KABOUL: Une éminente avocate, défenseure des droits des femmes et membre de la délégation de négociateurs du gouvernement afghan lors des pourparlers de paix avec les Talibans a affirmé que malgré des négociations en cours à Doha, au Qatar, le groupe rebelle espérait toujours reprendre le pouvoir par «des moyens militaires.»
« Les Talibans, (depuis la signature de l'accord avec les États-Unis) se prennent pour les vainqueurs, pensent qu’ils sont en position de force et qu’ils peuvent probablement gagner aussi militairement… ce qui est totalement faux », a soutenu Fawzia Koofi, qui fait partie du groupe des quatre négociateurs qui sont retournés en Afghanistan la semaine dernière, invoquant l'absence de progrès dans les négociations de Doha.
Les pourparlers inter-afghans ont débuté le 12 septembre après un accord négocié par les États-Unis avec les Talibans en février 2020 pour trouver un règlement pacifique au conflit dans le pays. Les deux parties n'ont toutefois pas réussi à élaborer un processus pour aboutir à des négociations, et encore moins à s'engager dans de vrais pourparlers.
L’accord de février conclu sous l’égide des États-Unis devait permettre de mettre en œuvre deux mesures clés : un programme d’échange de prisonniers entre le gouvernement afghan et les Talibans et le retrait complet du pays des troupes étrangères dirigées par les États-Unis, mettant ainsi fin au conflit le plus long de l’histoire de Washington.
Les arrière-pensées des Talibans
L’accord de Washington a donné aux militants « l’impression qu’ils pouvaient reprendre le pouvoir par la force », comme pendant les années 1990, marquées par l’anarchie après le retrait des troupes de l’ancienne Union soviétique du pays, a précisé Fawzia Koofi à Arab News.
L’avocate est l'une des quatre femmes désignées pour prendre part aux pourparlers avec les Talibans. Elle a déclaré que, contrairement à l'esprit de l'accord conclu avec les États-Unis, le groupe rebelle a «intensifié les attaques à travers le pays, malgré la promesse de réduire la violence après la libération de milliers de ses prisonniers des prisons afghanes.»
« Même s’ils réalisent des avancées militaires par la violence, cela ne sera pas durable. Maintenant que nous avons enclenché cette dynamique, les pays de la région sont en faveur de la paix, tout le monde est pour la paix, et nous devons nous concentrer sur la façon dont nous pouvons parvenir à une paix durable », a affirmé Fawzia Koofi.
Ses préoccupations sont tout à fait fondées.
Selon un rapport de l'ONU rendu public le 27 octobre, plus de 6 000 civils afghans ont été tués ou blessés au cours des neuf premiers mois de l'année en raison de l'intensification de la violence et des combats entre les forces gouvernementales et les combattants talibans.
« Compte tenu de la recrudescence des attaques de la part des Talibans, je pense qu'il existe des approches différentes entre les négociateurs talibans présents au Qatar et leurs commandants militaires sur le terrain. Les Talibans doivent vraiment prouver qu'ils ont une position unie », a-t-elle assuré. L’avocat a également ajouté que le retrait des troupes américaines était également « conditionnel ». Elle a en effet affirmé qu’en « l’absence d'un règlement politique entre les Talibans et le gouvernement afghan, les soldats ne peuvent pas quitter le pays.»
Fervente militante des droits des femmes, Fawzia Koofi a été élue députée en Afghanistan, et a été nominée pour le Prix Nobel de la paix cette année.
En août, elle a survécu à une tentative d'assassinat lorsque des hommes armés ont ouvert le feu sur son convoi au nord de Kaboul. À l'époque, elle a décrit l'attaque comme le travail de « saboteurs de paix », laissant entendre que Daech aurait été derrière le coup.
Bien que critique des Talibans, elle a fait partie d'un groupe qui a tenu en 2019 une réunion exceptionnelle avec les dirigeants talibans en Russie.
Les Talibans encore méfiants à l’égard des femmes
Elle raconte à Arab News son expérience à la table des négociations avec les Talibans. « Je suis habituée à cet environnement. J’ai essayé de normaliser la situation et de faire comme si nous étions des personnes d’opinions politiques différentes, et pas seulement de sexe opposé. Cela n'a pas été facile. Nous parlons de l'avenir de notre pays, nous avons des opinions politiques divergentes, mais acceptons le fait que nous pouvons être différents.»
La défenseure des droits des femmes a trouvé qu’il semblait « plus facile » aux Talibans de participer aux pourparlers avec des femmes, après la réunion qui s’est tenue l'année dernière en Russie. « Je pense que pour les Talibans qui avaient participé auparavant aux pourparlers, la présence des femmes était plus facile à accepter que pour ceux qui ont rejoint plus récemment le groupe à la table des négociations. Ils ont encore un long chemin à parcourir avant d’accepter le fait que l’Afghanistan est représenté par des femmes.»
Hors des réunions du groupe de contact, les Talibans se sont montrés beaucoup plus rigides, estime Fawzia Koofi. « Certains d'entre eux n'ont même pas regardé les femmes dans les yeux.»
Bien que les Talibans se soient engagés à défendre les droits des femmes avant le début des pourparlers inter-afghans, l’avocate a déclaré que la manière dont ils comptaient y arriver n’était pas claire. « Les Talibans n’ont pas expliqué comment ils comptaient donner un rôle aux femmes dans le futur Afghanistan.»
Pendant les cinq ans pendant lesquels ils ont exercé le pouvoir – de 1996 à l’entrée des États-Unis sur le territoire en 2001 - les Talibans ont interdit aux femmes de travailler et de s’instruire. « Les Talibans devraient comprendre que l’Afghanistan d’aujourd’hui n’est certainement plus celui qu’il dirigeaient. À l’époque, le pays était en guerre, les gens recherchaient une certaine stabilité, et ils (les Talibans) ont réussi. Mais à l'heure actuelle, les Afghans ont des points de vue différents sur le gouvernement, et ils ne sont pas en faveur d’un émirat islamique.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com