La notion de «nouvelle guerre froide» pourrait ne pas être appropriée pour décrire le climat de fortes tensions qui marque actuellement l'ordre mondial. Cette formule faisait référence à la grande confrontation entre les deux blocs idéologiques et stratégiques mondiaux durant la période qui s’est étendue de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu'à l'effondrement du mur de Berlin (novembre 1989).
Or, cette configuration bipolaire n'est plus d’actualité. La structuration idéologique de l'ordre international faisant défaut, on ne peut plus parler de compétition d'idées ou de visions du monde.
L'Afrique, qui a été un terrain principal de la guerre froide durant la seconde moitié du XXe siècle, est récemment redevenue, après une phase de marginalisation et d'exclusion, un enjeu majeur.
- Seyid Ould Abah
Force est de constater cependant que la guerre d'Ukraine en cours a engendré une nouvelle forme de conflictualité mondiale qui a affecté de façon notoire et aiguë les rapports entre les États et les pôles régionaux à l'échelle universelle.
L'Afrique, qui a été un terrain principal de la guerre froide durant la seconde moitié du XXe siècle, est récemment redevenue, après une phase de marginalisation et d'exclusion, un enjeu majeur de compétition et de rivalité entre les puissances mondiales.
Si quelques pays alliés traditionnels de la Russie ont clairement soutenu la guerre russe en Ukraine, tandis que d'autres se sont abstenus de la condamner lors du vote à l'Assemblée générale des nations unies – au sein de laquelle vingt-cinq pays du continent sont représentés –, aucun pays africain ne s'est associé aux mesures de sanctions imposées par les pays occidentaux à la Russie.
Malgré l'intense activité diplomatique de l'administration du président Biden et de ses alliés européens, les pays africains ont préservé une lignée permanente de neutralité vis-à-vis des différents belligérants.
Une percée russe en Afrique est perceptible; elle s’effectue au détriment de l'influence traditionnelle des anciens pays coloniaux. Le cas malien est emblématique: ce pays ouest-africain a été l'objet d'une large intervention militaire française depuis 2014 (opérations Serval, Épervier et Barkhane) et il a mis fin à la présence française dans le nord du pays au profit de l'assistance militaire russe.
La junte qui a pris le pouvoir à Bamako le 18 août 2020 a affiché dès le début de son règne un très clair penchant prorusse tout en accusant l'intervention française d'être stérile et contre-productive. La rupture entre les deux pays est devenue inéluctable dès le retrait final des troupes françaises, achevé le 15 août dernier.
La Russie, largement impliquée dans les secteurs miniers et militaires, n'est pas le seul nouvel acteur international dans le paysage africain. La Chine a en effet entamé depuis deux décennies une profonde et lente politique d'expansion économique et commerciale en Afrique subsaharienne.
- Seyid Ould Abah
Le Burkina Faso est un autre allié sahélien traditionnel de la France. Il a adopté une position similaire, comme on l’a vu récemment avec les manifestations populaires qui ont pris d'assaut la base militaire française ainsi que les lieux et les édifices relatifs aux intérêts français.
Au Tchad et au Niger, la montée du sentiment antifrançais est de plus en plus sensible. La République centrafricaine est sortie du giron français depuis plusieurs années au profit d’une présence russe accrue.
Les pays pétroliers de l'Afrique centrale, qui faisaient partie du pré carré français, sont en train de diversifier leurs réseaux de partenariat international au gré d’intérêts économiques qui sont liés aux enjeux énergétiques mondiaux.
Le philosophe et politologue camerounais Achille Mbembe nous a récemment invités à repenser le paradigme des relations traditionnelles entre l'Afrique et les puissances occidentales.
- Seyid Ould Abah
La Russie, largement impliquée dans les secteurs miniers et militaires, n'est pas le seul nouvel acteur international dans le paysage africain. La Chine a en effet entamé depuis deux décennies une profonde et lente politique d'expansion économique et commerciale en Afrique subsaharienne. La percée chinoise se traduit notamment par des contrats juteux d'infrastructures, l'insertion des pays africains dans le projet chinois des nouvelles routes de soie, le flux des investissements monétaires chinois en Afrique.
L'Inde, un autre pays émergent, emprunte la même voie, tout comme le Brésil et la Turquie. Ce nouvel intérêt pour l'Afrique relève sans aucun doute du contexte conflictuel et dynamique d’un ordre mondial en état de recomposition. Il n’est pas rare que les élites africaines expriment aujourd’hui une position de non-alignement réfléchie et perspicace, réfractaire à toute tutelle extérieure.
Le philosophe et politologue camerounais Achille Mbembe nous a récemment invités à repenser le paradigme des relations traditionnelles entre l'Afrique et les puissances occidentales. Il s’agit selon lui de «bâtir un monde commun à un moment où la planète devient si petite. Pour y arriver, il faut créer un nouveau bloc historique, construire d’autres types de coalitions, mais aussi changer nos grilles de lecture et d’interprétation».
Cette vaste entreprise conceptuelle et pratique trace pour les élites africaines engagées dans les enjeux délicats et changeants de l'ordre mondial des jalons préliminaires.
Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
TWITTER: @seyidbah
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français