PARIS: Au procès de l'attentat de Nice, qui a fait 86 morts le 14 juillet 2016, le deuxième accusé interrogé par la cour d'assises spéciale, Chokri Chafroud, a été décrit mardi comme "influençable" mais "loin d'une posture djihadiste."
La dixième semaine du procès à Paris est consacrée à ce Tunisien de 43 ans, arrivé en France quelques mois avant les faits et qui compte parmi les trois accusés poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste.
En détention provisoire depuis l'été 2016, il encourt 20 ans de réclusion criminelle.
Chokri Chafroud, quatrième d'une famille de sept enfants, a grandi dans un village près de Sousse (est de la Tunisie), où son père était agriculteur. Décrit par ses proches comme "timide, calme", il quitte l'école à 11 ans.
En pull gris clair sur chemise bleue, mains posées sur le plexiglas du box, il répond avec application aux questions en arabe tunisien. La tête un peu penchée, il demande souvent de répéter ou préciser.
Son "potentiel intellectuel" a été décrit par l'expert psychologue comme "dans la moyenne inférieure", avec "un niveau socio-culturel et scolaire modeste", rappelle l'un de ses avocats, Florian François-Jacquemin.
Une analyse qu'il juge incompatible avec la description de son client par les enquêteurs comme un "mentor influent sur la personnalité instable" de l'auteur de l'attentat, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, tué lors de l'attaque au volant de son camion.
Le rapport dressé en prison, au quartier d'évaluation de la radicalisation (QER), évoque à l'inverse "sa sensibilité à l'influence, notamment de la part d'une personne qui s'inscrirait dans une posture d'aide salvatrice" et son "manque de discernement et de recul sur les rencontres qu'il pourrait faire".
L'éducateur spécialisé qui l'a rencontré souligne qu'il "semble loin d'une posture djihadiste" et qu'il n'a "jamais exprimé de critiques à l'égard de l'Occident et de ses valeurs".
Pas de cet avis, plusieurs avocats de parties civiles mettent en exergue plusieurs messages, souvent grossiers, échangés entre l'accusé et l'auteur de l'attentat. Si certains montrent "une certaine animosité" envers la France, ce sentiment "ne ressort pas de l'ensemble des éléments" analysés, juge un enquêteur de la sous-direction antiterroriste (Sdat) entendu par visioconférence.
Une simple «connaissance»
Au QER, Chokri Chafroud assure avoir été ostracisé par les autres détenus parce qu'il écoutait de la musique et ne priait pas. Il évoque notamment des menaces de mort du cadre français du groupe État islamique Tyler Vilus, condamné en septembre 2021 en appel à la réclusion à perpétuité.
Il raconte avoir rejoint l'Italie en 2006 pour "découvrir une autre mentalité" et "vivre de la façon dont vivaient les touristes" qu'il côtoyait en Tunisie.
"Surtout, je souhaitais oublier mes douleurs", ajoute-t-il, en référence à un accident qui fait étrangement écho à l'attentat de Nice : alors qu'il était adolescent, un de ses amis était mort écrasé "devant (lui) par un camion".
En Italie, il travaille dans deux hôtels, est régularisé en 2010, mais repart brusquement en Tunisie en 2015. Selon lui, parce que son employeur lui refuse une augmentation. Ce dernier évoque un changement de comportement, avec une agressivité nouvelle, une consommation d'alcool accrue et un isolement qui lui avait fait suspecter une dépression.
Il arrive ensuite à Nice, en août 2015 ou janvier 2016, selon les versions, où il travaille dans le bâtiment et est hébergé de façon précaire.
Pour l'accusation, sa "très grande proximité" avec Mohamed Lahouaiej-Bouhlel est attestée par les photos trouvées dans le téléphone de l'assaillant, ainsi que par les nombreux messages qu'ils échangent, "le plus souvent à l'initiative de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel", reconnaît toutefois l'enquêteur.
C'était une simple "connaissance", que Chokri Chafroud fréquentait parce qu'il l'avait promis de l'aider à trouver un logement, assure sa défense.
Sa mise en cause repose notamment sur un message envoyé par Mohamed Lahouaiej-Bouhlel à un autre accusé le soir de l'attentat, dans lequel il réclame de nouvelles armes et affirme : "Chokri et ses amis sont prêts pour le mois prochain".
Plusieurs contacts de Chokri Chafroud ont été placés en garde à vue après l'attentat, puis remis en liberté.
"Si les amis de Chokri n’ont rien à voir avec ce qui s’est passé, qu’est-ce qu’on peut en conclure pour Chokri Chafroud?", s'est interrogé Me François-Jacquemin.
Son interrogatoire doit se poursuivre jusqu'à jeudi.