DJEDDAH/BOGOTA: Lorsque le président américain, Joe Biden, se rendra cette semaine à Riyad pour s’entretenir avec des dirigeants arabes, la question des prix mondiaux du pétrole à la lumière de la guerre en Ukraine et du boycott occidental des hydrocarbures russes occupera sans doute une place importante à l’ordre du jour. Il en sera de même pour la question de l’Iran.
En effet, tous les alliés du Moyen-Orient auxquels M. Biden rend visite ou qui assistent à la réunion du CCG+3 ont en commun le désir de contenir les activités extraterritoriales malveillantes de l’Iran et d’empêcher le régime d’acquérir l’arme nucléaire.
Les responsables de la Maison Blanche pensent que l’Iran disposerait désormais de suffisamment de matières fissiles et peut-être même de la technologie nécessaire pour une charge nucléaire utile, ce qui constituerait un puissant levier pour le régime en matière de négociations.
Malgré un effort concerté de l’administration Biden destiné à pousser l’Iran à se conformer à l’accord de 2015 sur le nucléaire – duquel son prédécesseur Donald Trump s’était retiré en mai 2018 –, les négociations indirectes entre les deux parties se sont heurtées à des obstacles à plusieurs reprises.
Néanmoins, M. Biden a refusé de lever les sanctions contre la République islamique avant qu’elle ne se conforme de nouveau à l’accord.
Dans un article d’opinion publié dans The Washington Post avant sa visite en Israël cette semaine en Cisjordanie et en Arabie saoudite, M. Biden a mis l’accent sur «la progression rapide» du programme nucléaire iranien après le retrait de l’ancien président Trump de l’accord.
«Après que mon prédécesseur s’est retiré d’un accord nucléaire qui fonctionnait, l’Iran a adopté une loi qui exige la progression rapide de son programme nucléaire. Ensuite, lorsque la dernière administration a cherché à condamner l’Iran pour cette action au Conseil de sécurité de l’ONU, les États-Unis se sont retrouvés seuls et marginalisés», a écrit M. Biden samedi dernier.
«Nous nous sommes réunis avec des alliés et des partenaires en Europe et dans le monde pour mettre fin à cet isolement. C’est l’Iran qui est désormais marginalisé [et il le demeurera] jusqu’à ce qu'il revienne à l’accord nucléaire que mon prédécesseur a abandonné sans aucun plan de remplacement.
«Le mois dernier, plus de trente pays se sont joints à nous pour condamner le manque de coopération de l’Iran avec l’Agence internationale de l’énergie atomique sur ses activités nucléaires passées. Mon administration continuera d’augmenter la pression diplomatique et économique jusqu’à ce que l'Iran soit prêt à se conformer de nouveau à l’accord de 2015 sur le nucléaire, tout comme je reste prêt à le faire.»
L’Iran, quant à lui, accuse l’administration Biden d’incohérence sur la question nucléaire.
«L’accent mis par Joe Biden sur la poursuite de la politique de pression économique et diplomatique contre l’Iran contredit la volonté des États-Unis de relancer l’accord de 2015», a déclaré mardi dernier à l’AFP le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Nasser Kanani.
Le gouvernement américain, «malgré ses slogans et sa prétendue volonté de retourner à l'accord [...], suit la même approche [que l’administration précédente] en poursuivant l’application des sanctions et des pressions économiques», a-t-il ajouté.
Les analystes reconnaissent que l’administration Biden a fait monter les enchères sur l’Iran ces dernières semaines, mais ils contestent qu’il y ait eu un changement fondamental de politique.
«L’approche américaine vis-à-vis de l’Iran évolue de manière tactique, mais non stratégique, à ce stade», déclare Jason Brodsky, directeur des politiques chez United Against Nuclear Iran, à Arab News.
«Au cours des dernières semaines, Washington a renforcé son application des sanctions américaines. Il s’agit d’un changement puisque l’administration Biden avait imposé, auparavant, des sanctions en vertu de pouvoirs qui ne seraient pas levés en cas de retour des États-Unis au Plan d’action global commun [PAGC].»
«Cependant, ces dernières semaines, les États-Unis ont désigné des entités et des individus en vertu du décret exécutif 13846, dont les sanctions seraient levées en cas de retour à l’accord de Vienne. C’est donc un signal subtil adressé aux dirigeants iraniens pour montrer que l’administration Biden augmente la pression.»
«Cependant, cette pression, selon le dernier éditorial du président, est orientée vers le respect du PAGC et non vers un accord plus long et plus solide. Cela reste donc problématique et ce n’est pas ce que les dirigeants arabes du Golfe et Israël aimeraient entendre.»
L’administration Biden participe à des pourparlers depuis avril 2021 pour que les États-Unis reviennent à l’accord, notamment au moyen de la levée des sanctions contre l’Iran et du plein respect par Téhéran de ses engagements.
Cependant, les négociations nucléaires intermittentes qui se tiennent dans la capitale autrichienne, Vienne, sont au point mort depuis mars, plusieurs problèmes demeurant irrésolus entre les États-Unis et l’Iran.
À la fin du mois de juin, le Qatar a organisé des pourparlers indirects entre les États-Unis et l’Iran dans le but de remettre le processus de Vienne sur le droit chemin, mais ces discussions ont débouché deux jours plus tard sur une impasse.
Les détracteurs de l’accord – qui propose d’alléger les sanctions imposées à Téhéran en échange de la réduction de son programme nucléaire – ont déclaré à plusieurs reprises que le plan n’empêche ni l’Iran d’élargir son programme de missiles balistiques ni sa marine de perpétrer des actes répréhensibles parrainés par l’État. Par ailleurs, le soutien de la République islamique à ses mandataires se poursuit dans l’ensemble de la région.
Téhéran a longtemps financé et équipé des groupes armés en Irak. Les milices ont régulièrement attaqué le personnel militaire occidental, les missions diplomatiques et les infrastructures civiles du pays, tout en cherchant à renverser ses institutions politiques.
En Syrie, l’Iran a cherché à renforcer le régime de Bachar al-Assad en envoyant du matériel militaire de pointe et des mercenaires venus des théâtres de conflit de toute la région. Les responsables de la défense israélienne craignent que Téhéran n’utilise la Syrie comme rampe de lancement pour attaquer Israël.
Ailleurs dans la région, l’Iran a longtemps soutenu le Hezbollah au Liban, aggravant la paralysie politique du pays et l’effondrement de sa société. Au Yémen, le soutien iranien à la milice houthie n’a fait que prolonger la guerre et les souffrances du peuple yéménite.
Ces mandataires et les territoires où ils opèrent ont été utilisés pour lancer des attaques transfrontalières de missiles et de drones contre des infrastructures civiles et pétrolières à la fois en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. Les milices ont également ciblé le transport maritime commercial dans les voies navigables de la région.
Les activités malveillantes de l’Iran menacent donc non seulement la stabilité régionale, mais aussi la liberté de navigation et l’économie mondiale au sens large.
Ainsi, les critiques du Plan d’action global commun affirment que la question est bien plus vaste que le seul dossier nucléaire et que tout accord avec Téhéran devrait également décourager de telles activités.
«Pendant près d’une décennie, l’accord de Vienne, présenté par les administrations Obama et Biden, n’a connu aucun changement», a déclaré le Dr Hamdan al-Shehri, analyste politique et spécialiste des relations internationales, à Arab News.
«Les négociations sont toujours au point mort parce que l’administration du président Biden refuse de faire quoi que ce soit pour finaliser un accord qui pourrait freiner les ambitions nucléaires de l’Iran – un pays qui s’est révélé dangereux pour la région par l’intermédiaire de ses mandataires.»
Compte tenu des activités de Téhéran et de ses progrès rapides vers l’acquisition de l’arme nucléaire, de nombreux observateurs se demandent si le PAGC peut être sauvé.
«Je pense que le PAGC est pratiquement mort, mais toujours pas enterré», a affirmé M. Brodsky. «Il pourrait encore être relancé, même si les chances sont très faibles.»
«Les dirigeants iraniens ne subissent pas la même pression qu’en 2013 pour relancer l’accord, avec des sanctions multilatérales et la menace plus crédible de force militaire pour détruire l’ensemble de l’infrastructure nucléaire de l’Iran en place à l'époque.»
«C’est pour cette raison que le pays ne ressent aucune urgence, misant sur les prix élevés du pétrole, l’application laxiste des sanctions américaines et un calcul selon lequel, quoi qu’il fasse, les États-Unis et l’E3 [la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni] ne quitteront jamais la table des négociations. Les États-Unis et leurs alliés européens doivent absolument modifier cette perception.»
C’est pour cette raison que la visite de M. Biden au Moyen-Orient est considérée comme une occasion particulièrement précieuse pour changer le cours des événements et proposer des moyens de dissuasion plus agressifs. Cela peut prendre la forme d’une nouvelle alliance de défense aérienne au Moyen-Orient destinée à contrer militairement l’Iran ou, au moins, d’un effort plus concerté afin de priver l’Iran des fonds dont il a besoin pour financer les activités de ses mandataires dans la région.
«Il est absolument essentiel que le président démontre lors de ce voyage que l’Iran n'est pas seulement un dossier nucléaire et qu’il est prêt à poursuivre une stratégie de dissuasion agressive qui vise à contrer son comportement malveillant dans le domaine non nucléaire. C’est ce que la région veut entendre de lui», a ajouté M. Brodsky.
«Des initiatives comme l’alliance de défense aérienne au Moyen-Orient sont nécessaires, mais non suffisantes. L’interdiction et l’action cinétique qui ont pour objectif de repousser l’agression iranienne ainsi que d’endiguer le flux d’argent vers le réseau de mandataires et de partenaires de l’Iran sont absolument vitales. Mais le Plan d’action global commun finance ces activités. C’est à cette contradiction fondamentale au sein de la politique américaine que le président devrait s’attaquer.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com