Assad est-il sorti de son isolement?

Le président iranien, Ebrahim Raïssi (à droite), recevant le président syrien, Bachar el-Assad, à Téhéran, le 08 mai 2022 (Photo, AFP).
Le président iranien, Ebrahim Raïssi (à droite), recevant le président syrien, Bachar el-Assad, à Téhéran, le 08 mai 2022 (Photo, AFP).
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Publié le Mercredi 27 juillet 2022

Assad est-il sorti de son isolement?

Assad est-il sorti de son isolement?
  • Le régime est sans doute aujourd’hui dans une bien meilleure position: Assad contrôle actuellement les deux tiers du territoire syrien
  • Si Assad s'accrochait à sa relation avec Téhéran, il pourrait compromettre sa réinsertion internationale

Au début du printemps arabe, la Syrie du président Bachar el-Assad s'inscrivait dans une configuration régionale très claire. Malgré le renversement du régime baassiste à Bagdad et la perte de sa présence occulte au Liban, la Syrie élevait son étendard incontesté de nationalisme arabe dans une région où seules la Jordanie et l'Égypte étaient en paix avec Israël.

Une décennie plus tard, le paysage régional est méconnaissable. La vague de révolutions et de manifestations populaires qui avait déferlé sur la région a renversé certains de ses dirigeants les plus anciens et vu ses centres de pouvoir traditionnels perdre leur influence au profit d'États plus petits, mais aux grandes ambitions hégémoniques. Cela a coïncidé avec un retrait américain de la région qui a créé un vide permettant la projection de la puissance russe et iranienne, ainsi qu’avec une vague de normalisation arabe avec Israël.

Après avoir décimé la Syrie pendant plus d'une décennie, provoquant le déplacement de 13 millions de personnes, la guerre civile semble tirer à sa fin depuis plusieurs années. Cependant, le régime est sans doute aujourd’hui dans une bien meilleure position. Assad contrôle actuellement les deux tiers du territoire syrien, notamment les principales villes.

Dans ce qui constitue un revirement complet de l’état de siège du régime en 2013, la réinsertion du pays dans le giron arabe et international est une question de plus en plus urgente. Sa réadmission à la Ligue arabe pointe à l'horizon, et la Jordanie et les Émirats arabes unis y ont rétabli leurs ambassades respectives.

Barbara Leaf, secrétaire d'État adjointe américaine aux affaires du Proche-Orient, a toutefois déclaré que Washington ne soutiendrait pas la réinsertion du président syrien «sous quelque forme que ce soit», ajoutant qu’ «Assad et la clique qui l’entoure restent le plus grand obstacle à une solution politique en Syrie.» Avec près d'un demi-million de morts syriens, la position américaine à cet égard n'est guère surprenante.

«Le régime d'Assad n'a pas gagné le droit de normaliser ses relations avec la communauté internationale», a déclaré Linda Thomas-Greenfield, ambassadrice américaine à l'ONU. Cependant, ce point de vue de principe ne tient pas compte de la realpolitik de la situation.

Les événements régionaux auront des répercussions sur les perspectives de survie du régime. La coopération entre certains pays arabes et Israël, parallèlement aux accords d'Abraham, a créé une région moins divisée, remettant en question la belligérance qui était devenue la raison d'être de la Syrie.

Dans un contexte de scepticisme quant à la volonté de Téhéran de conclure un nouvel accord nucléaire, les États arabes et Israël connaissent une plus grande coordination concernant l'Iran, mettant Damas dans une situation embarrassante. Si Assad s'accrochait à Téhéran, il pourrait compromettre sa réinsertion internationale, et pire, fournir une cible de choix pour les mesures israéliennes dans tout conflit futur visant à écraser l'Iran et ses représentants régionaux.

La Syrie d'aujourd'hui a besoin d'être reconstruite. Ses pénuries chroniques d'électricité et la situation critique de sa santé publique font partie de la lutte quotidienne à laquelle sont confrontés ceux qui restent. Après avoir ébranlé les oligarques du pays, une nouvelle bande d'hommes d'affaires continue de vider ce qui reste de l'État en racket et en trafic de stupéfiants et de pétrole sous embargo.

Le régime ne bénéficie plus de la profondeur stratégique qu'il avait autrefois, ni parmi les institutions ni auprès de ses alliés locaux pour soutenir de nouveaux conflits. Par conséquent, être pris dans une attaque régionale contre l'Iran n'est en aucun cas une priorité pour Assad. Bien que l'Iran ait été considéré comme essentiel à sa survie, c'est en réalité l'engagement tenace de la Russie qui lui a fourni sa bouée de sauvetage.

Après tout, c'est Moscou qui a fait pression pour encourager les pays arabes à rétablir des relations bilatérales avec le régime d'Assad, lequel a mené une campagne de relations publiques pour annoncer la fin de la guerre civile et le début du processus de reconstruction. Lorsque la Russie est intervenue en Syrie en 2015, elle était en grande partie une puissance secondaire dans un monde unipolaire américain, mais comme elle a créé de l'instabilité ailleurs, elle est devenue un allié plus solide qu'Assad ne l'avait d'abord espéré.

Selon Kamal Allam, expert de la Syrie et membre non résident de l'Atlantic Council, «la Syrie n'est pas un partenaire naturel de l'Iran, mais un partenaire pratique. L'élite militaire et politique syrienne préfère également le soutien russe à l'iranien, tout en restant parfaitement consciente de la nécessité des deux. C'est ce besoin que le régime d'Assad devra exploiter s'il ne veut pas être pris du mauvais côté des événements au niveau régional.

Bien avant la guerre civile, la Syrie avait servi d'interlocuteur entre l'Iran et ses voisins arabes. Tant Assad que son père intègrent cela dans leur politique étrangère, jouant à certains moments les deux camps l'un contre l'autre, et les rassemblant à d'autres moments. C'est ce que le régime envisage aujourd’hui.

Le Hezbollah et d'autres milices chiites soutenues par l'Iran contrôlent actuellement près de 20% des frontières de la Syrie, une épine dans le pied de la souveraineté syrienne, que le régime d'Assad espère inverser. L'éloignement de Téhéran que cette action nécessiterait est déjà en cours.

Allam soutient que «Damas cherche à retrouver sa place entre l'Iran et le Golfe». «Le Liban est un élément clé de cette stratégie. La Syrie n'est pas toujours d'accord avec l'Iran sur le Liban et agit de plus en plus pour le contrer sur ce terrain», ajoute-t-il.

Il existe néanmoins une réelle menace que la Syrie soit prise du mauvais côté d'un conflit régional avec l'Iran. Assad a joué différents intérêts les uns contre les autres pour rester au pouvoir et le fera probablement à nouveau.

Contrairement à d'autres pays de la région où la normalisation avec Israël a été accordée avec très peu de concessions, la Syrie ne reviendra pas sur sa position sans les hauteurs du Golan, qu'Israël a prises en 1967. La question palestinienne est également au cœur de la dynamique politique syrienne, une carte de légitimation dont Assad a besoin maintenant avant qu'il ne soit hors-jeu.

 

Zaid M. Belbagi est chroniqueur politique, et conseiller de clients privés entre Londres et le CCG.

Twitter: @Moulay_Zaid

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com