TUNIS: Une trentaine de dirigeants, dont le Français Emmanuel Macron et le Canadien Justin Trudeau, se réunissent ce weekend en Tunisie pour le sommet de la Francophonie, "un succès" diplomatique pour le président Kais Saied, seize mois après son coup de force.
Ce 18e sommet de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), sur l'île de Djerba, célèbrera les cinquante ans d'une organisation de 88 membres dont la Tunisie fut l'un des pays fondateurs sous son président Habib Bourguiba, aux côtés du Sénégalais Léopold Sedar Senghor, du Nigérien Hamani Diori et du prince Norodom Sihanouk du Cambodge.
Candidate unique à sa succession, la Rwandaise Louise Mushikiwabo est assurée d'être réélue pour un nouveau mandat de quatre ans comme secrétaire générale de l'OIF, un espace de 321 millions de francophones amené à doubler d'ici 2050, essentiellement grâce à l'Afrique.
Face à des voix critiques, comme celle de l'écrivain sénégalais Amadou Lamine Sall qui a évoqué, dans une récente tribune, une francophonie "invisible" et "inaudible" à l'international, Mme Mushikiwabo a jugé son organisation "plus pertinente que jamais", dans un entretien avec l'AFP.
"La francophonie se porte bien", selon elle. Et bien que l'OIF soit "une organisation modeste" (son budget ne dépasse pas les 100 millions d'euros), elle "peut apporter une petite plus-value" à "la plupart des problèmes du monde", aussi bien politiques qu'économiques.
Selon de hauts responsables du Canada, poids lourd de la Francophonie, l'organisation "peut être une force positive" sur des thématiques mondiales comme "la paix, la prospérité économique et la consolidation de la démocratie".
Mais ces responsables ont reconnu des "inquiétudes" pour "la participation démocratique" en Tunisie depuis que le président Saied s'est emparé des pleins pouvoirs en juillet 2021, affirmant que le Canada s'en ferait l'écho lors du sommet.
La Tunisie accueille la rencontre après deux reports, le premier en 2020 en raison de la pandémie puis à l'automne 2021 après le coup de force de M. Saied qui a mis fin à une expérience démocratique unique dans le monde arabe.
«Francophonie économique»
La tenue de ce sommet est "un succès" pour Kais Saied car elle va "le sortir de son isolement au moins temporairement", selon le politologue français Vincent Geisser.
"C'est une sorte d'apaisement dans ses relations avec ses principaux partenaires occidentaux (...), il va utiliser cet évènement pour légitimer un tournant autoritaire fortement critiqué", dit-il.
89 délégations ont confirmé leur participation, dont 31 chefs d'Etat et de gouvernement et sept dirigeants d'organisations internationales et régionales, selon Tunis.
Ce sommet représente "une reconnaissance du rôle de la Tunisie dans l'espace francophone et de sa diplomatie au niveau régional et international" et une occasion de "renforcer la coopération économique", assure le coordinateur général du sommet Mohamed Trabelsi.
D'autres membres de l'OIF comme la province canadienne du Québec abordent le sommet comme un moyen d'"accroître (leur) présence en Afrique francophone où les occasions d'affaires se multiplient".
Le français est "la troisième langue d'affaires dans le monde et nous ouvre des portes, dans un contexte de diversification des marchés et des chaînes d'approvisionnement", explique la porte-parole de la Francophonie du Québec, Catherine Boucher.
Rappelant que l'idée d'une "francophonie économique" avait été défendue dès 2014 au sommet de l'OIF de Dakar, la ministre sénégalaise à la Francophonie Penda Mbow estime aussi qu'"on jugera les pays francophones sur leur capacité à réduire la fracture numérique au sein de leur société".
Le sommet, prolongé par un Forum économique jusqu'à lundi, a justement pour thèmes la connectivité et le numérique comme moteurs de développement.
Dakar espère aussi que le sommet permettra un "renouveau du multilatéralisme" qui est "partout en crise". "L'OIF, en remobilisant sa base, a une belle carte à jouer", assure Mme Mbow.
Même avis à Abidjan où le porte-parole du gouvernement, Amadou Coulibaly, rappelle que "dans les missions de la Francophonie, il y a la promotion de la langue mais aussi d'autres dimensions qui peuvent toucher des questions politiques" ou la médiation de conflits.
Un optimisme tempéré par Alioune Tine, figure de la société civile sénégalaise. Pour lui, l'OIF s'est montrée "totalement impuissante, face à des élections frauduleuses, aux troisièmes mandats (de dirigeants africains, NDLR) et aux coups d'Etat militaires", au Mali, en Guinée, au Tchad et au Burkina Faso.