Quelque temps avant sa disparition, Nabile Farès me confiait sa frustration de n’avoir pas pu écrire un roman qui lui tenait à cœur et dont le titre aurait été La Mort du Conteur. Je ne pensais pas que, quelques années plus tard, précisément le 2 septembre 2022, faute de lire ce roman, je le vivrais à travers la disparition de mon oncle Djafer Chibani, «dernier des Mohicans», comme il se surnommait en reconnaissant ce qu’il avait de spécifique dans une société kabyle où la culture est réduite à sa composante la plus folklorique.
Ce qui est difficile à accepter dans la mort d’un conteur, c’est moins la disparition de l’homme à laquelle la vie prend le temps de nous préparer que le silence qui embaume ce même corps.
Un conteur comme Djafer Chibani a toujours une histoire à raconter, un proverbe à citer, une anecdote à développer, tant raconter est pour lui source de plaisir. Même la banale question «Comment vas-tu ?» fait couler la source de l’imagination du conteur qui commence toujours sa réponse par un «Akken i s-yenna winna…» (Comme dirait l’autre…). Et de demander : «Tu la connais cette histoire, n’est-ce pas ?» Bien sûr que non, et cela le conteur le sait. D’ailleurs, il n’attend pas la réponse quand il se lance dans son récit.
Ce qui est difficile à vivre aussi dans La Mort du Conteur, c’est la disparition du monde qu’il porte, qu’il configure au gré des rencontres et dont lui seul a la clé pour nous y faire entrer. Nous pouvons bien nous dire que l’homme est toujours parmi nous, mais ce monde plus vivant que tout être vivant nous sera à jamais inaccessible. En cela, la mort du conteur appauvrit toute l’humanité.
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