MARCOUSSIS :"Les absents ont toujours tort", mais la porte reste "ouverte": Emmanuel Macron a mis sur les rails jeudi le Conseil national de la refondation (CNR), destiné à réformer la France mais boycotté par les oppositions et une partie des syndicats, qui sera accompagné par une large consultation des citoyens en ligne.
"Nous sommes dans une situation historique", avec les défis climatique, énergétique et la guerre en Ukraine, a martelé le chef de l'Etat devant la presse avant d'ouvrir la séance inaugurale du CNR, en présence d'une quarantaine de représentants des élus, du patronat, de syndicats et d'associations, et d'une dizaine de ministres.
Dans ce contexte, il faut "s'armer de bonne volonté, de courage" et "agir sur le terrain" pour "changer les choses en profondeur", a-t-il lancé dans le décor du Centre national du rugby à Marcoussis (Essonne).
"L'objet de ce CNR c'est de dézoomer. L'action du gouvernement, le Parlement, ce n'est pas le dézoomage. Vous enquillez le projet de loi de finances, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, vous n'avez pas ce regard posé", souligne un conseiller de l'exécutif.
Cette nouvelle méthode de gouvernance, annoncée par le président avant les législatives en juin et voulue comme un outil de "renouveau démocratique", est boycottée par tous les partis d'opposition.
"Les absents ont toujours tort", a répliqué Emmanuel Macron. Mais la "porte sera toujours ouverte", a-t-il assuré.
De l'extrême droite à l'extrême gauche, les oppositions voient avant tout dans le CNR un moyen pour le président de contourner le Parlement, où son camp n'a plus de majorité absolue, pour reprendre la main dans le débat public.
«Référendums»
Les Français sont aussi dubitatifs : 56% d'entre eux ne pensent pas que le CNR soit un "moyen efficace pour trouver de nouvelles solutions" aux problèmes actuels, selon l'institut Odoxa.
En présentant les contours de la réunion, Emmanuel Macron n'a pas exclu que des propositions issues du CNR puissent "déboucher sur des référendums".
Cinq grands thèmes ont été retenus dans les échanges à venir: le plein emploi, l’école, la santé, le "bien vieillir" et la transition écologique.
Une "consultation nationale très large" des Français sera aussi proposée en ligne "dès la semaine prochaine", a-t-il annoncé. Un site dédié au CNR doit aussi être lancé dans la soirée.
Le CNR a débuté ses travaux loin des yeux du public, à huis clos, certains participants n'ayant pas souhaité une diffusion des débats, selon l'Elysée. "La clé (était) d'installer la confiance", a fait valoir Emmanuel Macron.
Le président du Sénat, Gérard Larcher (LR), a refusé de venir, estimant que "la démocratie représentative" c'est le Parlement, et qu'il existe déjà un "forum de la société civile" avec le Conseil économique, social et environnemental.
Côté majorité, l'ex-Premier ministre Edouard Philippe, retenu par un congrès au Québec, était le grand absent mais s'est fait représenter.
Seuls trois syndicats ont répondu présents: la CFDT, la CFTC et l'Unsa.
Les syndicats ont invité à ne pas polluer les débats avec le sujet des retraites
Les trois syndicats qui ont participé jeudi au lancement du Conseil national de la refondation ont invité l'exécutif à mettre de côté son projet de reporter l'âge légal de la retraite, s'il ne veut pas compromettre la "volonté d'écoute" qui est désormais son mantra.
"J'ai redit (...) qu'il ne faut pas que l'action du gouvernement entrave cette volonté d'écoute et d'ouverture par des prises de décision qui seraient clivantes. Je pense notamment au sujet des retraites", a affirmé le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, au sortir de la réunion à Marcoussis (Essonne).
Le premier syndicat français est fermement opposé à un report de l'âge légal de la retraite, promesse de campagne d'Emmanuel Macron.
"On peut considérer qu'il y a une forme de loyauté, une forme de compréhension que le risque démocratique qui est le nôtre aujourd'hui nécessite d'écouter davantage la société civile", a estimé M. Berger, pour résumer l'ambiance des débats.
L'Unsa a elle aussi dit au président "qu'on ne pouvait pas construire du consensus si des sujets qui pouvaient refracturer le pays étaient mis à l'agenda", notamment "l'âge légal pour les retraites", a relaté son patron Laurent Escure à l'AFP.
"J'ai l'impression que le président a bien compris que s'il voulait réussir son opération, c'est-à-dire trouver une nouvelle méthode qui fabrique des compromis, des consensus, on ne commençait pas par se déchirer sur des sujets qui sont explosifs", a-t-il commenté.
"Cela ne veut pas dire que je suis complètement rassuré", a-t-il ajouté.
Si le gouvernement devait persister dans sa volonté de mettre en œuvre la réforme, "les discussions (au sein du CNR) n'auraient plus de sens", a mis en garde M. Escure.
Le sujet des retraites a été "bien mis de côté" tout au long de la journée, et ne fait pas partie des futurs chantiers du CNR, selon Cyril Chabanier de la CFTC.
"Je pense qu'ils ont compris que (...) s'il y avait le sujet retraites avec les mesures paramétriques, les organisations syndicales ils les perdaient du CNR. (...) Espérons que cela va continuer comme ça", a-t-il dit.
Les trois syndicats ont souligné qu'il manquait à l'agenda des discussions le thème de la pauvreté et des inégalités, mais "les débats ont permis que ce soit intégré à l'agenda", a dit M. Escure.
«Inégalités»
Après un propos introductif du président, les participants ont présenté leurs attentes et priorités.
"Monsieur le président, ma question est simple, on en fait quoi" des 102 propositions de l'Assemblée des départements de France ? a demandé son président François Sauvadet (UDI), en alertant sur des départements dont "les dépenses sociales explosent" et dont les "plans d’investissements (sont) à la baisse", selon son discours devant le CNR obtenu par l'AFP.
Présent au CNR et joint par l'AFP, Noam Leandri, président du collectif Alerte, qui rassemble les grandes associations françaises de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, a regretté que le thème des "inégalités" n'ait pas été abordé en soi, et que la méthode reste "floue".
Le président de la Cour des comptes Pierre Moscovici a de nouveau appelé au désendettement pour "préparer l'avenir", en prônant des "marges d'efficience" côté santé et une "meilleure qualité de la dépense" dans l’éducation.
Dans l'après-midi, la Première ministre Élisabeth Borne devait présider une réunion pour déterminer les chantiers à venir "en vue de transformations durables" selon une source au CNR.
Après une rencontre mercredi avec les élus ultramarins, le président a annoncé qu'une méthode similaire allait être déclinée dans les Outre-mer afin de trouver des "solutions sur mesure".