BAGDAD: Illustrant le bras de fer qui déchire l'Irak, les rivaux politiques de Moqtada Sadr ont manifesté par milliers lundi à Bagdad, au moment où les partisans du puissant leader chiite poursuivaient leur sit-in au Parlement.
La tension est montée d'un cran après le rejet par M. Sadr du candidat au poste de Premier ministre présenté par ses adversaires, les factions chiites pro-Iran qui forment l'influent Cadre de coordination.
Mais la crise ne cesse d'empirer depuis les législatives d'octobre 2021. Des mois de tractations et de querelles politiciennes entre les partis n'ont pas permis d'élire un nouveau président de la République ou un chef du gouvernement.
Trublion de la vie politique, M. Sadr a démontré qu'il était capable de mobiliser les foules pour faire avancer ses pions: à deux reprises en quelques jours, ses partisans ont envahi le Parlement, y installant depuis samedi un campement.
Maintenant, c'est au tour de ses adversaires: lundi après-midi quelques milliers de manifestants ont envahi, l'espace de quelques heures seulement, une avenue menant à la Zone verte, secteur ultra-sécurisé abritant institutions gouvernementales, ambassades occidentales et où se trouve le Parlement.
"Le peuple n'autorisera pas un coup d'Etat", pouvait-on lire sur les pancartes des nouveaux manifestants, qui ont brandi des drapeaux irakiens.
La police a activé les canons à eau pour éloigner ceux d'entre eux qui ont tenté d'approcher un pont menant à la Zone verte, a constaté un correspondant de l'AFP.
"C'est le Parlement du peuple, de tous les Irakiens, pas le Parlement d'un certain groupe", a déploré Ahmed Ali, 25 ans, dénonçant "la prise d'assaut" des institutions gouvernementales.
S'emparer de la rue
Après un peu plus de deux heures, les partisans du Cadre de Coordination ont amorcé leur retrait, dans le calme.
"Ils ont voulu montrer leur force politique, montrer qu'eux aussi ont une base qui peut décider de s'emparer de la rue irakienne", analyse le professeur des sciences politiques à l'Université de Bagdad, Ihsan al-Shammari.
Le Cadre de coordination a aussi multiplié les appels au dialogue pour résoudre la crise. Outre le Hachd al-Chaabi, l'alliance englobe la formation de l'ex-Premier ministre Nouri al-Maliki, ennemi historique de M. Sadr.
L'Iran, qui jouit d'une forte influence en Irak, a assuré lundi "respecter le choix du peuple irakien". Pour le porte-parole de la diplomatie iranienne Nasser Kanani, "le dialogue est le meilleur moyen de résoudre les problèmes internes de l'Irak".
Lundi, un proche de M. Sadr a également appelé à des rassemblements en fin d'après-midi dans les provinces d'Irak. Ils étaient des centaines à avoir répondu à l'appel dans le sud majoritairement chiite, dans les villes de Nassiriya, Bassora et Kout, selon des correspondants de l'AFP.
Au Parlement, quelques milliers de manifestants sadristes restaient mobilisés, brandissant drapeaux et portraits de Moqtada Sadr, a constaté une correspondante de l'AFP.
Dansant dans le hall principal, ils scandaient "Voici les soldats du fils du Sayyed", en allusion à Moqtada Sadr et son titre de descendant du prophète.
Gouvernement de corrompus
A l'entrée du Parlement, des hommes fouillaient les nouveaux venus tandis que plusieurs tentes ont été montées dans les jardins.
"Nous voulons éliminer le gouvernement des corrompus, nous ne voulons pas recycler les mêmes visages", a lancé Zaher Al-Atabi, un manifestant.
"Depuis 2003 jusqu'à maintenant, ceux qui ont dirigé le pays n'ont rien fait pour développer des services publics, pas de système de santé, pas d'éducation!"
Qu'importe si des fidèles à Moqtada Sadr occupent également les plus hauts échelons dans les ministères. Ses partisans le voient en figure d'opposition et héraut de la lutte contre la corruption.
M. Sadr cherche aujourd'hui à faire pression sur ses adversaires alors qu'il leur avait laissé la tâche de former un gouvernement en faisant démissionner en juin ses 73 députés.
Avant leur démission, ses élus représentaient le premier bloc au sein du Parlement de 329 députés.
Dimanche, M. Sadr a appelé tous les Irakiens à se joindre à la contestation, y voyant "une occasion extraordinaire pour un changement fondamental du système politique".
Le Cadre de coordination y avait vu un appel à un "coup d'Etat" contre les institutions.