Fritures sur la ligne Alger/Tunis!

Un manifestant tient une pancarte indiquant "RIP la liberté du peuple sahraoui" lors d'une manifestation contre le soutien du gouvernement espagnol au plan d'autonomie du Maroc pour le Sahara occidental, à Madrid, le 26 mars 2022. (AFP).
Un manifestant tient une pancarte indiquant "RIP la liberté du peuple sahraoui" lors d'une manifestation contre le soutien du gouvernement espagnol au plan d'autonomie du Maroc pour le Sahara occidental, à Madrid, le 26 mars 2022. (AFP).
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Publié le Mercredi 08 juin 2022

Fritures sur la ligne Alger/Tunis!

Fritures sur la ligne Alger/Tunis!
  • Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, quand soudain, les choses se sont dégradées
  • Cette séquence inédite de tension entre l’Algérie et la Tunisie est de nature à plonger toute la région dans l’expectative

Que se passe-t-il dans les relations entre l’Algérie et la Tunisie pour provoquer une telle tension entre les deux capitales connues jadis pour leur proximité politique, comme en témoigne la dernière visite du président algérien, Abdelmadjid Tebboune, à Tunis, et sa rencontre avec son homologue tunisien, Kaïs Saïed? Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, quand soudain, les choses se sont dégradées…

En effet, subitement, la lune de miel entre Alger et Tunis s’est transformée en une crise à la fois glaciale et électrique. Fini le temps où le président algérien promettait à son homologue tunisien de gigantesques aides économiques et l’abreuvait de compliments. Désormais, le temps est à la défiance, presque à la rupture entre les deux pays.

Ce brusque revirement est d’autant plus surprenant qu’aucun indicateur n’a permis de l’annoncer. Les relations entre les deux pays sont passées, en un laps de temps record, de l’amitié obligée, du voisinage incontournable, aux rejets critiques et aux échanges d’amabilité fort peu diplomatiques.

Le président algérien n’est-il pas allé dans son panégyrique sur la Tunisie jusqu’à la considérer comme le seul pays réellement ami de l’Algérie dans la région? Ce qui fut déclaré par le président algérien devant le secrétaire d’État, Antony Blinken.

La stratégie algérienne de cette époque visait à noyer les autorités tunisiennes sous un flot de compliments et de promesses d’aides économiques afin de limiter la marge de manœuvre de ces dernières ainsi que leurs prises de position régionales. La Tunisie ne s’est-elle pas abstenue, à la surprise générale, lors du vote des Nations unies concernant la dernière résolution sur le Sahara marocain prolongeant la mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (Minurso)?

Par les promesses d’aides économiques, par une logique de chantage sécuritaire, Alger influençait le positionnement tunisien sur de nombreuses crises régionales, notamment l’affaire du Sahara marocain.

Désormais, la grande interrogation qui concerne ces relations est la suivante: que s’est-il passé pour que le discours algérien sur la Tunisie se transforme de cette manière, au point que le président Tebboune, depuis l’Italie, dénonce l’impasse dans laquelle les dernières décisions du président tunisien, Kaïs Saïed, ont conduit la Tunisie?

Les déclarations du président algérien au sujet de la démocratie tunisienne ont révélé au grand jour les fractures politiques entre Alger et Tunisie.  

Les hypothèses évoquées ont un lien avec une possible clarification à venir de la position tunisienne sur la souveraineté du Maroc sur son Sahara. La Tunisie a longtemps cultivé une ambiguïté dans son approche. Quand le chef du parti islamiste Ennahdha, Rached Ghannouchi, très connu pour son tropisme algérien prononcé, avait formulé la proposition de constituer un Maghreb arabe à format réduit sans le Maroc, c’était une entreprise ouvertement courtisane à l’encontre du régime militaire algérien. Il était au pouvoir et pouvait dicter la pluie et le beau temps dans les équilibres régionaux.

M. Ghannouchi et ses partisans traversent actuellement une mauvaise passe où leurs responsabilités dans des affaires de terrorisme et de complicités avec des organisations terroristes sont publiquement interrogées par les nouveaux choix de l’actuel président tunisien, Kaïs Saïed, lui-même dans l’œil du cyclone algérien.

Une autre explication de cette rupture entre Alger et Tunis concerne les relations très fortes que les autorités tunisiennes dirigées par Kaïs Saïed entretiennent actuellement avec des pays du Golfe, notamment les Émirats arabes unis (EAU). Cette proximité entre Tunis et Abu Dhabi pourrait être l’illustration du niveau inédit de réalisme politique des autorités tunisiennes concernant de nombreuses questions internationales et régionales.

Anticipant sans doute ce changement de braquet de la part de Kaïs Saïed, ses amis algériens ont préféré anticiper afin de l’empêcher d’y parvenir, quitte à recourir à la menace, au chantage et au dénigrement. Il n’en reste pas moins que cette séquence inédite de tension entre l’Algérie et la Tunisie est de nature à plonger toute la région dans l’expectative. Mais c’est également la preuve que, pour que les lignes bougent, notamment au sujet de cette crise structurelle que constitue l’affaire du Sahara marocain, certains grincements douloureux et certaines vérités politiques sont inévitables.

Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.  

TWITTER: @tossamus

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.