En décembre dernier, le gouvernement russe a ordonné la fermeture du Centre de défense des droits humains de Memorial. Une vague d'indignation s'est élevée des coulisses du pouvoir des pays occidentaux.
Le département d'État américain a dénoncé cette décision. «Elle constitue une violation de la noble mission de ce groupe et un affront aux droits de l'homme à travers le monde», a-t-il déclaré.
En effet, cette décision méritait d'être contestée. Cependant, une forme d’hypocrisie se dégageait de ces mots d'indignation, que l’on ressent aujourd’hui encore. Deux mois se sont à peine écoulés depuis qu’un allié de l'Occident qui n'est autre qu'Israël a réprimé six organisations palestiniennes de défense des droits de l'homme et de la société civile. Un silence collectif et orchestré a retenti. Washington s'est contenté de dire qu'il recherchait «de plus amples informations».
Cette quête d'informations a certes été lente. Peu a été dit depuis. Pourtant, ce silence de cathédrale n'a pas seulement contaminé Washington. Il a également été observé par le gouvernement britannique, qui a pourtant condamné la fermeture de l'International Memorial. Les gouvernements des pays de l'Union européenne n’ont pas fait mieux.
Même dans ses rêves les plus fous, Israël n'aurait pas espéré que les principaux acteurs internationaux réagissent avec autant de mollesse et de lâcheté. Il ne faut donc pas s'étonner si l'armée israélienne a perquisitionné sept organisations issues de la société civile le 18 août dernier. Elle a scellé leurs entrées à l'aide de portes en fer vissées. Après avoir désigné ces groupes comme terroristes, le ministre israélien de la Défense est passé à l'étape suivante. Les comptes bancaires ont ainsi été gelés et les donateurs menacés. D'un jour à l'autre, le personnel sera sans doute appréhendé et traduit devant les tribunaux militaires, des instances qui n'ont de tribunaux que le nom.
Ces événements sont survenus cent jours seulement après l'assassinat de la journaliste Shireen Abou Akleh, qui est très probablement l’œuvre d’un sniper israélien. La même maladie apparaît ici. Les dirigeants israéliens sont conscients de ce fait: ils peuvent se permettre n'importe quel crime, pourvu qu'il n'embarrasse pas leurs amis de Washington et des capitales européennes. Toutefois, il semble difficile de gêner les dirigeants européens et américains ces derniers temps. En effet, on a assisté la semaine dernière à une nouvelle scène pathétique: le secrétaire d'État américain, Antony Blinken, a demandé à Israël de revoir les règles d'engagement auxquelles ce dernier est soumis.
Israël prétend respecter les valeurs morales, alors que ses dirigeants se vautrent dans les caniveaux.
Le moins que l'on puisse dire, c’est que l'Union européenne (UE) n’a pas affiché la révolte dont Londres et Washington ont fait preuve. Elle a en effet exigé que des preuves soient fournies pour expliquer pourquoi Israël avait désigné ces groupes comme terroristes. Mais peut-on s'étonner qu'Israël n'ait pas réussi à fournir ces preuves? L'UE s'est par ailleurs montrée suffisamment courageuse pour déclarer qu'Israël n’avait pas fourni les justifications requises. Mais les porte-parole de l’UE se contentent à ce jour d'exprimer leur profonde préoccupation. Ce sont les diplomates qui s’en chargent, et non les chefs de gouvernement.
Certains s'interrogent sur la raison pour laquelle ces événements méritent d'être soulignés. Il ne s'agit pourtant que de six groupes de la société civile; ils sont inconnus de la plupart des gens.
En réprimant la société civile, Israël ne cherche pas à remettre les Palestiniens à leur place. Son objectif est de les priver de leur droit à l'autodétermination.
Chris Doyle
Premièrement, Israël souhaite agir en toute liberté dans les territoires occupés. Il maîtrise parfaitement la diplomatie internationale. Les seules plaintes proviennent des organes impuissants des Nations unies. Le Conseil de sécurité, lui, observe le silence. Les groupes de défense des droits de l'homme irritent quelque peu Israël.
Deuxièmement, les multiples composantes de la société civile en Palestinienne constituent l'opposition et la menace les plus virulentes à l'occupation israélienne, qui remonte à cinquante-cinq ans. L'Autorité palestinienne fait preuve d'une faiblesse démesurée. Elle ne bénéficie plus d’un soutien régional et se plie aux exigences de plus en plus strictes de la communauté des donateurs. Elle est gênée de devoir céder aux exigences d'Israël, notamment en matière de sécurité.
En revanche, la société civile palestinienne recueille un large soutien parmi les Palestiniens. C'est elle qui unifie la société palestinienne. L'unification va à l'encontre de la stratégie «diviser pour régner» employée par l'occupant israélien. Aux yeux des Palestiniens, la société civile est plus crédible et plus attentive à leurs revendications ainsi qu’à leurs aspirations. Elle fait appel au dynamisme inexploité des jeunes Palestiniens instruits et motivés; un grand nombre parmi ces derniers ont joué un rôle prépondérant dans la défense de Jérusalem, comme à Cheikh Jarrah, par exemple.
Troisièmement, la démocratie, en Palestine, émane de la société civile. Israël craint que les Palestiniens ne se dotent d'un système démocratique. Il est favorable à un pouvoir autoritaire et corrompu, voire émasculé, qui dispose d'une maigre légitimité. La société civile est la seule composante susceptible de produire une nouvelle autorité palestinienne revigorée et dynamique.
Quatrièmement, il est vrai que les politiciens et les diplomates favorisent Israël. Toutefois, ses dirigeants ne perdent pas de vue les voies juridiques existantes. L'État de Palestine fait désormais partie de la Cour pénale internationale. Il a obtenu l'ouverture d'une enquête sur les crimes commis par Israël dans les territoires que ce dernier a occupés en 1967, lui qui souhaite s'affranchir de toute procédure judiciaire et contenir les condamnations qui lui sont adressées.
Al-Haq, Addameer, Defence for Children International et d’autres groupes de défense des droits humains recueillent de manière régulière et efficace des preuves qu'ils envoient à La Haye. Les prix qui leur sont décernés et le respect dont ils jouissent au sein de la communauté internationale des droits de l'homme attestent de leur sérieux.
Enfin, la plupart des intentions des dirigeants israéliens vont à l'encontre du droit international et des droits de l'homme. Les abus qu'ils commettent sont les plus atroces qu'on ait connus depuis des décennies. En mai dernier, la Haute Cour israélienne a avalisé le nettoyage ethnique pratiqué par les Israéliens à l'encontre des communautés palestiniennes des collines du sud de Hébron, à Masafer Yatta. Il s’agit pourtant du nettoyage ethnique le plus effroyable réalisé par Israël depuis des décennies. Le gouvernement israélien avance sur le même chemin et collabore avec les organisations de colons dans la partie occupée de Jérusalem-Est, et plus particulièrement dans les zones qui entourent la Vieille Ville.
Israël a en outre pour ambition de mettre en œuvre des mégaprojets de colonisation qui ont tous pour but de décimer encore davantage un État palestinien déjà moribond. Le projet E1 prévoit l'annexion de terres à l'est de Jérusalem. Givat Hamatos va séparer Jérusalem du sud de la Cisjordanie. Quant au dernier projet de colonisation à Kalandia, il séparera Jérusalem-Est du sud de Ramallah.
En réprimant la société civile, Israël ne cherche pas à remettre les Palestiniens à leur place. Son objectif est de les priver de leur droit à l'autodétermination, de les effacer en tant que peuple qui jouit de droits et d'aspirations. Il faut que les forces militaires écrasent la société civile palestinienne. Des accusations malveillantes d'antisémitisme, fausses ou exagérées, sont proférées à l'encontre de la société civile internationale. Aux yeux du gouvernement israélien, il convient d'isoler les deux entités l'une de l'autre et d'oublier la question palestinienne.
Le rêve d'Israël de bénéficier d'une impunité perpétuelle se réalise peu à peu. Les États-Unis ont réagi de manière timide à l'assassinat d'un citoyen américain par les forces israéliennes. Quel dirigeant ose parler d'Israël lorsqu'il évoque les résolutions du Conseil de sécurité? Les sanctions sont interdites. Quelle est la dernière fois qu’un ambassadeur d'Israël a été convoqué dans une capitale européenne?
Pour Israël, la pièce de résistance est la suivante: il prétend respecter les valeurs morales, affirme que son armée est la plus intègre du monde et qu'il se soucie des civils plus que tout autre État. La réalité est tout autre: il se cache sous un voile de mensonges, que seule la société civile parvient à démasquer.
Chris Doyle est directeur du Conseil pour la compréhension arabo-britannique à Londres.
Twitter: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com