand elle porte « atteinte » à leur « intégrité physique ou psychique ».
L'amendement gouvernemental réécrivant cet article 24, adopté par 146 voix contre 24 vendredi soir, spécifie que la mesure ne peut porter « préjudice au droit d'informer », et que l'intention malveillante contre les forces de l'ordre doit être « manifeste ».