TUNIS: Bisannuel depuis sa création et jusqu’en 2014, le plus ancien festival du cinéma du monde arabe et d’Afrique le redevient. Sauf que certaines voix s’élèvent pour dire que ce n’est pas la solution idoine aux problèmes qui ont émaillé la 33e édition de cette manifestation.
Pour un grand nombre de Tunisiens, la 33e édition des Journées cinématographiques de Carthage (JCC) a été un véritable flop. L’affaire a pris de telles proportions que le président de la république, Kaïs Saïed, a cru devoir s’en mêler. À peine les lampions du plus ancien festival du cinéma du monde arabe et d’Afrique éteints, il a convoqué la ministre de la Culture, Hayet Guettat Guermazi, pour lui dire sa désapprobation de «pratiques qui ont fait dévier les JCC de leurs objectifs».
De quelles pratiques s’agit-il? La ministre de la Culture qui a annoncé, après sa rencontre avec le président, la décision de revenir à l’organisation bisannuelle des JCC, n’en a pipé mot.
En plus des récurrents problèmes d’organisation imputables en partie à l’engouement des Tunisiens pour ce festival – difficulté à obtenir des billets, bousculades, etc. – plusieurs faits inhabituels se sont produits au cours de cette 33e édition.
D’abord, la politique a pour la première fois fait irruption dans les JCC. Un groupe de militants portant des tee-shirts à l’effigie d’Issam Bouguerra a profité de l’événement pour réclamer la libération de ce réalisateur emprisonné depuis le 24 août 2021 pour détention et consommation de cannabis.
Ensuite, et c’est ce qui a choqué une opinion publique connue pour être majoritairement conservatrice, le tapis rouge des JCC a vu défiler ce que le site Web Business News appelle pudiquement «certaines personnalités jugées indésirables» et des «minorités qui ne devraient pourtant pas s’exhiber sur la place publique, mais rester tapies dans l’ombre», en raison de leur orientation sexuelle.
Malgré ces plaintes, plusieurs voix se sont élevées pour désapprouver la décision d’en revenir à une organisation bisannuelle des JCC. Dora Bouchoucha fait partie de ceux qui ont écrit une tribune dans le quotidien gouvernemental La Presse de Tunisie. Ancienne directrice du festival, qu’elle a dirigé à trois reprises et qui a fait des JCC un événement annuel à partir de 2014, elle estime que «revenir sur l’annualité des JCC après huit ans pour résoudre les problèmes structurels du festival est une aberration». Car, rappelle-t-elle, «quand feu Tahar Cheriaa a fondé le festival en 1966 sous la forme d’une biennale, c’est parce qu’à l’époque, les productions arabes et africaines étaient trop rares pour en offrir une vitrine annuelle. Or, aujourd’hui, la production de ces régions est non seulement de qualité, mais en si grand nombre que plusieurs festivals concurrents aux JCC ont vu le jour dans le monde arabe avec de gros moyens et des récompenses très attrayantes.» Autrement dit, des JCC tous les deux ans, ce serait du pur gâchis!
De surcroît, Mme Bouchoucha, qui ne semble pas dérangée par les «dérapages» qui ont choqué bon nombre de Tunisiens, note que pendant les premières années de son existence, le tapis rouge «a été foulé par de grandes et grands comédiens et cinéastes venus du cinéma local, régional et international sans jamais dévier les JCC de leurs “fondamentaux”, mais leur apportant une touche moderne et un regard tourné vers l’avenir et plus particulièrement vers la jeunesse». Elle estime enfin que «le festif et l’engagé» ne sont pas antinomiques. Et si, désormais, le débat initial a dévié pour être nivelé par le bas, «ce malheureux tapis rouge n’en est pas responsable».