Les États et les communautés d’Afrique du Nord sont familiers avec la nécessité d’une gestion prudente de l’eau et à son importance pour une gouvernance efficace en ces temps difficiles.
Des canaux d’eau souterrains traditionnels et des méthodes ingénieuses de collecte et de stockage de l’eau aux barrages modernes, en passant par les projets hydroélectriques, ce sont des innovations et des techniques d’infrastructure qui s’étendent sur une grande période et reflètent l’importance stratégique de la conservation et de l’utilisation prudentes de la ressource dans l’une des régions les plus touchées par le manque d’eau.
Les pays maghrébins reçoivent en moyenne moins de mille mètres cubes d’eau douce renouvelable par personne et par an. L’urgence climatique mondiale croissante exerce une pression de plus en plus grande sur les infrastructures hydrauliques de la région, car les niveaux, l’intensité et la variabilité des précipitations saisonnières changent radicalement avec le climat.
Leurs systèmes climatiques, leurs cycles hydrologiques et leur géographie similaires signifient que les pays d’Afrique du Nord ont tendance à souffrir de phénomènes climatiques identiques, comme les sécheresses graves et prolongées et les incendies de forêt dévastateurs.
Les experts prédisent que les précipitations continueront de diminuer dans les années à venir, même si la population augmente, ce qui nécessitera des interventions urgentes pour anticiper les pénuries et la réduction de la capacité hydroélectrique et agricole. L’inaction continue exacerbera les répercussions sur les secteurs économiques qui connaissent déjà des turbulences sur les plans social, économique et politique en raison de l’instabilité persistante et même des conflits.
Cela ne s’applique pas seulement à l’Afrique du Nord. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) des Nations unies, plus de cinq cents millions de personnes dans le monde font face à des risques climatiques importants et interconnectés.
Au Maghreb, la situation sera bien pire. Les températures moyennes devraient être de 20 % supérieures à celles du reste du monde dans les années à venir. La sous-région connaît déjà des chocs liés au climat sous forme de vagues de chaleur record, de graves pénuries d’eau, de pertes de biodiversité dues à des incendies de forêt et de menaces majeures pour la production agricole.
En outre, les groupes vulnérables de la population et ceux confrontés à des situations de fragilité qui connaissent déjà une extrême pauvreté doivent désormais faire face à des ressources en eau de plus en plus rares, alors même que les populations sont plus importantes, que les niveaux de revenu augmentent et que l’urbanisation s’intensifie, ce qui aggrave encore plus les difficultés.
En d’autres termes, les risques climatiques non atténués ajoutent continuellement de nouveaux niveaux de complexité à cette sous-région concernant la main-d’œuvre, la mobilité humaine, l’établissement et l’habitabilité, puisque la dégradation accélérée de l’environnement met davantage en danger la sécurité alimentaire et hydrique.
Déjà, l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) prédit qu’en l’absence d’intervention rapide, les récoltes à travers le monde pourraient diminuer de 20 % d’ici à 2050, les systèmes agricoles pluviaux subissant les répercussions les plus importantes. La réduction des ressources en eau menacera également l’élevage en raison de la dégradation accélérée des terres, de la réduction des approvisionnements en aliments pour animaux et de la diminution des pâturages.
Même en mer, la hausse des températures et la réduction des précipitations affecteront également la pêche, ce qui illustre à quel point l’inaction peut facilement et rapidement faire du réchauffement un effet multiplicateur de la crise.
«L’urgence climatique mondiale croissante exerce une pression de plus en plus grande sur les infrastructures hydrauliques de la région, car les niveaux, l’intensité et la variabilité des précipitations saisonnières changent radicalement avec le climat.» - Hafed al-Ghwell
Au Maghreb, certains de ces effets sont déjà évidents et, dans certains cas, deviennent plus fréquents. Les communautés rurales plus pauvres sont incapables de maintenir des niveaux de production agricole adéquats pour subvenir à leurs besoins, car l’agriculture est une activité à forte consommation d’eau qui est extrêmement vulnérable aux niveaux de précipitations très variables.
Cela ne s’arrête pas là. Dans des pays comme le Maroc, la Tunisie et l’Algérie, où le secteur agricole génère jusqu’à un cinquième du produit intérieur brut national et constitue une importante exportation non pétrolière, la moindre perturbation aura des effets exponentiels sur l’économie et la société.
À titre d’exemple, 20 à 33 % de la population active au Maroc et en Tunisie puise ses moyens de subsistance dans le secteur agricole, ce qui signifie qu’à mesure que les précipitations diminuent, que les forêts brûlent et que les graves sécheresses deviennent plus fréquentes, de larges pans de la population d’Afrique du Nord pourraient rejoindre les rangs grandissants des chômeurs, des désespérés et des pauvres.
Ce n’est un secret pour personne que la disponibilité de l’eau, son accès ininterrompu et son utilisation bien gérée ont des effets extrêmement positifs sur la société, comme les transformations agricoles qui peuvent favoriser une plus grande sécurité alimentaire pour maintenir les moyens de subsistance, améliorer le bien-être des citoyens et, enfin, renforcer la résilience face aux chocs futurs, y compris ceux qui ne sont pas liés au changement climatique.
Cependant, alors que les cinq pays du Maghreb sont considérés comme fortement ou extrêmement soumis à un stress hydrique, tout risque supplémentaire, ainsi que les réponses lentes ou inadéquates, est susceptible de bouleverser la relation déjà fragile entre l’alimentation, l’eau et l’énergie dans la sous-région.
Cela pourrait, à terme, déclencher des mouvements de masse parmi les populations qui n’ont d’autre choix que de fuir des zones de plus en plus inhospitalières, des pénuries aiguës des produits de première nécessité, ou une instabilité et des conflits nationaux ou régionaux.
Pire encore, très peu de progrès ont été réalisés jusqu’à présent, car selon les indicateurs utilisés dans la toute première évaluation de l’Organisation des nations unies (ONU) sur la sécurité de l’eau en Afrique, l’ensemble du continent n’a réussi à améliorer sa sécurité en eau que de 1,1 % depuis 2015.
Il est grand temps pour le Maghreb d’exploiter son Histoire séculaire de pratiques éprouvées et durables de gestion de l’eau pour lutter contre l’intensification de la pénurie d’eau.
L’agriculture moderne, qui consomme beaucoup d’eau, doit céder la place ou côtoyer les techniques traditionnelles d’irrigation et de gestion de l’eau – comme les techniques d’irrigation des sols sablonneux de la Tunisie qui permettent aux exploitations agricoles de prospérer toute l’année – qui sont devenues un héritage historique.
Il en va de même pour la foggara algérienne ou la khettara marocaine. Ces systèmes d’irrigation souterraine sont conçus pour faire face à l’aridité et à la chaleur du Sahara tout en permettant des débits d’eau constants et en empêchant l’évaporation.
Même dans ce cas, cela ne suffira pas, car l’urbanisation rapide a conduit plus de la moitié des populations de la sous-région à vivre dans des zones côtières, loin des sources d’eau intérieures comme les eaux souterraines et les régions montagneuses à plus fortes précipitations.
À ce jour, les pays d’Afrique du Nord ont encore des difficultés à concevoir et à construire des infrastructures pour transporter l’eau vers les villes côtières densément peuplées de manière à ne pas assécher les aquifères du désert et à épuiser les eaux souterraines, qui sont une ressource limitée, plus rapidement qu’elles ne peuvent être reconstituées.
En outre, il existe peu de volonté politique ou de capacité à s’engager dans une planification urbaine environnementale ou «verte» qui permettrait aux villes densément peuplées d’utiliser plus efficacement l’énergie et l’eau. La hausse des températures et la migration des populations rurales vers les zones urbaines ne feront qu’exacerber la rareté des ressources et introduire de nouvelles contraintes avant que la sous-région ne puisse s’adapter, si jamais elle le fait.
Compte tenu de l’importance de la sécurité de l’eau, l’intensification de la concurrence pour l’accès à cette ressource précieuse peut, sans garanties adéquates, se transformer rapidement en conflit entre les communautés locales confrontées à une fragilité accrue et les États-nations en raison des effets déstabilisateurs de la rareté de l’eau.
D’autre part, l’engagement coopératif et la gestion des ressources en eau partagées peuvent catalyser une coopération durable même entre des acteurs rivaux ou les communautés les plus diamétralement opposées. Heureusement, le manque de fleuves et de lacs transfrontaliers signifie que le Maghreb est épargné par les tensions et les conflits potentiels entre États riverains concernant les ressources en eau partagées, qui risquent de se produire avec une plus grande fréquence à mesure que les effets du changement climatique s’aggraveront dans les décennies à venir.
Cependant, les aquifères tentaculaires, qui ont tendance à traverser les frontières nationales, peuvent devenir des sources de nouveaux conflits, car, contrairement aux idées reçues, les sources d’eau souterraine ne sont pas infinies.
Le Maroc et l’Algérie font déjà face à une rivalité illusoire autour du bassin Bounaim-Taffna. Les deux parties sont engagées dans une surexploitation imprudente avec peu ou pas de perspective de coopération bilatérale dans la gestion de cette précieuse ressource, malgré le précédent créé par la gestion collaborative du système aquifère du Sahara septentrional. Il est peu probable que Rabat ou Alger compartimentent d’autres sources de rivalité pour gérer conjointement le bassin Bounaim-Taffna, même si cela pouvait être mutuellement bénéfique.
Malheureusement, à mesure que les défis nationaux pressants se multiplient, les pays maghrébins éviteront une coopération indispensable au profit de l’inaction ou d’interventions au coup par coup qui ne feront qu’aggraver les problèmes liés au climat, même lorsqu’il existe des capacités, une expertise, une volonté et un financement suffisants pour protéger les plus vulnérables de la sous-région: les pauvres.
Hafed al-Ghwell est chercheur principal et directeur exécutif de l’Initiative stratégique d’Ibn Khaldoun au Foreign Policy Institute de la John Hopkins University School of Advanced International Studies à Washington. Il a précédemment occupé le poste de président du conseil d’administration du Groupe de la Banque mondiale.
Twitter: @HafedAlGhwell
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com