PARIS: Les éventuels antécédents psychiatriques de l'auteur de l'attentat de Nice le 14 juillet 2016 ont été mercredi au coeur des débats au procès à Paris, avec l'audition de sa famille, qui l'a décrit comme "violent", "agressif" et "impulsif", mais pas "fou".
Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, Niçois de 31 ans de nationalité tunisienne, avait fait 86 morts et plus de 400 blessés au volant d'un camion-bélier sur la Promenade des Anglais avant d'être abattu par la police.
La question de son équilibre mental revient régulièrement dans les débats devant la cour d'assises spéciale depuis le début du procès, même s'il n'y a, pour l'accusation, "aucun élément objectif du dossier en faveur d’une pathologie psychiatrique avérée".
Dans son enfance, il se distingue par son comportement "brutal" et son intolérance à la frustration, se rappelle son père, 63 ans, venu de Tunisie pour témoigner.
"Quand il y avait un problème qu'il ne pouvait pas résoudre" ou qu'il n'avait pas ce qu'il voulait, "il s'énervait", résume cet homme aux cheveux et à la moustache blanche, ses larges mains jointes devant lui.
Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, que tout son entourage appelle par son deuxième prénom, Salman, grandit dans une famille de 11 enfants à M'Saken, petite ville près de Sousse (est de la Tunisie).
Parti en France en 2007, il ne reviendra qu'à deux reprises, en 2012.
Son origine modeste et rurale, source de moqueries à l'école, était une frustration pour le jeune homme, confie à la barre sa tante paternelle Rafika, 65 ans, également partie vivre à Nice et restée proche de lui.
"Il en avait trop sur le cœur. Il avait trop de haine envers ses parents. Il m'a dit: +c'est des rats, pas des parents+", assure-t-elle, en gros manteau et voile noir. Selon elle, son père "avait des sous mais le privait de tout".
Des témoignages ressort aussi une violence familiale banalisée. "Tout le monde frappe ses enfants", lâche le père, agriculteur, concédant "une gifle ou un coup de pied" si son fils rentre tard ou "vole des fruits".
«Tout le monde avait peur de lui»
"Oui ça arrivait, c'est normal", confirme sa mère Chérifa, 58 ans, visage marqué, couverte d'un châle beige. Elle reconnaît à demi-mot avoir elle-même subi des violences.
Mohamed Lahouaiej-Bouhlel frappe aussi ses frères et soeurs, "quand on touchait ses affaires" ou qu'il devait répéter les choses. "Mais de façon normale (...) il ne laissait pas de traces", banalise à son tour sa soeur Rabeb, 34 ans aujourd'hui.
Dans un témoignage aussi volubile et décousu que ses parents s'étaient montrés réservés, la jeune femme dit à la fois: "Tout le monde avait peur de lui" et "il ne me paraissait pas perturbé du tout".
La violence de son grand frère s'aggrave en 2004, alors qu'il a 19 ans.
Selon Rabeb, "il a changé de comportement, il est devenu énervé" lorsqu'après le bac, il a voulu devenir "coach sportif, et papa a refusé, il voulait qu'il devienne ingénieur".
Son père dément lui avoir "interdit" cette orientation, puis prétend avoir "oublié" l'épisode.
Père et fille racontent en revanche que "Salman" les a, un jour, enfermés dans la maison au moyen de chaînes et de cadenas, après le refus de lui acheter une moto. Un autre jour, il a "cassé toutes les portes et les fenêtres de la maison".
Son père l'emmène alors chez un psychiatre à Sousse, qui évoque un lien avec sa forte consommation de protéines pour la musculation - habitude qu'il avait toujours une fois en France, selon sa tante Rafika.
Le médecin lui prescrit une ordonnance assez lourde - un anti-psychotique, un anxiolytique et un anti-dépresseur.
Entendu pendant l'enquête, le praticien a toutefois précisé que le jeune homme n'ayant pas réagi pendant l'entretien, il n'avait pas pu poser un diagnostic.
Un deuxième rendez-vous était prévu, mais "il n'a pas voulu retourner. Il m'a dit : +ces médicaments me brouillent l'esprit pour étudier+", justifie son père.
"C'est lui qui décide, je ne vais pas l'emmener de force", ajoute-t-il, provoquant la colère de l'une des accusées, Enkeledja Zace, poursuivie pour trafic d'armes.
"C'est pas possible, ça fait six ans... Nous on va en prison" à cause des actes de son fils, s'écrie-t-elle depuis le banc des accusés, avant d'être calmée par plusieurs avocats de la défense.