La vacance institutionnelle: un phénomène politique libanais qui ne choque plus

Le président libanais Michel Aoun salue ses partisans devant le palais présidentiel de Baabda avant de prononcer un discours marquant la fin de son mandat, à l'est de la capitale Beyrouth, le 30 octobre 2022. (AFP)
Le président libanais Michel Aoun salue ses partisans devant le palais présidentiel de Baabda avant de prononcer un discours marquant la fin de son mandat, à l'est de la capitale Beyrouth, le 30 octobre 2022. (AFP)
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Publié le Jeudi 10 novembre 2022

La vacance institutionnelle: un phénomène politique libanais qui ne choque plus

  • En quittant le palais de Baabda, le 30 octobre dernier, l’ancien président libanais Michel Aoun laisse derrière lui un édifice vide
  • «La société libanaise est devenue tellement polarisée qu’elle est ingouvernable: il n’y a presque plus aucun consensus sur aucun sujet entre les Libanais eux-mêmes»

BEYROUTH: La nature a horreur du vide. Sauf au Liban, où le vide constitutionnel semble former une sorte de business as usual pour une population complètement désabusée par un climat politique délétère combiné à une crise économique et financière accablante. 

En quittant le palais de Baabda, le 30 octobre dernier, l’ancien président libanais Michel Aoun laisse derrière lui un édifice vide, le Parlement n’ayant pas pu se mettre d’accord sur le nom d’un successeur, faisant ainsi miroiter une période de chaos et d’instabilité politique. Ce même Michel Aoun avait accédé à la magistrature suprême le 31 octobre 2016 après une vacance de vingt-neuf mois au sommet de l’État. Son «sexennat» a été caractérisé par un vide gouvernemental de l’ordre de 44%, où la désignation d’un Premier ministre puis la formation d’un cabinet et son entrée en fonction officielle prenaient en moyenne plus de cent jours par an.

Le vide de l’exécutif se divise non seulement au niveau du président de la république (plus de mille cent jours) mais aussi à celui du Cabinet (plus de mille sept cents jours).

Depuis le retrait de l’armée syrienne du Liban, le 26 avril 2005, le pays du Cèdre a vécu plus de deux mille huit cents jours de vacance institutionnelle. Et le compte se poursuit désormais après le départ de M. Aoun. Le pays est dirigé actuellement par le gouvernement démissionnaire de Najib Mikati, qui expédie les affaires courantes. Ainsi ce vide de l’exécutif se divise non seulement au niveau du président de la république (plus de mille cent jours) mais aussi à celui du Cabinet (plus de mille sept cents jours). 

Ce qui se passe au niveau des institutions ne constitue pas la seule anomalie au Liban. La grande question qui se pose est la suivante: pourquoi le peuple est-il devenu tellement apathique face à une situation tellement ubuesque?

«Il y a d’abord le poids de la crise économique, qui a entraîné une paupérisation de la population. La première préoccupation des gens, aujourd’hui, est de joindre les deux bouts. Ils sont épuisés», explique pour commencer Sami Nader, politologue et directeur de l’institut de science politique à l’université Saint-Joseph (USJ) de Beyrouth.

Outre les conséquences fatales de la crise financière et économique sur une population exsangue, «il y a aussi un phénomène d’usure qui a frappé de plein fouet le mouvement contestataire au Liban. Les Libanais ont été dépossédés de leurs biens, de leur argent, de leurs épargnes et ils n’ont pas protesté massivement dans la rue. Comment veut-on qu’ils manifestent aujourd’hui parce qu’une échéance constitutionnelle n’est pas respectée?», fait remarquer M. Nader.

Le politologue explique par ailleurs l’absence de mobilisation populaire par les effets «des forces de la contre-révolution qui ont réussi à diviser et à terroriser les manifestants». Ces derniers ont été la cible de violences parfois meurtrières, les forces de l’ordre ayant utilisé des armes à feu pour leur tirer dessus. «L’une des principales revendications politiques des contestataires était d’appeler à des élections et au respect des échéances constitutionnelles», rappelle-t-il.

La première préoccupation des gens, aujourd’hui, est de joindre les deux bouts. Ils sont épuisés. - Sami Nader

Vide politique vs «plein politique»

Outre les questions économiques et sécuritaires, il y a un problème institutionnel et politique qui décourage les Libanais de s’impliquer dans la chose publique. 

Selon le politologue Hazem Saghiyeh, éditorialiste au journal Asharq al-Awsat, «la population ne voit pas une vraie différence entre le vide politique et le “plein politique”, si l’on peut le désigner comme ainsi. La frontière entre la mise en œuvre normale de la Constitution et le vide constitutionnel est devenue tellement fine que les gens ne s’inquiètent plus outre mesure, puisque les conséquences sur leur vie quotidienne et pratique semblent être inchangées». Et il ajoute: «Cette alternance régulière entre le plein et le vide constitutionnel a ôté le caractère anormal de ce dernier.»

Le Liban est régi depuis la fin de la guerre par une nouvelle Constitution issue de l’accord de Taëf, conclu en 1989. Jusqu’en 2005, ce sont les Syriens qui imposaient d’une manière ou d’une autre les différents présidents et gouvernements. Avec la disparition de la tutelle syrienne sur le Liban, les Libanais ont malheureusement prouvé qu’ils sont incapables de se gouverner. 

Selon M. Saghiyeh, «le vide institutionnel actuel n’est que l’illustration pratique de l’incapacité des Libanais à se gouverner et à bâtir un pays. L’État est devenu une structure en carton vide, inutile, sur lequel le peuple ne peut plus s’appuyer. L’édifice étatique est aujourd’hui tellement fragile que tout peut le déstabiliser: une communauté qui se fâche, une intervention étrangère…»

M. Saghiyeh estime toutefois qu’on ne peut accuser seulement l’État et les dirigeants de tous les malheurs. «La société libanaise est devenue tellement polarisée qu’elle est ingouvernable: il n’y a presque plus aucun consensus sur aucun sujet entre les Libanais eux-mêmes. Le vide institutionnel n’est que le couronnement d’une série de problèmes que tout le monde au Liban connaît et est en train de vivre.»

Avec la disparition de la tutelle syrienne sur le Liban, les Libanais ont malheureusement prouvé qu’ils sont incapables de se gouverner. 

Divisions communautaires

Par ailleurs, les divisions sectaires et confessionnelles jouent un rôle dans ce manque de mobilisation. «Pour créer un mouvement de masse, il faut défendre des intérêts communs transcommunautaires, comme les droits économiques et sociaux. Or au Liban, les divisions politiques existent même au sein d’un même groupe confessionnel», explique de son côté Sami Nader.»

«Aujourd’hui, chaque communauté a ses propres notions politiques, sa propre culture, sa propre politique étrangère. Le Hezbollah a sa propre armée… Les dirigeants ne sont d’accord sur rien. Il leur faut des mois pour former un gouvernement; s’ils veulent élire un président, il leur faut des années; pour entreprendre une réforme, il leur faut une éternité», renchérit pour sa part M. Saghiyeh.

Concrètement, les communautés, en devenant plus puissantes, imposent leur dictat à un État qui a presque disparu. 

Le système confessionnel a toujours existé au Liban dès sa création. Mais, parallèlement aux communautés, il y avait un État suffisamment solide pour englober et arbitrer entre elles. «Cet État a joué avec succès son rôle de management, alors que les communautés étaient effritées. Aujourd’hui, elles sont plus soudées et sont donc devenues plus puissantes que l’État», précise-t-il. Le pays est devenu une juxtaposition de communautés contrôlées d’une manière quasi autoritaire par un ou deux partis. Concrètement, les communautés, en devenant plus puissantes, imposent leur dictat à un État qui a presque disparu. 

Toutefois, M. Saghiyeh estime que les responsabilités qui ont entraîné cette situation anormale sont disparates. «En premier lieu revient celle du Hezbollah. Ce dernier a introduit deux critères important au sein du jeu politique libanais: les armes, d’abord, mais aussi, ce qui est plus dangereux encore, l’importation d’une culture, de valeurs et de rituels qui creusent encore plus le fossé entre les différentes composantes libanaises.»

Et le repli identitaire actuel des communautés envenime la situation, créant davantage de frustration et d’illusions. «À part le fait de donner un peu de moral à leurs partisans, que peuvent faire le Hezbollah ou Amal [les deux partis chiites] alors que le pays va totalement se désagréger? On a vu dernièrement à la MTV [chaîne de télévision libanaise, NDLR] où peut mener la frustration des partisans d’Aoun, avec des violences qui ont dégénéré sur le plateau télévisé. Cette colère peut se manifester par un comportement milicien qui s’apparente à un exutoire face à l’échec des rhétoriques aounistes et aux théories complotistes véhiculées par le CPL [Courant patriotique libre, fondé par Michel Aoun]», explique Hazem Saghiyeh.

Selon ce dernier, «le problème actuel est qu’aucun acteur ne veut se rétracter malgré le fait que les dirigeants ont conscience de la grave crise que traverse le pays. Il y a une fuite en avant de plus en plus dangereuse».


Le Parlement libanais approuve un projet de loi sur le secret bancaire

Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri. (AFP)
Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri. (AFP)
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  • La communauté internationale exige depuis longtemps d'importantes réformes pour débloquer des milliards de dollars afin d'aider à la relance de l'économie libanaise, plongée depuis 2019 dans une profonde crise
  • Selon le groupe de défense des droits libanais Legal Agenda, les amendements autorisent "les organes de contrôle et de régulation bancaire (...) à demander l'accès à toutes les informations" sans fournir de raison particulière

BEYROUTH: Le Parlement libanais a approuvé jeudi un projet de loi sur la levée du secret bancaire, une réforme clé réclamée par le Fonds monétaire international (FMI), au moment où des responsables libanais rencontrent à Washington des représentants des institutions financières mondiales.

Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri.

La communauté internationale exige depuis longtemps d'importantes réformes pour débloquer des milliards de dollars afin d'aider à la relance de l'économie libanaise, plongée depuis 2019 dans une profonde crise imputée à la mauvaise gestion et à la corruption.

La récente guerre entre Israël et le Hezbollah a aggravé la situation et le pays, à court d'argent, a désormais besoin de fonds pour la reconstruction.

Selon le groupe de défense des droits libanais Legal Agenda, les amendements autorisent "les organes de contrôle et de régulation bancaire (...) à demander l'accès à toutes les informations" sans fournir de raison particulière.

Ces organismes pourront avoir accès à des informations telles que les noms des clients et les détails de leurs dépôts, et enquêter sur d'éventuelles activités suspectes, selon Legal Agenda.

Le Liban applique depuis longtemps des règles strictes en matière de confidentialité des comptes bancaires, ce qui, selon les critiques, rend le pays vulnérable au blanchiment d'argent.

En adoptant ce texte, le gouvernement avait précisé qu'il s'appliquerait de manière rétroactive pendant 10 ans. Il couvrira donc le début de la crise économique, lorsque les banquiers ont été accusés d'aider certaines personnalités à transférer d'importantes sommes à l'étranger.

Le feu vert du Parlement coïncide avec une visite à Washington des ministres des Finances, Yassine Jaber, et de l'Economie, Amer Bisat, ainsi que du nouveau gouverneur de la Banque centrale, Karim Souaid, pour des réunions avec la Banque mondiale et le FMI.

M. Jaber a estimé cette semaine que l'adoption des amendements donnerait un "coup de pouce" à la délégation libanaise.

En avril 2022, le Liban et le FMI ont conclu un accord sous conditions pour un programme de prêt sur 46 mois de trois milliards de dollars, mais les réformes alors exigées n'ont pour la plupart pas été entreprises.

En février, le FMI s'est dit ouvert à un nouvel accord avec Beyrouth après des discussions avec M. Jaber. Le nouveau gouvernement libanais s'est engagé à mettre en oeuvre d'autres réformes et a également approuvé le 12 avril un projet de loi pour restructurer le secteur bancaire.


Syrie: Londres lève ses sanctions contre les ministères de la Défense et de l'Intérieur

Abdallah Al Dardari, chef régional pour les Etats arabes au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), lors d'une interview avec l'AFP à Damas le 19 avril 2025. (AFP)
Abdallah Al Dardari, chef régional pour les Etats arabes au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), lors d'une interview avec l'AFP à Damas le 19 avril 2025. (AFP)
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  • "Les entités suivantes ont été retirées de la liste et ne sont plus soumises à un gel des avoirs: ministère de l'Intérieur, ministère de la Défense", indique notamment le communiqué du département du Trésor
  • Des agences de renseignement sont également retirées de la liste. La totalité d'entre elles ont été dissoutes par les nouvelles autorités en janvier

LONDRES: Le Royaume-Uni a annoncé jeudi avoir levé ses sanctions contre les ministères syriens de l'Intérieur et de la Défense ainsi que contre des agences de renseignement, qui avaient été imposées sous le régime de Bachar al-Assad.

"Les entités suivantes ont été retirées de la liste et ne sont plus soumises à un gel des avoirs: ministère de l'Intérieur, ministère de la Défense", indique notamment le communiqué du département du Trésor.

Des agences de renseignement sont également retirées de la liste. La totalité d'entre elles ont été dissoutes par les nouvelles autorités en janvier.

Ces autorités, issues de groupes rebelles islamistes, ont pris le pouvoir le 8 décembre.

Le Royaume-Uni avait début mars déjà levé des sanctions à l'égard de 24 entités syriennes ou liées à la Syrie, dont la Banque centrale.

Plus de trois cents individus restent toutefois soumis à des gels d'avoirs dans ce cadre, ainsi qu'une quarantaine d'entités, selon le communiqué du Trésor.

Les nouvelles autorités syriennes appellent depuis la chute d'Assad en décembre dernier à une levée totale des sanctions pour relancer l'économie et reconstruire le pays, ravagé après 14 années de guerre civile.


1983 – L'attaque contre les Marines américains à Beyrouth

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  • Les dégâts sont énormes au quartier général des Marines
  • Quatre couches de ciment s'étaient effondrées pour former des tas de décombres, des incendies brûlaient et l'on entendait beaucoup de cris au milieu du sang

BEYROUTH: Le 23 octobre 1983, aux alentours de 6h25, une violente déflagration secoue Beyrouth et sa banlieue, jusque dans les hauteurs montagneuses. Le souffle, sourd et diffus, fait d’abord penser à un tremblement de terre.

Mais sept minutes plus tard, une seconde explosion, bien plus puissante, déchire la ville et ses environs, dissipant toute confusion: Beyrouth venait de vivre l’un des attentats les plus meurtriers de son histoire.

Je travaillais alors pour le journal libanais As-Safir en tant que correspondant de guerre. Beyrouth était assiégée, dans sa banlieue sud, dans les montagnes et dans la région du Kharoub, par des affrontements entre le Parti socialiste progressiste et ses alliés d'une part, et les Forces libanaises d'autre part, dans ce que l'on appelait la «guerre des montagnes».

Le sud du pays a également été le théâtre de la résistance armée des combattants libanais contre l'occupation israélienne. Ces combattants étaient liés à des partis de gauche et, auparavant, à des factions palestiniennes.

Des forces multinationales, notamment américaines, françaises et italiennes, avaient été stationnées à Beyrouth après le retrait des dirigeants et des forces de l'Organisation de libération de la Palestine, à la suite de l'agression israélienne contre le Liban et de l'occupation de Beyrouth en 1982.

Quelques minutes après les explosions, la réalité s’impose avec brutalité: le quartier général des Marines américains, situé sur la route de l’aéroport de Beyrouth, ainsi que la base du contingent français dans le quartier de Jnah, ont été ciblés par deux attaques-suicides coordonnées.

Les assaillants, non identifiés, ont lancé des camions piégés – chargés de plusieurs tonnes d’explosifs – contre les deux sites pourtant fortement sécurisés, provoquant un carnage sans précédent.

Comment nous l'avons écrit

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Au lendemain des attentats, Arab News faisait état de 120 morts parmi les Marines et de 20 morts parmi les Français, un chiffre nettement inférieur au décompte final.

L'attaque de la base américaine a tué 241 militaires américains – 220 Marines, 18 marins et trois soldats – et en a blessé des dizaines. Le bombardement du site militaire français a tué 58 parachutistes français et plus de 25 Libanais.

Ces attentats étaient les deuxièmes du genre à Beyrouth; un kamikaze avait pris pour cible l'ambassade des États-Unis à Aïn el-Mreisseh six mois plus tôt, le 18 avril, tuant 63 personnes, dont 17 Américains et 35 Libanais.

Les dégâts sont énormes au quartier général des Marines. Quatre couches de ciment s'étaient effondrées pour former des tas de décombres, des incendies brûlaient et l'on entendait beaucoup de cris au milieu du sang, des morceaux de corps et de la confusion. Voici ce que nous, journalistes, avons pu voir au milieu du chaos qui régnait immédiatement après la catastrophe, et ce qui reste gravé dans ma mémoire plus de 40 ans plus tard.

La nuit précédente, un samedi, les Marines avaient fait la fête, divertis par un groupe de musique qui avait fait le voyage depuis les États-Unis pour se produire devant eux. La plupart dormaient encore lorsque la bombe a explosé.

Aucun groupe n'a revendiqué les attentats ce jour-là, mais quelques jours plus tard, As-Safir a publié une déclaration qu'il avait reçue et dans laquelle le «Mouvement de la révolution islamique» déclare en être responsable.

Environ 48 heures après l’attentat, les autorités américaines pointent du doigt le mouvement Amal, ainsi qu’une faction dissidente dirigée par Hussein al-Moussawi, connue sous le nom d’Amal islamique, comme étant à l’origine de l’attaque.

Selon la presse locale de l’époque, la planification de l’attentat aurait eu lieu à Baalbeck, dans la région de la Békaa, tandis que le camion utilisé aurait été aperçu garé devant l’un des bureaux du mouvement Amal.

Le vice-président américain, George H.W. Bush, s'est rendu au Liban le lendemain de l'attentat et a déclaré: «Nous ne permettrons pas au terrorisme de dicter ou de modifier notre politique étrangère.»

La Syrie, l'Iran et le mouvement Amal ont nié toute implication dans les deux attentats.

En riposte à l’attaque visant leurs soldats, les autorités françaises ont lancé une opération militaire d’envergure: huit avions de chasse ont bombardé la caserne Cheikh Abdallah à Baalbeck, que Paris considérait comme un bastion de présences iraniennes.

À l’époque, les autorités françaises ont affirmé que les frappes avaient fait environ 200 morts.

Un responsable de l'Amal islamique a nié que l'Iran disposait d'un complexe dans la région de Baalbeck. Toutefois, il a reconnu le lien idéologique fort unissant son groupe à Téhéran, déclarant: «L’association de notre mouvement avec la révolution islamique en Iran est celle d’un peuple avec son guide. Et nous nous défendons.»

Le 23 novembre, le cabinet libanais a décidé de rompre les relations avec l'Iran et la Libye. Le ministre libanais des Affaires étrangères, Elie Salem, a déclaré que la décision «a été prise après que l'Iran et la Libye ont admis qu'ils avaient des forces dans la Békaa».

Un rapport d'As-Safir cite une source diplomatique: «Les relations avec l'Iran se sont détériorées en raison des interventions, pratiques et activités illégales qu'il a menées sur la scène libanaise, malgré de nombreux avertissements.»

Les attentats du 23 octobre étaient jusqu'alors le signe le plus évident de l'évolution de l'équilibre des forces régionales et internationales au Liban et de l'émergence d'un rôle iranien de plus en plus important dans la guerre civile.

Le chercheur Walid Noueihed m'a expliqué qu'avant 1982, Beyrouth avait accueilli toutes les formes d'opposition, y compris l'élite éduquée, appelée «opposition de velours», et l'opposition armée, dont les membres étaient formés dans des camps ou des centres d'entraînement palestiniens dans la vallée de la Békaa et au Liban-Sud.

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Vue aérienne de l'ambassade américaine à Beyrouth après l'explosion qui a fait 63 morts, dont 46 Libanais et 17 Américains. (AFP)

Il a indiqué que l'opposition iranienne au chah était présente parmi ces groupes et a décrit Beyrouth comme une oasis pour les mouvements d'opposition jusqu'en 1982. Toutefois, cette dynamique a changé lorsqu'Israël a envahi le Liban et assiégé Beyrouth, ce qui a entraîné le départ de l'OLP en vertu d'un accord international qui exigeait en échange qu'Israël s'abstienne de pénétrer dans Beyrouth.

Si les factions palestiniennes ont quitté le Liban, ce n'est pas le cas des combattants libanais associés à l'OLP, pour la plupart des chiites qui constituaient la base des partis de gauche libanais.

Les attaques contre les bases militaires américaines et françaises ont entraîné le retrait des forces internationales du Liban, explique M. Noueihed, laissant une fois de plus Beyrouth sans protection. Les opérations de résistance se sont multipliées, influencées par des idéologies distinctes de celles de la gauche traditionnelle, des groupes comme l'Amal islamique affichant ouvertement des slogans prônant la confrontation avec Israël.

En 1985, le Hezbollah est officiellement créé en tant qu'«organisation djihadiste menant une révolution pour une république islamique». Il s'est attiré le soutien des partis de gauche libanais et palestiniens, en particulier après l'effondrement de l'Union soviétique.

Selon M. Noueihed, l'émergence du Hezbollah a coïncidé avec le déclin des symboles existants de la résistance nationale, ce qui semble indiquer une intention d'exclure toutes les autres forces du pays du mouvement de résistance, laissant le Hezbollah comme parti dominant.

L'influence iranienne au Liban est devenue évidente lors des violents affrontements entre le Hezbollah et Amal, qui ont fait des dizaines de victimes et se sont terminés par la consolidation du contrôle du Hezbollah au milieu de la présence des forces militaires syriennes.

Beyrouth se vide peu à peu de son élite intellectuelle, a souligné M. Noueihed. Des centaines d’écrivains, d’intellectuels, de chercheurs et de professionnels des médias ont fui vers l’Europe, redoutant pour leur sécurité, laissant derrière eux une ville désertée par ceux qui faisaient autrefois vibrer sa vie culturelle et académique.

Najia Houssari est rédactrice pour Arab News, basée à Beyrouth. Elle était correspondante de guerre pour le journal libanais As-Safir au moment du bombardement de la caserne des Marines américains.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com