Lors du sommet du dialogue de Manama la semaine dernière, j’ai été frappée par des déclarations inhabituellement alarmistes de la part de responsables occidentaux concernant la menace géopolitique que pose l’Iran.
Il conviendrait de s’attarder sur les propos de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Elle déclare: «Plusieurs pays du Golfe mettent en garde depuis des années contre le risque que l’Iran approvisionne des États parias du monde entier en drones. Il nous a fallu trop de temps pour comprendre un fait pourtant très simple: pendant que nous œuvrons à empêcher l’Iran de développer des armes nucléaires, nous devons également nous concentrer sur d’autres formes de prolifération d’armes – des drones aux missiles balistiques. C’est un risque pour la sécurité, non seulement du Moyen-Orient, mais de nous tous.»
Ces propos remarquables reconnaissent tacitement que l’Occident a systématiquement choisi d’ignorer les avertissements concernant les programmes iraniens de missiles balistiques et de drones, ainsi que la menace posée par les armées paramilitaires régionales parrainées par l’Iran.
Ce qui a changé, ces dernières semaines, c’est que des drones et des missiles iraniens ont été utilisés pour anéantir les installations électriques et les infrastructures civiles d’un État européen, l’Ukraine. Outre les importantes pertes humaines, des dizaines de millions de personnes risquent de se retrouver sans chauffage ni électricité pendant la période hivernale. Il s’agit là d’une conséquence directe des programmes d’armement iraniens.
Comme l’a rappelé le sous-secrétaire d’État américain à la Défense, Colin Kahl, à Bahreïn: les activités nucléaires de l’Iran sont désormais «à leur stade le plus avancé». Téhéran a été autorisé à constituer son arsenal et à le distribuer à ses mandataires «malgré des années de sanctions». Des drones et des missiles iraniens ont été utilisés pour attaquer des navires du Golfe ces derniers jours, notamment des frappes de missiles contre un pétrolier dans le golfe d’Oman.
Des centaines de missiles de fabrication iranienne ont attaqué des cibles économiques et civiles dans toute la péninsule Arabique. Les munitions et les milices iraniennes ont tué des dizaines de milliers de Yéménites et de Syriens innocents.
Ursula Von der Leyen avertit que l’Iran et la Russie sapent conjointement les règles de l’ordre mondial, ajoutant: «Où se situent les limites, si ces actions ne sont pas contestées? L’Histoire montre qu’il s’agit d’une recette pour la guerre perpétuelle. C’est une recette pour les courses aux armements et la prolifération d’armes de destruction massive.»
«Nous avons le droit de savoir si l’Occident possède ou non une véritable stratégie pour faire face à Téhéran.» - Baria Alamuddin
L’Iran possède de loin les programmes de drones, de missiles balistiques et de croisière les plus importants de la région. Les experts craignent que les leçons que l'Iran tire de l'utilisation de ces armes contre des civils en Ukraine ne lui permettent d'accroître leur précision et leur pouvoir meurtrier.
À Bahreïn, le responsable du Conseil de sécurité nationale des États-Unis, Brett McGurk, décrit un «changement radical dans la manière dont le monde perçoit l’Iran» ces dernières semaines. «Les armes fournies par l’Iran menacent toute la région», déclare le ministre britannique des Affaires étrangères, James Cleverly, lors du sommet de Manama, comme s’il révélait une vérité cachée que son gouvernement venait tout juste de découvrir. Il ajoute: «Le régime a vendu à la Russie des drones armés qui tuent des civils en Ukraine.» Un bon point pour avoir énoncé l’évidence, mais quelles en seront les conséquences pour le régime théocratique de Téhéran? Sans critiquer pour le simple plaisir de critiquer, nous avons le droit de savoir si l’Occident possède ou non une véritable stratégie pour faire face à Téhéran.
Pour ce qui est des questions que j’ai posées aux responsables européens – y compris les ministres des Affaires étrangères finlandais et allemand – sur les mesures spécifiques qui pourraient être prises, ils se sont montrés particulièrement évasifs, au-delà des récentes sanctions contre les responsables iraniens impliqués dans la répression violente des manifestants. La ministre allemande a parlé d’augmenter les sanctions, alors qu’il s’agit d’un régime qui se nourrit de confrontation et d’isolement. Les sanctions contre le secteur pétrolier légitime n’ont fait qu'enrichir le régime en permettant à des entités comme le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) de monopoliser la contrebande de pétrole, de drogue, d’armes et de toute une série d’autres marchandises.
L’exportation d’armes depuis l’Iran viole les sanctions internationales, de sorte que la communauté internationale est obligée de prendre des mesures pour empêcher un tel mouvement d’armes, notamment des mesures potentielles telles que les contrôles sur les vols non civils entre l’Iran et la Russie ou l’inculpation des deux États pour crimes de guerre. Les États européens pourraient en outre réduire ou suspendre les relations diplomatiques avec l’Iran ou interrompre les vols et les activités commerciales.
Contre toute attente, les manifestations se poursuivent en Iran après plus de deux mois. Les tensions sont de plus en plus violentes, avec plusieurs centaines de morts, dont au moins cinquante-huit enfants.
Quelque quinze mille personnes ont été arrêtées et plusieurs d’entre elles déjà condamnées à mort, mais cela n’a guère dissuadé les courageux manifestants qui veulent à tout prix renverser le régime. Des partisans de la ligne dure comme l’ayatollah Ahmad Khatami ont encouragé le recours généralisé à la peine de mort, exigeant que la justice se mobilise «contre tous ces criminels».
Après une fusillade dans la ville d’Izeh, au sud-ouest de l’Iran, une fausse information a été diffusée, visant à impliquer Daech dans l’incident. Cela s’inscrit dans le cadre des efforts calculés du régime pour discréditer les manifestants et les faire passer pour des terroristes et des extrémistes. Des efforts similaires ont été déployés afin de discréditer les manifestants dans les régions kurdes. En réalité, les seuls terroristes et extrémistes sont ceux chargés de diriger le pays.
J’ai demandé à plusieurs responsables occidentaux pourquoi la communauté internationale ne faisait pas plus d’efforts pour soutenir les manifestants et, dans de nombreux cas, la réponse a été que cela permettrait au régime de prétendre que ce soulèvement est soutenu par l’étranger. Pourtant, le régime prétend constamment que tel est le cas, ce qui ne ferait aucune différence.
Alors que les responsables occidentaux commencent à reconnaître la menace que représente l’Iran, leur objectif ne devrait pas se limiter à un changement de comportement. Cela fait désormais deux décennies que des efforts diplomatiques consolidés sont fournis afin de mettre fin au programme nucléaire militaire du régime. Quels sont les résultats concrets? Le régime des mollahs est sur le point de fabriquer des bombes atomiques, les négociations ont complètement échoué et la coopération avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a pratiquement cessé.
Le problème majeur est que, malgré toutes les promesses occidentales de «partenariat» présentées à Manama, la rupture répétée des engagements a gravement ébranlé la confiance des États du Golfe. Les actions, et non les mots, sont le seul moyen de changer cela. Parmi les exemples d’actions tangibles, citons les initiatives discutées à Manama par le général Michael Kurilla, commandant du Commandement central américain. Il évoque le déploiement prévu d’une flotte de plus de cent navires sans pilote pour effectuer des patrouilles sur les mers et d’un programme pilote pour cibler les drones ennemis.
L’Occident croit-il vraiment que Téhéran cessera de vendre des missiles et des drones à la Russie alors que ce régime a la réputation d’exporter des armes à des militants, des insurgés et des régimes parias à travers l’Afrique et l’Asie? Il est également difficile d'imaginer comment le secteur militaire iranien va investir cette énorme manne financière provenant des Russes et d'autres clients.
L’Occident doit s’engager pleinement pour renverser ce régime criminel et terroriste. La région, le monde et les Iraniens eux-mêmes ne connaîtront pas la stabilité tant que ces théocrates brutaux resteront au pouvoir.
Il est réconfortant d'entendre les hauts responsables occidentaux commencer à reconnaître cette réalité. Mais assez de rhétorique vide. Que vont-ils réellement faire à ce sujet?
Baria Alamuddin est une journaliste primée et une présentatrice au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. C’est la rédactrice en chef du syndicat des services de médias. Elle a déjà interviewé un grand nombre de chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com