ALGER: Il est propre à la culture algérienne de donner un nom, une étiquette à tout. Ainsi, celui qui s’adosse à un mur par désœuvrement est un «hittiste», avec le temps cette pratique oisive est devenue une vocation.
Mais qu’en est-il des murs sur lesquels ces jeunes et moins jeunes s’appuient ? Ces surfaces plus ou moins planes deviennent des tableaux, des exutoires, le réceptacle parfait d’émotions refoulées. De ce sentiment d’impuissance est né dans le pays un art de graffiti linguistique dont les jeunes raffolent.
Jeux de mots, citations célèbres truffées de fautes d’orthographe, déclarations d’amour anonymes enflammées, on trouve de tout.
«Les murs n’ont pas que des oreilles, ils ont aussi une langue. Ils ont des choses à dire et les graffeurs du quotidien ne se privent pas pour y clamer «tout haut ce que la société pense tout bas » explique Karim Ouaras, docteur algérien en sciences sociales, auteur d’une étude sur le sujet.
Fragments de poèmes célèbres, mots d’amour, plaintes lancinantes, rêves d’ailleurs, traits d’humour, questions rhétoriques ou encore discours politiques teintés de revendications sociales, en arabe, en français,en anglais parfois mêlés à la derja, les jeunes Algériens se sont pris d’affection pour cette forme d’expression artistique.
D’après Mustapha Benfodil, auteur à El Watan, «l’omniprésence de la pratique du graffiti dans la sphère publique invite à la réflexion sur la complexité de la vie sociale.».
La raison pour laquelle la jeunesse algérienne s’est prise d’affection pour ces graffitis est qu’une fois rassemblés, ils forment une superbe mosaïque qui laisse transparaître, parfois, le mal-être, la joie, les préoccupations auxquels ils peuvent s’identifier.
Très «instagrammable», ces inscriptions murales gagnent en notoriété.
« À travers لحيوط » (à travers les murs) est une page Instagram algérienne, qui s’évertue à collecter, des quatre coins du pays, des photographies de ces œuvres.
On trouve donc, sous chaque photographie, la ville, voire le quartier, le handle du photographe, la wilaya, la date à laquelle la photo a été prise et même la traduction de la transcription, au cas où les fanatiques de cet art veulent admirer de leurs propres yeux ces fragments de street art.
Avec plus de cinquante mille abonnés, l’intérêt grandissant pour cette forme d’expression plaît à de plus en plus de monde.
Loin d’être un phénomène récent, les premiers graffitis algériens datent de la période de libération nationale.
Nous citerons le très célèbre « un seul héros, le peuple ».
L’impact de ces cinq mots photographiés par Marc Riboud - aussi simple soient-ils - ont galvanisé tout un pays et symbolisent aujourd’hui l’effort commun qui a mené à l’indépendance.
Encore d’actualité, ce même slogan avait été utilisé lors du Hirak et a de nouveau recouvert les murs d’Algérie.
Cette anecdote atteste que cet art est extrêmement affectionné par les Algériens.
Pourquoi ? Car une fois secs, les mots dessinés à l’aérosol, n’appartiennent plus à celui qui les a peint.
Indépendamment de la volonté de l’artiste, souvent anonyme et de sa visée artistique, ils revêtent un sens, et une force qui leur aient propre. Ils se suffisent à eux même.
«Le concept est de partager ce que les murs veulent nous transmettre» expliquent les administratrices de cette page.