Le 9e Forum stratégique d'Abu Dhabi, organisé les 14 et 15 novembre par l’Emirates Policy Center, a été l’occasion d’évaluer et d’examiner l'état des relations internationales dans une période cruciale de l'évolution de l'ordre mondial.
Trois points saillants ont émergé des débats fort instructifs qui se sont déroulés dans l’institution émiratie.
Deux conceptions antinomiques de l'ordre mondial se sont affrontées: une approche libérale formelle et légaliste (prônée par les Occidentaux), qui se tient au principe sacro-saint de la souveraineté des nations indépendantes comme gage de sécurité collective universelle, et une approche dynamique et constructiviste.
Le premier avait trait aux rapports conflictuels entre les puissances internationales engagées dans la guerre d'Ukraine. Cette confrontation, qui a accaparé l'intérêt des participants du forum d'Abu Dhabi, ne saurait se limiter aux belligérants présents sur le front. Au contraire, elle affecte l'ensemble des acteurs de la scène internationale.
Deux conceptions antinomiques de l'ordre mondial se sont affrontées: une approche libérale formelle et légaliste (prônée par les Occidentaux), qui se tient au principe sacro-saint de la souveraineté des nations indépendantes comme gage de sécurité collective universelle, et une approche dynamique et constructiviste, qui procède des droits historiques et des intérêts géopolitiques substantiels d'une Russie en quête d'hégémonie sur son espace eurasiatique.
La vision russe des relations internationales se fonde en effet sur une approche nationaliste forte qui établit une différence capitale entre les formations étatiques et les identités ethniques et culturelles. Ces dernières exigent, dans des cas exceptionnels et décisifs, des politiques d'intervention et d'ingérence qui participent d'une logique différente du formalisme juridique qui est à l'œuvre dans la diplomatie internationale au sens libéral.
Dans cette optique, la Russie, définie en tant que nation impériale et non comme un État national réduit et restreint, a le droit et le devoir de protéger sa nation étendue à son espace vital large. Cette théorie est développée par le philosophe Alexandre Douguine, un proche du chef du Kremlin. La guerre de l'Ukraine, vue sous cet angle, n’apparaît donc nullement une entorse au droit international consensuel, mais une mesure de défense légitime face à une agression extérieure qui vise à enfermer la Russie dans des frontières factices et illusoires qui lui ont été imposées dans des circonstances de contrainte et de faiblesse.
Pour les Occidentaux, en revanche, défendre l'ordre libéral mondial est à la fois une exigence normative et sécuritaire dont dépendent la stabilité et le bon fonctionnement des relations internationales.
Un haut diplomate européen qui participait au forum d'Abu Dhabi m'a confié avec sincérité et franchise que les pays du golfe Arabique avaient démontré lors de la dernière crise ukrainienne une grande sagesse pratique dans le traitement de ce dossier épineux.
Le deuxième point concernait la montée en puissance de la Chine, l'un des thèmes les plus abordés lors du forum. S'il s'avère discutable et prématuré de parler du «nouveau siècle chinois» après la fin de l'hégémonie occidentale, l'essor de cette puissance est une donnée sûre et inéluctable que nul ne peut occulter. Il y a lieu de noter ici que la stratégie de puissance chinoise ne relève pas d'une approche classique d'hégémonie ni d’un prosélytisme de valeurs ou de modèle politique ou culturel; elle vise plutôt l'intégration pleine et réussie dans la dynamique de mondialisation qui est l'horizon universel de la force émergente de l'empire du Milieu.
Le troisième point concernait les stratégies et les visions des puissances moyen-orientales, et en particulier du monde arabe, avec le poids désormais décisif des pays du Golfe, l'Iran qui s'enfonce dans les méandres des dissensions internes et une Turquie en voie de révision de ses priorités et de ses politiques régionales.
Le conseiller diplomatique du chef d'État émirati, Anwar Gargash, a exposé avec brio la vision stratégique de son pays, qui se fond avec l'approche globale du noyau dur du monde arabe. Cette vision s'articule autour des principes d'équilibre, de modération, de partenariat diversifié et d'ouverture sur les différents pôles de puissance et d'influence de l'échiquier mondial.
Il en découle une rupture avec la politique de suivisme systématique et d'alliance monolithique ainsi que le repositionnement géopolitique autonome et souverain en fonction des intérêts nationaux.
Un haut diplomate européen qui participait au forum d'Abu Dhabi m'a confié avec sincérité et franchise que les pays du golfe Arabique avaient démontré lors de la dernière crise ukrainienne une grande sagesse pratique dans le traitement de ce dossier épineux. S'ils ont refusé avec netteté l'agression russe au nom du droit international, qui est la garantie ultime de la sécurité mondiale, ils ont réussi le pari difficile d’une neutralité positive dans un conflit d’une grande intensité; ils sont donc devenus incontournables aujourd'hui pour la résolution de la crise la plus grave depuis la fin de la guerre froide.
Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
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NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français