PARIS: Avant d’atterrir à Alger, Emmanuel Macron aura potassé dans son confortable avion présidentiel plusieurs dossiers brûlants: le gaz algérien bien sûr, ou comment s’en assurer une bonne quantité pour l’hiver glacial qui s’annonce; les fractures mémorielles qui lui tiennent tant à cœur; l’imbroglio malien dans lequel le régime algérien assume un jeu trouble; la crise explosive entre Madrid et Alger et évidemment la question du Sahara marocain, le nœud gordien de toutes les angoisses régionales depuis des décennies.
Le président français n’oubliera pas non plus de relire des extraits du discours que le roi Mohammed VI a prononcé le 20 août, et dans lequel il a ciselé une véritable sommation à l’encontre des alliés qui hésitent à reconnaître la souveraineté du Maroc sur son Sahara et visant implicitement Paris, allié historique d’exception qui, vu de Rabat, se complaît dans une ambiguïté inexpliquée et difficilement justifiable.
Ce constat fait par le roi du Maroc est d’une grande clarté: «S’agissant de certains pays comptant parmi nos partenaires, traditionnels ou nouveaux, dont les positions sur l’affaire du Sahara sont ambiguës, nous attendons qu’ils clarifient et revoient le fond de leur positionnement, d’une manière qui ne prête à aucune équivoque.» Cette précision doit résonner dans les oreilles françaises alors que le président Macron frôle le sol algérien.
En effet, après la nouvelle architecture politique issue de la reconnaissance américaine, du nouveau positionnement espagnol et allemand, du consensus arabe et des ouvertures africaines et latino-américaines, le Maroc ne parvient plus à comprendre comment un allié aussi important que la France puisse encore cultiver l’hésitation et ne pas inscrire ses pas dans ceux des pays qui ont déjà reconnu la marocanité du Sahara.
À l’heure actuelle, ni l’Élysée ni le Quai d’Orsay n’ont encore réagi à la sollicitation royale. Sans doute attendent-ils cette visite de M. Macron pour donner un début de réponse à cette sommation royale aussi inédite que déterminée?
Rabat surveille
Pour cette raison essentielle, Rabat va surveiller les mots, les gestes et les postures du président français en terre algérienne. Les autorités marocaines savent qu’Alger va jouer son va-tout lors de cette visite et mettre dans la balance des concessions et des cadeaux, tout ce que le pays possède de précieux pour empêcher que la France ne bascule dans le cercle des pays qui reconnaissent officiellement la souveraineté du Maroc sur son Sahara. Alger pourrait même s’activer pour tenter d’élargir le fossé des mésententes entre Paris et Rabat.
Marocains et Algériens savent cependant que le positionnement de la France a la capacité de clore définitivement cette dispute régionale ou en retarder la solution. Paris, par son Histoire particulière avec la région et du fait de son leadership européen, pourrait faire basculer les équilibres.
Exercice diplomatique des plus délicats
En Algérie, Emmanuel Macron va apprendre à marcher sur des œufs sans les casser. C’est l’exercice diplomatique le plus délicat de ce début de second mandat après celui de la gestion de la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Signe de l’extrême inflammabilité de ce déplacement, cette information diffusée à dessein avant la visite présidentielle et qui fait état d’un projet français de réunir en France Marocains, Algériens et Espagnols, pour essayer de trouver un terrain d’entente et éloigner de la région le spectre de la déflagration. Peut-être aussi une manière de tenter de sortir par le haut de ce piège des alliances et des amitiés.
Ironie de l’histoire, Marocains et Algériens, que tout oppose sur le plan des relations bilatérales, se retrouvent à partager le ban des exclus des visas français. Une situation due au fait qu’il auraient refusé de faciliter la réadmission de leurs nationaux sans papiers en France. M. Macron a décidé de punir ces pays en baissant drastiquement le volume des visas annuels accordés à leurs citoyens. Cette attitude a provoqué drames, malentendus et amertumes, voire une forme de fracture et de défiance de l’élite du Maghreb à l’égard de la France et de la francophonie.
Marche arrière sur les visas?
Sur ce dossier politiquement et socialement explosif, des annonces d’Emmanuel Macron sont attendues. Et toute la question est de savoir comment et dans quelles conditions le président français va enclencher la marche arrière pour s’aligner sur la nécessité d’approfondir le partenariat d’exception que la France voudrait tisser avec cette région du Maghreb.
Dans la délégation ministérielle qui accompagne M. Macron, il est sans doute à noter la présence du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, d’origine et de tropisme algérien, et celle de la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, qui dans une autre vie était une très proche de l’ancien président Jacques Chirac; un président qui avait incarné une incontestable lune de miel dans l’Histoire des relations entre la France et le Maroc, désormais marquée par une froide et mutique tension.