Chaque fois que le tsunami du populisme qui submerge le monde occidental semble être vaincu, une nouvelle vague de victoires d'extrême droite oblige les experts libéraux à revenir sur leurs conclusions.
Rares sont les pays de l'Occident démocratique qui en ont été épargnés, alors que ces hooligans radicaux sautent par-dessus les murailles et s'emparent des sièges du pouvoir national. La Suède et l'Italie constituent aujourd’hui leurs deux derniers trophées.
Je me rendais régulièrement en Suède à travers mes fonctions au Forum de Tällberg, un ensemble de débats annuels qui analysait la question: «Comment diable pouvons-nous vivre ensemble?». Les traditions libérales de la Suède sont données en exemple, et jouissent du respect du monde entier. Tout cela est-il désormais destiné à être jeté dans les oubliettes de l'Histoire?
Les Démocrates suédois radicaux anti-immigration ont remporté plus de 20 % des voix lors des élections générales du mois dernier, faisant de leurs 73 députés une force essentielle dans toute nouvelle administration. Il s'agit d'un parti fondé par des sympathisants nazis (l'un d'eux était membre de la Waffen-SS d'Hitler!) et il y a à peine une décennie, il était perçu comme étant trop éloigné du courant politique dominant pour être pris au sérieux.
Par ailleurs, plus au sud, nombreux sont ceux qui sont effrayés par la prochaine Première ministre italienne, Giorgia Meloni, première dirigeante du post-fasciste à remporter une élection nationale italienne depuis la Seconde Guerre mondiale. Le mouvement politique de Meloni, Fratelli d'Italia («Frères d’Italie»), a également des liens étroits avec le néofascisme.
Comme Marine Le Pen en France, Meloni a cherché à conquérir le pouvoir national en affichant auprès de son électorat une image plus douce, tout en cherchant à galvaniser son soutien en jouant sur des figures qui attisent les craintes concernant les immigrés, les étrangers et les tendances libérales. On a soutenu que Meloni devrait gouverner avec modération, n'osant pas risquer de perdre l’important financement européen pour l'Italie, tout en voulant également adopter des mesures populistes qui stimulent sa base politique.
Meloni est une proche alliée du Hongrois Viktor Orban et du Polonais Mateusz Morawiecki, qui apparaissent soudainement beaucoup moins isolés sur la scène européenne. Un chaleureux message de félicitations du bureau d'Orban à Meloni déclarait ainsi de manière inquiétante «qu’en ces temps difficiles, nous avons plus que jamais besoin d'amis qui partagent une vision et une approche communes des défis de l'Europe».
L'Union européenne (UE) risque d'atteindre le seuil critique où elle ne pourra plus être considérée comme un «club libéral», mais comme une entité dans laquelle une masse déterminante d'éléments non libéraux et antidémocratiques collaborent pour miner ses institutions à leurs propres fins.
Le Parlement européen a dernièrement déclaré que la Hongrie était devenue une «autocratie électorale», et a mis en garde contre la perte de l'indépendance judiciaire en Pologne. On craint que l'Italie, après des décennies d'instabilité politique chronique et de gouvernements giratoires, ne suive une voie similaire.
Cette poussée de l’extrême droite a contraint les partis du centre à se positionner davantage à droite. Cela crée une dynamique dangereuse à l'échelle de l'Europe, similaire à la dérive d'Israël après les années 1990 vers l'extrême droite, dans laquelle le discours politique et le consensus populaire se transforment de façon spectaculaire.
Moscou a cultivé des liens étroits avec des factions extrémistes en Serbie, au Danemark, en Norvège, en Autriche, en Moldavie, en Bulgarie et ailleurs, les considérant comme des chevaux de Troie visant à briser la fragile unité européenne. Entre-temps, le conflit en Ukraine a exacerbé les tensions économiques et sociales, compromet la sécurité énergétique et alimentaire, gonfle l'inflation et grève les budgets nationaux.
«Les citoyens doivent se rendre compte que les supercheries empoisonnées vendues par des populistes tels que Trump, Orban et Meloni, ne feront que rendre leurs vies plus difficiles»
Baria Alamuddin
Avec plus de 100 millions de personnes déplacées dans le monde par les conflits, les partis antimigrants exploitent les craintes populaires. Fait révélateur, la Suède et la Hongrie, lors du pic d'arrivées de réfugiés de 2015, étaient les deux États européens avec le plus grand nombre de demandeurs d'asile par habitant. L'Italie a pris en charge la majeure partie des arrivées, alimentant le discours des fascistes qui s'engagent à rejeter les réfugiés à la mer.
Le Parti conservateur britannique sous Boris Johnson et maintenant Liz Truss a également flirté avec les guerres de la culture et de la xénophobie du populisme de droite. Dans sa dernière concession à la droite réactionnaire, Truss spécule maintenant sur le déplacement de l'ambassade de Grande-Bretagne en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem. Une personne qui a été ministre des Affaires étrangères devrait comprendre qu'une telle démarche constituerait un autre coup de poignard dans le dos de la paix au Moyen-Orient. Comment pourrait-elle contester les annexions de Vladimir Poutine, alors qu'une telle décision donnerait une bénédiction tacite à une occupation tout aussi flagrante, condamnée à plusieurs reprises par l'ONU?
La décision de Truss est également remise en question après des réductions d'impôts radicales qui profitent de manière disproportionnée aux multimillionnaires, faisant payer la facture de l’inflation aux citoyens touchés par les hausses de prix. Les marchés ont paniqué et la livre sterling a chuté en réaction à cette proposition économique kamikaze.
J'écris ces mots depuis les États-Unis, où Donald Trump et ses partisans du Maga («Make America Great Again») adoptent la folie des théories du complot QAnon de manière encore plus passionnée. Les interminables scandales et enquêtes autour de Trump ancrent davantage la polarisation américaine. Les Républicains se rendent-ils définitivement inéligibles ou créent-ils de nouveaux discours pernicieux de griefs et de ressentiment qui ouvriront leur chemin vers le pouvoir lors des élections de 2024? Seul l’avenir nous le dira.
Jusqu'à une date relativement récente, tout ce qu’il fallait pour contrôler les tendances d'extrême droite était de les ignorer. La Seconde Guerre mondiale a tellement marqué le psychisme occidental que pendant plusieurs générations, le fascisme d'extrême droite a été à juste titre synonyme des pires formes du mal.
Peut-être que les nouvelles générations, n’ayant pas vécu personnellement de telles horreurs, doivent se rendre compte par elles-mêmes et dans leur propre chair à quel point ces tendances sont vraiment douloureuses, avant que cette fièvre populiste ne puisse éclater. Les citoyens doivent se rendre compte que les supercheries empoisonnées vendues par des populistes comme Trump, Orban et Meloni, ne feront que rendre leurs vies plus difficiles. Le genre de dirigeants dont dispose le monde en cette période de crises multiples est à l'opposé du genre de dirigeants dont nous avons cruellement besoin!
La dernière crise économique de la Grande-Bretagne a brisé la réputation de rectitude en matière économique du Parti conservateur établie depuis des décennies, avec une succession de faux pas désastreux amenant à parler d’un parti qui se rend lui-même inéligible. C'est ainsi que le populisme devient impopulaire!
Par ailleurs, nous ne pouvons qu'espérer que les excès et les désastres du populisme que l’on s’inflige réveilleront la volonté d’avoir des politiciens compétents et consciencieux – des dirigeants qui ne soufflent pas sur la braise et ne menacent pas de brûler des systèmes politiques entiers –, mais offrent plutôt une voie fiable pour diriger le monde occidental, hors d'un dysfonctionnement chronique, revenant à un statu quo dans lequel la bonne gouvernance, l'état de droit et la justice sociale sont considérés comme des valeurs qui valent la peine d’être défendues.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com