PARIS: Un an après la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, les délicates évacuations vers la France se poursuivent à bas bruit depuis Kaboul et posent de nouveaux défis, dans l'ombre de la crise des réfugiés ukrainiens.
Cela a commencé par des vols organisés à la hâte dans le chaos de l'aéroport de capitale afghane, au moment où les talibans ont pris Kaboul le 15 août 2021. Après les quelques milliers de personnes vite exfiltrées vers Paris dans les premiers jours, l'opération "Apagan" s'est discrètement muée en "Apagan II" puis "III" pour continuer d'acheminer par grappes les candidats à l'exil, essentiellement via les Emirats arabes unis.
Depuis août 2021, 4.340 personnes, dont 4.105 Afghans, ont ainsi bénéficié des "opérations de rapatriement et d'évacuation", indique le ministère de l'Intérieur à l'AFP.
"Celles-ci se poursuivent pour mettre en protection des Afghans particulièrement menacés et signalés par le ministère des Affaires étrangères", poursuit-on Place Beauvau.
"La France continue d'accueillir avec rapidité et efficacité ces personnes", résume Delphine Rouilleault, directrice générale de France terre d'asile, association qui héberge et accompagne ces réfugiés depuis un an.
Depuis janvier, l'association en a pris en charge 700.
«Afghanistan oubliée»
Mais rapidement, la France a été épinglée par de nombreuses ONG pour une différence de traitement réservé aux Afghans et aux Ukrainiens, auxquels la France a accordé comme tout le reste de l'Europe un accueil et une protection inconditionnels depuis le déclenchement de la guerre avec la Russie en février.
Le souvenir des propos d'Emmanuel Macron, qui avait appelé en août 2021 à se "protéger contre les flux migratoires irréguliers" générés par l'arrivée au pouvoir des talibans, ont cristallisé le sentiment d'un "deux poids deux mesures" dans le tissu associatif.
"L'Afghanistan a été trop vite oubliée", estime aujourd'hui Reza Jafari, président de l'association Enfants d'Afghanistan. "Les Afghans ont été obligés de fuir comme les Ukrainiens. Quand j'entends qu'il faut plutôt accueillir les Ukrainiens parce que leurs voitures ressemblent aux nôtres ou parce que les Ukrainiennes sont blondes aux yeux bleus, ça me heurte. Je me suis dit +est-ce que les droits de l'Homme sont vraiment universels?+".
Dans la pratique, organiser simultanément l'accueil et l'hébergement des évacués afghans et des déplacés ukrainiens, dont quelque 100.000 sont arrivés en France en quelques mois, a relevé du "défi", pour que "l'un ne se fasse pas au détriment de l'autre", convient Didier Leschi, patron de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii).
A l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), l'agence qui délivre le statut de réfugié, 2.844 personnes évacuées ont déposé une demande. Parmi elles, 2.510 ont déjà obtenu une réponse, dont 2.472 positives, détaille le ministère de l'Intérieur.
«Cas problématiques»
Il s'agit pour l'essentiel de l'élite du pays, magistrats, journalistes, artistes ou cadres de l'administration.
Le ministère des Affaires étrangères "a globalement bien vu les profils qu'il fallait évacuer" et les "cas problématiques ne sont que des unités", souligne-t-on à l'Ofpra.
Les dossiers qui restent à instruire sont "les plus compliqués", concernant notamment les membres de "l'appareil sécuritaire" du pouvoir déchu, confie une source proche du dossier. "On fait passer deux entretiens désormais. On doit savoir si telle brigade de police a commis des exactions à l'époque", illustre-t-elle.
La question de l'intégration des réfugiés afghans, pour beaucoup encore en hébergement précaire, sera une question majeure des prochains mois.
Mais dans l'immédiat, "la problématique, c'est surtout ceux qu'on n'a pas évacués", poursuit la source proche du dossier.
"Tous les défenseurs des droits n'ont pas été mis en sécurité. J'ai des centaines de dossiers, dont des militantes féministes qui pour certaines ont été arrêtées (par les talibans) et dont on est sans nouvelles", abonde Reza Jafari, qui a placé de nombreuses activistes sur les listes d'évacuation en août dernier.
En France, où les Afghans constituent le premier contingent des demandeurs d'asile (plus de 16.000 en 2021), les expulsions vers Kaboul font l'objet d'un moratoire depuis un an.
Par souci de cohérence, le sort des Afghans qui continuent d'arriver en France hors évacuations doit lui aussi être revu, reprend Delphine Rouilleault, de France terre d'asile. Si l'on évacue des Afghans d'un côté, résume-t-elle, "ne pas attribuer le statut de réfugié à (d'autres) est un peu compliqué à comprendre".