PARIS: Pendant cinq semaines, les victimes ont raconté l'horreur de l'attentat de Nice et détaillé leurs douleurs depuis. Certains ont aussi exprimé leur "haine" aux accusés, même si la justice ne leur reproche que des liens ténus avec les faits.
"Il y a une disproportion manifeste entre l'immensité d'une douleur, parfaitement compréhensible, et les faits précis" pour lesquels les accusés sont jugés, a observé auprès de l'AFP Clémence Cottineau, avocate de l'un d'entre eux.
Pour Sophie Hébert-Marchal, conseil de parties civiles, ce "décalage" n'est pas lié à "l'absence de l'auteur" de l'attentat. "Que l'auteur ait été là ou non, les victimes auraient réagi de la même manière", estime-t-elle.
Sept hommes (dont un absent) et une femme sont jugés depuis le 5 septembre devant la cour d'assises spéciales de Paris. Mais pas Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, qui avait fait 86 morts au volant d'un camion-bélier le 14 juillet 2016 sur la Promenade des Anglais avant d'être abattu par la police.
Trois membres de son entourage sont renvoyés pour association de malfaiteurs terroriste (AMT), accusés notamment d'avoir eu connaissance de sa radicalisation, cinq pour trafic d'armes, sans qualification terroriste.
Environ 260 victimes ont pris la parole au procès. La plupart ont centré leur récit sur la soirée du 14 juillet et leur vie détruite, se contentant de la formule consacrée "que justice soit faite" pour résumer ce qu'elles attendent du procès.
Certains ont toutefois tenu à s'adresser aux accusés.
«Ceux qui ont fait ça»
Parmi eux Julia, dont le père est mort dans l'attentat: "je suis venue pour dire aux accusés que même s'ils ne sont pas la personne qui a détruit nos vies, j'estime qu'ils doivent être confrontés aux conséquences de ce drame".
La plupart des parties civiles ont évoqués les accusés par une formule générale: "ceux qui ont fait ça", "ceux qui ont commis cet attentat", réclamant parfois "la perpétuité", "parce que c'est impardonnable ce qu'ils ont fait".
Seul l'un des accusés, Ramzi Arefa, en état de récidive légale, encourt cette peine. Les autres risquent entre cinq et vingt ans d'emprisonnement.
"Il n'y a pas de complices parmi les accusés", a rappelé vendredi le président de la cour, Laurent Raviot, "ils ne sont pas jugés pour ça".
"On parle de +seconds couteaux+, mais il y en a quand même trois qui sont là pour AMT, et beaucoup de parties civiles sont convaincues qu'ils ont aidé à la préparation de l'attentat", a analysé Me Hébert-Marchal.
"Les ingrédients qui ont composé notre gâteau plein de sang, c'est tous ces gens-là", a estimé Carolina, une Niçoise d'origine argentine, doigt pointé vers les accusés.
Sans eux, "le conducteur n'aurait pas eu l'intelligence (...) pour y arriver tout seul", a-t-elle poursuivi, demandant un jugement "à la hauteur du mal qu'ils ont fait".
D'autres ont laissé déborder leur colère, comme Alain, dont la petite-fille de 2 ans a été fauchée, qui a réclamé "les travaux forcés" pour les accusés.
«Difficile de canaliser»
"C'est difficile de canaliser des victimes qui ont vu la mort de près" ou qui ont perdu des proches, a souligné Me Hébert-Marchal.
La cour a malgré tout recadré certains débordements.
"Vous avez le droit de ressentir de la haine, mais elle n'a pas sa place dans une enceinte judiciaire", a répliqué Laurent Raviot à Stéphane Erbs, coprésident de l'association Promenade des anges, qui venait de dire que la haine était "la seule chose" qu'il pouvait "tendre" aux accusés.
Une juge assesseur a aussi rappelé que ce serait "le travail de la cour" de déterminer "la culpabilité des accusés", et qu'ils seraient jugés "en fonction des règles applicables, avec les droits qui s'y attachent", alors qu'une victime avait regretté que "les droits de l'Homme" limitent la peine encourue.
L'un des principaux accusés, Mohamed Ghraieb, "comprend la colère de certaines parties civiles, mais le fait qu'elle soit parfois dirigée contre lui ne peut qu'être le fruit d'une confusion", a estimé l'un de ses avocats, Vincent Brengarth.
Un autre accusé, Maksim Celaj, s'est dit "très touché" par les victimes. "C'est douloureux pour lui d'être associé à cet acte odieux", a souligné Me Cottineau, rappelant qu'il était reproché à son client d'avoir transporté une kalachnikov qui n'a pas été utilisée dans l'attentat.
A partir de mardi, la cour examinera le parcours de l'assaillant, puis la personnalité de chaque accusé et leur rôle dans les faits.