Dans mille ans, les livres d'histoire rendront hommage aux figures fondatrices imposantes des États modernes du Golfe: le roi d'Arabie saoudite, Abdel Aziz al-Saoud; le cheikh Zayed ben Sultan al-Nahyane, des Émirats arabes unis; le cheikh Sabah al-Ahmad al-Sabah, du Koweït; et, bien sûr, le prince Khalifa ben Salmane al-Khalifa de Bahreïn, décédé mercredi.
Frère cadet de feu l'émir Issa ben Salmane al-Khalifa, il a transformé les îles de Bahreïn en l’État moderne et prospère que nous connaissons aujourd'hui: une plate-forme banquière, financière, pour l'industrie, le tourisme, les transports régionaux et les communications.
Grâce à ses excellentes relations avec d'autres dirigeants du Golfe, le prince Khalifa a été l'un des principaux architectes du Conseil de coopération du Golfe (CCG) en 1981. Il croyait fermement que les États arabes et du Golfe devaient agir ensemble, d’une seule voix, sur la scène internationale. En cela, il était un véritable arabe nationaliste.
Ses liens personnels avec le shah d’Iran ont été essentiels pour garantir la souveraineté et la sécurité régionale de Bahreïn, sans parler de l’importance des liens qu’il a bâtis avec toute une série de dirigeants mondiaux.
Il était l'une des dernières figures d'une génération emblématique de bâtisseurs, et son décès est ressenti comme une perte personnelle profonde pour Bahreïn et la région. Avec sa disparition, nous laissons derrière nous une grande époque à laquelle il nous reliait encore, par sa connaissance, ses perceptions et ses souvenirs personnels.
Une longévité hors du commun
Ayant occupé de hautes fonctions publiques depuis le milieu du XXᵉ siècle, le prince Khalifa a été nommé Premier ministre en 1971, lorsque Bahreïn a obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne. Il est resté en poste jusqu'à sa mort. Premier ministre à la plus grande longévité au monde, il était, à 84 ans, l’un des derniers grands survivants de la région.
Premier pays de la région du Golfe à découvrir du pétrole, Bahreïn a connu dans les années 1960 et 1970 un développement et une urbanisation rapides. Il a élargi et enrichi son secteur éducatif et révolutionné les infrastructures et les services du pays pour répondre aux besoins exigeants de sa main-d’œuvre émergente.
Grâce à la volonté clairvoyante des dirigeants d’investir dans les installations aéronautiques, Bahreïn a été pendant de nombreuses années la plate-forme de transit de la région. Travaillant en étroite collaboration avec le défunt ministre de l'Information, Tariq al-Muayyid, le prince Khalifa a également soutenu les efforts visant à faire de Manama une plate-forme régionale pour les médias.
Lorsque le Liban s’est désagrégé pendant la guerre civile au milieu des années 1970, le prince a joué un rôle majeur en faisant en sorte que Manama remplace Beyrouth comme plate-forme bancaire au Moyen-Orient. Après le boom pétrolier en 1973, et l’afflux de richesses dans la région, le secteur financier est devenu florissant, et Bahreïn est devenue une destination privilégiée des investisseurs, et a pu gérer ces grandes fortunes.
Ces dernières années, le prince Khalifa a soutenu sans réserve des personnalités telles que Cheikha Mai al-Khalifa, dans leur travail pour développer les secteurs culturel et touristique de Bahreïn, convaincu de l’importance de ces domaines comme pierre angulaire de la prospérité future du pays. La nomination par Bahreïn cette semaine de Cheikha Mai au poste de secrétaire général de l’Organisation mondiale du tourisme des Nations unies est d’ailleurs une reconnaissance largement méritée pour ses réalisations.
Un partisan de l’unité arabe
En tant qu’amie de la fille de l’ambassadeur de France je l’ai accompagnée avec son père lors d’une visite à Bahreïn en 1969, et lors de ma première rencontre avec le prince Khalifa, je me suis retrouvée à jouer le rôle de traductrice – alors qu’elle était encore en âge de fréquenter le lycée. Lorsque je suis rentré de plain-pied dans le métier de journaliste, j'ai continué à rencontrer le Premier ministre lors de mes fréquentes visites à Manama, l'interrogeant à plusieurs reprises pour divers médias, et après toutes ces années, j’en suis venue à le considérer comme un ami.
Bien que nous n’ayons pas toujours été d’accord, ses idées ont toujours mérité une attention particulière. J’ai toujours pensé qu’il était un vrai partisan de l'unité arabe, passionné des causes arabes. Il y a eu une période où les États arabes ne prenaient plus d’initiatives, attendant que les Américains résolvent les problèmes de la région. Mais le prince Khalifa était, lui, fermement convaincu que seul le monde arabe pouvait vraiment relever les défis auxquels il était confronté.
Lors de mes dernières rencontres avec lui, j’ai été frappée par la douleur intense qu’il a ressentie face aux divisions amères qui, par moments, ont émergé au sein du tissu social de Bahreïn.
Outre la question palestinienne, le prince Khalifa était également un fin connaisseur de la situation au Liban, qu’il suivait avec sympathie. Il avait toujours l’oreille attentive lorsque je lui parlais des défis et des derniers développements dans ce pays, et il n’a d’ailleurs pas tardé à offrir le ferme soutien de Bahreïn. En échange, j'ai appris énormément de lui sur les institutions du CCG et la culture politique.
La génération de dirigeants du Golfe à laquelle appartient le prince Khalifa avait une vision claire d’un développement national rapide, avec la création d’emplois et d’opportunités pour de nouvelles générations de citoyens exigeants. Dans cette région désormais à la croisée des chemins, qui doit s’adapter aux défis de l’après-pétrole, une vision aussi ambitieuse n'a jamais été aussi bien incarnée que par une nouvelle génération de dirigeants qui conduisent la région vers de nouvelles mutations, cherchant en permanence à garantir l'indépendance, l'identité et la souveraineté arabes.
Baria Alamuddin est une journaliste primée au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Syndicat des services médiatiques et a interviewé de nombreux chefs d'État.
NDLR: Les opinions exprimées par les rédacteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com