BELLINZONE: Le parquet suisse a requis jeudi 14 ans de réclusion contre la Suissesse ayant tenté d'égorger en 2020 deux femmes dans un grand magasin au nom du groupe djihadiste Etat islamique, estimant que les problèmes mentaux dont elle souffre ne sont pas incompatibles avec le "terrorisme".
Toutefois, la procureure, Elisabetta Tizzoni, a demandé que la peine de 14 ans de "réclusion" soit "suspendue" afin que l'accusée suive un traitement médical dans un centre fermé tant que le risque de récidive demeure.
"La folie ne dépend pas de l'homme mais de la cause", ont été les premiers mots de la procureure, à l'ouverture de son réquisitoire au tribunal pénal fédéral à Bellinzone (sud).
"Acte de folie ou terrorisme? Les deux hypothèses ne s'excluent pas", a-t-elle poursuivi, soutenant qu'une personne souffrant de problèmes mentaux "peut être capable de commettre un acte terroriste".
La Suisse n'a pas connu d'attentat djihadiste d'envergure mais deux attaques au couteau en 2020.
Le 24 novembre 2020, l'accusée --28 ans au moment des faits et convertie à l'islam-- a tenté d'égorger deux femmes dans un grand magasin de Lugano, région italophone suisse, après avoir acheté un couteau sur place.
L'une des victimes, grièvement blessée au cou, s'est constituée partie civile et réclame 440.000 francs suisses (450.000 euros).
La seconde, blessée à une main, a réussi à maîtriser l'assaillante avec d'autres personnes.
"L'inculpée a porté le terrorisme à nos portes. (...) C'est un cas symbolique pour notre pays", a déclaré la procureure.
En l'espèce, a-t-elle poursuivi, "l'inculpée a commis un attentat terroriste avec une arme blanche", avant d'asséner: elle "voulait tuer, sans scrupule et sans pitié, non pas une mais plusieurs victimes au nom d'une idéologie violente".
Selon les experts cités à la barre cette semaine par la cour, l'accusée souffre d'un léger retard mental et d'une sorte de schizophrénie et présente un risque de récidive.
La défense devrait s'appuyer sur son état mental pour réfuter le motif "terroriste".
Lors de l'attaque, la jeune femme avait crié à plusieurs reprises "Allahou Akbar" et "Je vengerai le prophète Mahomet", et déclaré "Je suis ici pour l'EI", en référence au groupe djihadiste Etat islamique, selon l'acte d'accusation.
Elle est jugée pour "tentatives répétées d'assassinat" et violation de l'article de la loi fédérale interdisant les groupes djihadistes Al-Qaïda et Etat islamique. Elle est également poursuivie pour avoir exercé la prostitution sans le déclarer entre 2017 et 2020.
Elle "voulait répandre la peur et l'effroi, mais aussi diffuser le message de l'Etat islamique", a affirmé la procureure.
Le verdict pourrait tomber le 19 septembre et les parties pourront faire appel.
Noël
Pendant son interrogatoire par la cour, l'accusée, née de père suisse et de mère serbe, n'a fait état d'aucun remords, et a même assuré que si c'était à refaire, elle le referait mais "mieux... avec des complices".
Elle a répondu volontiers aux nombreuses questions de la cour sur son mode opératoire et a expliqué avoir voulu agir le 24 décembre, avant finalement d'opter pour le 24 novembre, craignant qu'il n'y ait trop de sécurité à la veille de Noël.
C'est sur les réseaux sociaux qu'elle a découvert il y a plusieurs années le djihadisme et le groupe Etat islamique, y publiant elle-même des messages et des photos sur le sujet. Elle a assuré avoir déjà fait part sur ces réseaux de sa volonté d'organiser une attaque.
Elle tenait depuis longtemps, a-t-elle insisté, à "faire quelque chose pour l'Etat islamique" et à prouver qu'elle pouvait commettre un "acte terroriste".
C'est d'ailleurs sur ces réseaux qu'elle est "tombée amoureuse" en 2017 d'un combattant djihadiste en Syrie, qu'elle a tenté de rejoindre avant d'être arrêtée à la frontière turco-syrienne et renvoyée en Suisse, puis placée dans une institution psychiatrique.
Selon les deux experts en psychiatrie cités à la barre par la cour, la jeune femme présente un risque de récidive et doit être placée dans une institution fermée où elle pourra continuer à bénéficier de soins psychiatriques.
Elle est actuellement incarcérée en exécution anticipée de peine, et bénéficie d'un traitement médical.
Suivie depuis très jeune par des psychologues, la jeune femme a souffert de crises d'épilepsie pendant l'enfance et d'anorexie pendant l'adolescence. Elle n'a pas fait d'études supérieures mais elle a fait des stages de coiffure et de vendeuse.
Elle a expliqué être tombée enceinte à 17 ans de son futur mari, d'origine afghane, qu'elle a épousé à 19 ans et dont elle a fini par divorcer en 2021. Son mari ne voulait pas qu'elle étudie, ni qu'elle avorte. Ne souhaitant pas s'occuper de l'enfant, elle l'a confié à ses parents, qui l'ont adopté.
La Suisse n'a pas connu d'attentat djihadiste d'envergure mais deux attaques au couteau en 2020.