Le président russe, Vladimir Poutine, est un homme occupé. Son allié en Biélorussie, le président Alexandre Loukachenko, fait face à des pressions croissantes pour le pousser à démissionner, après une élection douteuse il y a plus de deux mois. La Russie n'a fait aucun progrès important en Syrie et a même fait face à de récents revers en Libye. Le profond engagement de Moscou en Ukraine coûte à l’État des milliards de dollars par an (1 dollar = 0,84 euro). La Turquie défie la Russie pour gagner de l’influence dans le Caucase du Sud d'une manière inédite depuis le XIXe siècle. Les prix du pétrole sont en baisse, et les cas de Covid-19 sont en hausse.
Malgré tous ces défis, une autre région très importante aux yeux de la Russie a fait l’objet de beaucoup d'attention cette semaine: l'Arctique. Poutine a finalement apposé sa signature sur une nouvelle politique russe de l'Arctique, avec pour principaux objectifs les ressources énergétiques, le développement économique et la sécurité. L’accent mis par le président sur l’Arctique n’a rien de nouveau pour la Russie, qui a un long passé dans la région polaire. Au début du XVIIIe siècle, la Russie a organisé plusieurs grandes expéditions pour explorer et cartographier la côte sibérienne, avec un coût très élevé pour le Trésor.
Les explorateurs, scientifiques et aventuriers qui ont pris part aux expéditions du Kamtchatka, connues sous le nom de «grandes expéditions nordiques», se comptent par milliers. Même selon les normes actuelles, ce sont probablement les plus grandes expéditions scientifiques mixtes de l’histoire. Près de trois cents ans plus tard, la Russie fait toujours part de nouvelles revendications dans l'Arctique. En 2007, Arthur Tchilingarov, alors membre de la Douma russe, mène une exploration sous-marine au pôle Nord et plante un drapeau russe dans le fond marin. Plus tard, il déclare: «L'Arctique est russe.» C'est un sentiment partagé par de nombreux Russes aujourd’hui.
Poutine accorde un haut niveau d’importance nationale à la région arctique. C'est la raison pour laquelle l'annonce de la nouvelle stratégie russe pour l'Arctique est si importante. Aujourd'hui, la Russie est amenée à jouer un rôle actif dans la région, pour trois raisons.
Premièrement, l'Arctique représente un moyen peu risqué pour promouvoir le nationalisme russe. Du fait que le nationalisme est en hausse en Russie, l'approche de Poutine à l'égard de l'Arctique est populaire. Pour Poutine, l'Arctique est une zone qui permet à la Russie de montrer sa force sans encourir de risque géopolitique significatif, et permet aux Russes de «se rassembler autour du drapeau».
Deuxièmement, la Russie voit un potentiel économique majeur dans la région. En réalité, la récente stratégie arctique était principalement axée sur le potentiel économique de la région pour la Russie. La moitié du territoire arctique mondial et la moitié de la population de la région arctique se trouvent en Russie. Il est avéré que l’Arctique abrite d’importantes réserves de pétrole et de gaz toujours inexploitées. La majorité de ces réserves seraient situées en Russie. En particulier, la Russie espère que la route maritime du Nord (NSR) qui, pendant les mois d’été, peut réduire le temps nécessaire pour voyager par voie maritime entre l’Europe et l’Asie, deviendra l’une des voies de navigation les plus importantes au monde.
Enfin, la Russie se voit jouer un rôle sécuritaire important dans la région. Moscou a beaucoup investi dans la militarisation de sa région arctique. Alors que la zone reste pacifique, les récentes mesures prises par la Russie pour la militariser, associées à un comportement belliqueux à l’égard de ses voisins, font de l’Arctique un problème sécuritaire. Le développement des infrastructures, les installations militaires et les achats d’équipements de la Russie se sont fortement concentrés ces dernières années sur le renforcement des capacités de la Russie dans l'Arctique. Le pays compte désormais au moins 34 installations militaires clés dans ou à proximité de l'Arctique. La Russie optimise ces installations en vue des combats par temps froid. Elle a élargi la variété et la sophistication des capacités déployées dans l'Arctique, tout en augmentant la portée et le rythme de la nature souvent agressive des patrouilles aériennes et maritimes dans la région.
Les décideurs politiques russes sont parfaitement conscients du fait qu'ils sont également confrontés à de nombreux problèmes géopolitiques dans l'Arctique. Bien que l'Otan n'ait pas de politique arctique établie, les manœuvres militaires dans la région se sont multipliées. Ces dernières années, sous l’administration du président américain Donald Trump, une plus grande attention a été accordée aux questions liées à l’Arctique, en particulier dans le contexte des rivalités propres aux grandes puissances dans la région. La Chine est également considérée par Moscou comme un concurrent dans la région arctique. Le prix du pétrole et l'impact des sanctions économiques internationales ont rendu les investissements et les développements au niveau de l'exploration pétrolière et gazière dans l'Arctique très difficiles pour la Russie. Enfin, les grandes initiatives, telles que le NSR, ne se sont pas avérées aussi efficaces (ni génératrices de revenus) que le Kremlin ne l'avait espéré.
En tant que puissance arctique, la présence militaire de la Russie dans la région est tout à fait prévisible. Cependant, elle devrait être perçue avec une certaine prudence, en raison du modèle d’agression de la Russie à l’extérieur de ses frontières, dans d’autres régions du monde, comme l’Ukraine ou la Syrie. Heureusement, malgré une concurrence géopolitique accrue dans l'Arctique, les tensions dans la région restent limitées. Ainsi, avec des problèmes croissants pour la Russie dans de nombreuses régions du monde, il ne faut pas s’attendre à ce que Moscou ignore la région arctique ou en fasse abstraction. Pour des raisons historiques, culturelles et économiques, l'Arctique est tout simplement trop important. À l'heure actuelle, la situation est relativement calme. Reste à savoir si ce sera toujours le cas.
Cependant, une chose est certaine: l’Arctique deviendra de plus en plus une région stratégiquement importante pour bon nombre des grandes puissances mondiales. C'est une zone que les décideurs mondiaux doivent garder sous surveillance.
Luke Coffey est directeur du Douglas and Sarah Allison Center for Foreign Policy de la Heritage Foundation. Twitter: @LukeDCoffey
Clause de non-responsabilité: les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com