Quand le narcissisme l’emporte ou comment Boris Johnson s'est tiré une balle dans le pied

Une effigie en cire de Boris Johnson à côté d'un panneau «vacancy» chez Madame Tussauds à Londres (Photo, Reuters).
Une effigie en cire de Boris Johnson à côté d'un panneau «vacancy» chez Madame Tussauds à Londres (Photo, Reuters).
Short Url
Publié le Lundi 11 juillet 2022

Quand le narcissisme l’emporte ou comment Boris Johnson s'est tiré une balle dans le pied

Quand le narcissisme l’emporte ou comment Boris Johnson s'est tiré une balle dans le pied
  • La clé pour comprendre la politique du Premier ministre sortant est une étude approfondie de sa biographie et de sa psychologie
  • Le moment le plus révélateur est survenu lorsque Michael Gove s'est adressé au Premier ministre selon la méthode traditionnelle de la culture politique britannique

Dans Le jour du chacal, un thriller passionnant dans lequel l'organisation paramilitaire d'extrême droite Armée Secrète engage un assassin pour tuer le président français Charles de Gaulle, l'auteur Frederick Forsyth dit de son gentleman assassin anglais : « Comme tous les hommes créés par des systèmes et des procédures, il n'aimait pas l'imprévisible et donc l'incontrôlable ». Dans la vraie vie, c’est précisément ce qui primait pour le Premier ministre britannique Boris Johnson. Plutôt que d'être mis à terre par une cabale d'autres personnes, Johnson a été anéanti par son pire ennemi : lui-même.

Comme les lecteurs réguliers de cette rubrique le savent, nous avons vu l’avenir politique de Johnson se dessiner depuis un certain temps. La clé pour comprendre la politique du Premier ministre sortant, plus que pour la plupart des dirigeants, est une étude approfondie de sa biographie et de sa psychologie. En effet, alors que beaucoup font de la politique pour promouvoir une idéologie particulière - on pense notamment à la grande Première ministre britannique Margaret Thatcher et au « thatchérisme » - Johnson, étonnamment en phase avec l'ère du selfie, semblait se réjouir de sa présence sur scène uniquement pour se valoriser.

Il était tout à fait prévisible que, contrairement aux démissions récentes de David Cameron, Theresa May ou Thatcher elle-même - qui ont tous fini par partir avec élégance - Boris s'accrocherait bec et ongles au pouvoir à Downing Street, alors qu'une cinquantaine de membres du Cabinet, de ministres de second rang et de secrétaires parlementaires privés démissionnaient en cascade à cause de sa nomination bâclée d'un whip du gouvernement au passé douteux de harcèlement sexuel, pour ensuite (comme on pouvait s'y attendre) nier avoir connaissance du passé de cet homme.

Un certain nombre de hauts fonctionnaires, choqués, ont affirmé que non seulement Johnson était parfaitement au courant des penchants douteux de cet homme, mais qu'ils l'avaient personnellement informé du danger. Pris une fois de plus à son propre piège, le grand dissimulateur n'a finalement pas pu s’en sortir.

Même après les sérieux dégâts causés par le « Partygate », quand le Premier ministre a tergiversé sur sa participation à des soirées de confinement alors que le reste du pays était en quarantaine, Johnson n'a rien appris et n'a sans doute éprouvé aucun remords véritable - que ce soit pour sa vision narcissique de base selon laquelle les règles de la vie sont réservées aux petites gens, ou pour sa conviction qu'il est toujours acceptable qu’il mente lorsqu'il est dans le pétrin. Au contraire, dans la lignée de ces jours mémorables d’égocentrisme, le premier ministre semblait lésé par le fait d'être tenu à une quelconque norme. Pour qui a suivi la carrière de Johnson, d'un point de vue analytique, c'était tout à fait prévisible.

Ses actions effrontément égoïstes constituent une nouvelle détérioration des normes politiques qui maintiennent l'unité de l'Occident.

Dr John C. Hulsman

Le moment le plus révélateur est survenu lorsque Michael Gove, le seul homme vraiment compétent du Cabinet et sa « grosse pointure », s'est adressé au Premier ministre selon la méthode traditionnelle de la culture politique britannique. La constitution britannique - qui n'est pas écrite, mais repose plutôt sur une série de traditions, de coutumes et de normes vieilles de plusieurs siècles - exige qu'un personnage d'une telle importance agisse précisément de la sorte. Gove, longtemps rival mais récemment allié de Johnson, lui a dit en privé que c’était terminé, que le parti étant en pleine révolte après qu'il ait été pris une fois de plus en flagrant délit de mensonge, il devait tout simplement partir.

Comme l'a dit avec justesse un député conservateur dissident, en replaçant l'incident dans les termes d'un bon roman d'Evelyn Waugh, Gove a offert à Johnson un whisky et un revolver, et l'a exhorté à faire ce qu'il fallait. Mais c'était une erreur grotesque : Boris n'a jamais fait une chose décente de toute sa vie - pourquoi commencerait-il maintenant ? Au lieu de cela, il a bu sans vergogne le whisky et a retourné le revolver contre Gove lui-même, lui reprochant d’être déloyal.

Personnellement, je ne savais pas si je devais en rire ou en pleurer. Je voulais en rire, car au cours de ces derniers mois houleux, ma société a parfaitement suivi la saga Johnson grâce à notre connaissance approfondie de sa biographie et de sa personnalité (ou de son manque de personnalité). Je voulais en pleurer parce que ses actions effrontément égoïstes constituent une nouvelle détérioration des normes politiques qui maintiennent l'unité de l'Occident. La notion même qu'il existe quelque chose au-delà de soi - une cause, le peuple qu'un dirigeant sert, le pays lui-même - semble de plus en plus être un anachronisme désuet. Pourtant, en l'absence d'une croyance supérieure, il ne reste que l’image peu édifiante de Johnson s'accrochant pathétiquement à son poste pour son propre plaisir.

C'est dans ce contexte plus sombre qu'il faut considérer le discours de démission absolument épouvantable de Johnson. Dépourvu de toute forme d'autoréflexion, le leader sortant (sur le point de gagner des millions sur le circuit des conférences) a allègrement attribué sa chute à la malchance (« ce sont les coups du destin ») et à « l'instinct grégaire » de son propre parti - qui, telles des gazelles effrayées par le vent, s'étaient retournées contre lui sans raison compréhensible. Pas une seule fois il n'a mentionné sa vision à double sens d'un monde dans lequel il pouvait transformer Downing Street en discothèque alors que le public britannique peinait à réconforter ses proches qui mouraient de la Covid-19, ou ses mensonges en série pour couvrir ses dérives.

Non, un assassin de l'OAS n'était pas nécessaire pour faire tomber Johnson ; son plus grand ennemi était de loin lui-même. C'était vraiment le jour où le narcissisme l’a emporté.

 

- John C. Hulsman est président et directeur associé de John C. Hulsman Enterprises, une importante société de conseil en matière de risque politique mondial. Il est également chroniqueur principal pour City AM, le journal de la City de Londres. Il peut être contacté via johnhulsman.substack.com.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com