Des missiles ont atterri dans le sud-est de la Pologne la semaine dernière, tuant deux personnes à seulement six kilomètres de la frontière avec l’Ukraine. La panique collective a alors régné. On a redouté que l’Otan puisse être entraînée directement dans la guerre si la Russie est tenue responsable et que la Pologne invoque l’article 5, une clause de légitime défense qui stipule qu’une attaque contre un membre de l’alliance est une attaque contre tous les membres.
Cet incident s’est produit le jour où plus de quatre-vingt-dix missiles russes sont tombés sur l’Ukraine. Kiev affirme que ces missiles provenaient de Russie, mais l’Otan conclut qu’il s’agit probablement d’un missile de défense aérienne ukrainien, peut-être un S-300 de fabrication russe. Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Otan, déclare: «Ce n’est pas la faute de l’Ukraine. La responsabilité finale incombe à la Russie, puisqu’elle poursuit sa guerre illégale contre l’Ukraine.»
Les tensions se sont finalement apaisées. Mais est-ce que ce sera toujours le cas? Il aurait été trop facile de riposter hâtivement, comme beaucoup le réclamaient dans les médias.
L’Ukraine pointe toujours du doigt la Russie. Le président Volodymyr Zelensky soutient que ses principaux commandants militaires sont sûrs que «ni nos missiles ni nos tirs» ne sont à l’origine de l’incident. Dans un appel vidéo au G20, M. Zelensky affirme qu’il s’agit d’«un véritable message envoyé par la Russie au sommet du G20».
Certains pensent toujours que l’Otan n’est pas disposée à publier la vérité sur le tir par crainte d’une escalade avec la Russie. Et si la Pologne réussissait à invoquer l’article 5 en les incitant tous à mener une guerre contre Moscou?
La tragédie des missiles rappelle à quel point la guerre russo-ukrainienne est dangereuse. Au cours des neuf derniers mois, nous avons eu des menaces tacites d’armes nucléaires, des activités militaires dangereuses autour des centrales nucléaires et des attaques majeures contre des infrastructures civiles. L’économie mondiale a été malmenée. Les denrées alimentaires essentielles, comme les céréales et l’huile de tournesol, se sont raréfiées. Que nous réserve de plus l’avenir?
Les deux parties espèrent qu’un changement aura lieu au cours de l’hiver. Pourra-t-on alors concevoir une solution négociée? L’Ukraine peut encore nourrir l’ambition de repousser les forces russes plus loin, puisqu’elle a repris la province de Kharkiv en septembre et récupéré Kherson plus récemment, éloignant les troupes russes jusqu’à l’est du fleuve Dniepr. La Russie s’attend peut-être à ce que les partisans de l’Ukraine perdent courage à l’approche de l’hiver, que l’approvisionnement en gaz s’épuise et que l’inflation monte en flèche. Les commandants ukrainiens se méfient de toute démarche vers un cessez-le-feu, puisque cela donnerait aux forces russes une occasion majeure de recharger leurs batteries et de se regrouper.
Beaucoup se demandent si le président Vladimir Poutine sera disposé à présenter des propositions de pourparlers sérieuses et viables. C’est un leader fier à la tête d’une nation fière. Il se sentira humilié de perdre Kherson et Kharkiv, qui font partie des quatre régions que le dirigeant russe a officiellement annexées à la Russie il y a à peine deux mois. Par ailleurs, il se remet à peine de l’attaque du 8 octobre contre le pont de Kertch, qui relie la Crimée à la Russie.
Le président Zelensky doit également faire attention à ne pas s’emballer. Les forces ukrainiennes se sont battues avec bravoure, infligeant des échecs douloureux à leurs ennemis russes. Leurs pertes ont été énormes – les deux camps ayant perdu plus de cent mille soldats. Des millions de personnes sont désormais des réfugiés ou ont été déplacées. À l’heure actuelle, la Russie cible les réseaux électriques ukrainiens, puisqu’elle dispose déjà d’autres parties de l’infrastructure ukrainienne. Ce sera un hiver glacial, voire mortel, pour de nombreuses personnes.
Il aurait été trop facile de riposter hâtivement, comme beaucoup le réclamaient dans les médias.
Chris Doyle
Le président ukrainien ne peut pas non plus compter sur un soutien occidental éternel. La détresse économique et l’impatience se font déjà ressentir. L’effort de guerre nécessite des approvisionnements constants en armes et en armements. Le nouveau chef de la Chambre des représentants, aux États-Unis, est catégorique: l’ère des chèques américains en blanc ne peut être garantie. De nombreux États européens pourraient également vouloir augmenter leurs propres dépenses de défense.
Mais la Russie est un adversaire de taille. Une victoire totale, si elle est possible, aurait un prix colossal – et, d’ailleurs, combien de temps nécessitera-t-elle? Une Russie blessée aurait beaucoup de rancœur. À un moment donné, le président ukrainien a exclu toute négociation avec la Russie tant que Vladimir Poutine est au pouvoir, mais est-ce réaliste? La dernière position de M. Zelensky sur les pourparlers ne mentionnait pas de veto relatif à une discussion avec le président russe. C’est une décision sage. Ses exigences sont passées de l’insistance sur le retrait des forces russes des territoires pris en février de cette année à l’inclusion de la Crimée et du Donbass.
Le président Zelensky, tout comme Vladimir Poutine, devra évaluer de manière approfondie l’opinion publique en créant un équilibre entre le désir ardent de mettre fin à la guerre et l’ambition de réaffirmer une indépendance totale sur l’ensemble du territoire de son pays. Combien espère-t-il vraiment obtenir de la Russie en termes d’indemnisation? Il veut peut-être que les dirigeants russes soient jugés pour crimes de guerre, mais, encore une fois, cela semble loin.
Le sommet du G20 à Bali a donné quelques indications sur le climat diplomatique. Le président russe n’y a pas participé. La majorité était opposée à l’agression russe, mais la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud ont adopté des positions plus neutres et n’ont pas imposé de sanctions. D’autres peuvent servir d’intermédiaires, comme la Turquie, l’Indonésie et même le Mexique. La Turquie a essayé de jouer ce rôle plus tôt dans le conflit. Beaucoup se demandent encore si le président Recep Tayyip Erdogan peut influencer son homologue russe pour qu’il retire ses forces.
La déclaration de clôture du sommet était une condamnation claire. Elle condamne «avec la plus grande fermeté l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine» et exige «son retrait complet et inconditionnel du territoire ukrainien». Dès le début, les dirigeants russes ont été surpris par la quasi-unité des puissances européennes et d’autres pays contre eux.
Cette guerre a duré trop longtemps. Il ne faudrait surtout pas qu’elle devienne une guerre sans fin, écrasant de façon permanente l’économie mondiale et plongeant le monde dans un état d’insécurité accrue. Sur le terrain, l’Ukraine progresse peut-être à l'heure actuelle, mais, malheureusement, les choses peuvent facilement s’aggraver, comme le montre le tir de missiles en Pologne. Les grandes puissances ne doivent pas être complaisantes. C’est pourquoi il faudrait à tout prix trouver une solution élégante et efficace qui doit respecter les droits souverains de l’Ukraine, sans pour autant récompenser l’envahisseur, tout en rassurant les Russes qui redoutent l’expansion de l’Otan et de l’Union européenne.
Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, situé à Londres.
Twitter: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com