TUNIS: Le Front de salut national (FSN), une coalition de partis opposés à Kaïs Saïed menée et dominée par Ennahdha, veut créer un gouvernement parallèle, comme en Libye. Mais le refus du Parti destourien libre (PDL) d’Abir Moussi, pourtant lui aussi farouchement opposé au président, de mettre un frein à son hostilité au mouvement islamiste empêche la concrétisation de ce projet.
Où va la Tunisie? Depuis le coup de force du 25 juillet 2021 par lequel le président Kaïs Saïed s’est progressivement accaparé tous les pouvoirs – après avoir gelé l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et limogé le gouvernement de Hichem Mechichi, tous les deux contrôlés par le mouvement islamiste d’Ennahdha et ses alliés –, cette question obsède les Tunisiens, et plus encore depuis le 16 août dernier.
Ce jour-là, en effet, le président a promulgué la nouvelle Constitution, adoptée le 25 juillet 2022 par voie de référendum. Il a franchi un pas supplémentaire dans la mise en œuvre de la feuille de route qui doit aboutir, après la promulgation d’une nouvelle loi électorale dans les prochaines semaines, à l’organisation d’élections législatives anticipées le 17 décembre prochain. Cela entraînera la mise en place du régime politique voulu par Kaïs Saïed et baptisé «construction démocratique par la base».
Mais le Front de salut national, l’une des deux principales forces d’opposition au président avec le PDL, ne l’entend pas de cette oreille: il cherche à faire prendre une tout autre direction au pays. À l’instar de celle du président, sa démarche se résume en trois mots: passage en force.
Après avoir tenté de réactiver l’ARP en mars 2022, le FSN tente maintenant de convaincre d’autres composantes de l’opposition, selon les mots de son président, Ahmed Néjib Chebbi, d’organiser un dialogue national «inclusif qui adopterait un programme de sortie de crise comportant des réformes politiques et économiques». Ce programme serait mis en œuvre par un «gouvernement de salut national» qui dirigerait une phase de transition jusqu’à l’organisation d’élections anticipées, après avoir été «intronisé» par l’ARP dissoute.
En somme, il s’agit d’une tentative de passage en force à la suite de laquelle le pays risque de se retrouver avec deux gouvernements. Ce scénario à la libyenne a-t-il des chances de se concrétiser en Tunisie?
Pour Mohamed Ali Khalfalla, ancien président du Mouvement des démocrates socialistes (MDS), principal parti d’opposition créé en 1978 sous Bourguiba, ce scénario «est irréalisable». En effet, selon cet avocat aujourd’hui à la retraite, l’armée est unie et ne risque pas d’éclater comme cela s’est produit en Libye.
Mohamed Ali Khalfalla pense que «la sagesse politique, la clairvoyance et l'histoire nous apprennent que le plus important et le plus urgent serait de travailler à réunir une table ronde ou une conférence inclusive qui aura une représentativité et une légitimité». Il ne s’agit pas, selon lui, de créer un gouvernement parallèle, mais de disposer d’un interlocuteur crédible avec les parties amies de la Tunisie ainsi qu'avec les institutions internationales, essentiellement financières. Le pouvoir sera alors «contraint et forcé de réviser sa ligne politique».
D’ailleurs, un obstacle empêche la création d’un gouvernement parallèle: le refus du PDL d’Abir Moussi, pourtant lui aussi farouchement opposé à Kaïs Saïed, et donné régulièrement vainqueur des prochaines législatives, de donner une suite favorable à la récente demande d’Ahmed Néjib Chebbi de se réconcilier avec Ennahdha pour présenter un front commun contre le chef de l’État.