Shireen Abu Akleh: Une martyre pour la vérité sur l'inhumanité israélienne

Une fresque représentant le meurtre de la journaliste d'Al Jazeera Shireen Abu Akleh orne un mur dans la ville de Gaza le 15 mai 2022 (Photo, AP/Adel Hana).
Une fresque représentant le meurtre de la journaliste d'Al Jazeera Shireen Abu Akleh orne un mur dans la ville de Gaza le 15 mai 2022 (Photo, AP/Adel Hana).
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Publié le Jeudi 19 mai 2022

Shireen Abu Akleh: Une martyre pour la vérité sur l'inhumanité israélienne

Shireen Abu Akleh: Une martyre pour la vérité sur l'inhumanité israélienne
  • En tant que journaliste crédible, aimée et respectée, Shireen constituait une menace majeure pour un régime bâti sur le mensonge, la propagande et les fausses informations
  • L'occupation israélienne continue de déstabiliser la région et de donner au Hezbollah et à d'autres mandataires iraniens un prétexte pour porter des armes et déstabiliser les États arabes

Je ne connaissais pas Shireen Abu Akleh, mais je la pleure comme une amie. Pour des millions d'entre nous, elle a été la représentante sincère de la cause palestinienne pendant vingt-cinq ans. Dans l'esprit de l'appareil sécuritaire israélien, c'est pour cette raison que Shireen devait mourir, car elle témoignait d'une vérité qu'ils ne pouvaient pas supporter d'entendre.

Les forces de sécurité israéliennes ont marqué la mort violente et prématurée de Shireen avec la «dignité» et le «respect» dont elles sont les seules à savoir faire preuve, en attaquant les personnes en deuil lors de ses funérailles. Les Palestiniens endeuillés voulaient porter le cercueil sur leurs épaules jusqu’à l'église, mais ces soldats israéliens meurtriers n'ont même pas permis ce modeste geste de respect. Dans un dernier geste de provocation, ils ont attaqué les porteurs, faisant tomber le cercueil, un dernier acte d'humiliation gratuit qui n'a servi qu'à montrer au monde la réalité mesquine et haineuse de l'occupation.

Il ne s’agissait pas de maintien de l'ordre civil. Les citoyens souhaitaient simplement être autorisés à faire le deuil de Shireen de manière pacifique et respectueuse. L'indignité s'est ajoutée à l'indignité. Et qu'en est-il du caractère sacré de la Ville sainte de Jérusalem, si souvent souillée par la violence israélienne ces derniers temps? Est-ce ainsi qu'Israël fait comprendre au monde qu'il souhaite la paix?

Le jour où elle a été tuée, Shireen et ses collègues des médias couvrant les événements dans le camp de réfugiés de Jénine étaient clairement identifiés comme appartenant à la «Presse». Elle avait une accréditation des autorités israéliennes. Les responsables de la sécurité israélienne savaient très bien qui elle était. Il ne s'agissait pas d'une «balle perdue». Néanmoins, malgré les preuves accablantes apportées par les témoins oculaires et les images vidéo de la scène, à partir du moment où un soldat israélien a tiré le coup fatal, l'appareil de propagande des occupants a débité un flot de mensonges éhontés sur la mort de Shireen. Son meurtre et les obscurcissements qui ont suivi sont des attaques contre la liberté de la presse, des attaques contre la vérité.

Pour une génération d'Arabes qui ont grandi avec la tragédie palestinienne tout au long des années 1990 et 2000, Shireen incarnait leur lutte pour la justice. Les journalistes qui ont rapporté sa mort ont pleuré en direct à l'antenne.

En tant que Palestino-Américaine chrétienne au comportement calme et digne au milieu de conflits quotidiens sauvages, Shireen nous a éclairés sur les horreurs de l'occupation et de l'apartheid. Depuis qu'elle a rejoint Al-Jazeera en 1997, elle a humanisé la cause palestinienne et mis en lumière les arrestations des jeunes, le traitement brutal des familles rurales par des colons militants, l'expansion constante des colonies illégales.

Pour nous, journalistes, Shireen était un exemple et une source d'inspiration. Elle s'était toujours engagée à respecter les normes professionnelles les plus élevées, à présenter méticuleusement les faits et à éviter les rumeurs, mais son meurtre n'a pas été une surprise. Elle-même avait parlé du «sentiment persistant que la mort était parfois au coin de la rue», mais cela ne l'a jamais empêchée d'exercer son métier avec le plus grand professionnalisme.

«L'occupation israélienne continue de déstabiliser la région et de donner au Hezbollah et à d'autres mandataires iraniens un prétexte pour porter des armes et déstabiliser les États arabes.»

Baria Alamuddin

Le régime israélien déteste les journalistes dix fois plus qu'il ne déteste les simples Palestiniens. Détenir une carte de presse dans les territoires occupés est la garantie de se voir infliger un traitement sévère, un harcèlement aux points de contrôle, voire une agression physique. Les médias et la vérité sont les ennemis d'Israël, qui traite le problème en tirant littéralement sur le messager. En tant que journaliste crédible, aimée et respectée, Shireen constituait une menace majeure pour un régime bâti sur le mensonge, la propagande et les fausses informations.

Selon la Fédération internationale des journalistes (FIJ), les forces israéliennes ont abattu au moins quarante-six journalistes palestiniens depuis 2000, et de nombreux autres ont été détenus ou emprisonnés. Dans le monde, près de neuf cents journalistes ont été tués au cours de la dernière décennie, et Shireen est l'un des douze membres du personnel d'Al-Jazeera tués dans l'exercice de leurs fonctions.

Pour les occupants israéliens, comme pour les autres régimes qui recourent à la violence afin d’imposer leur autorité, tuer des journalistes est le moyen le plus efficace et définitif de les réduire au silence. Un éminent journaliste m'a dit à quel point il se sentait en sécurité lorsqu'il travaillait pour Al-Jazeera en Palestine, en raison des excellentes relations que le Qatar entretient en coulisses avec Israël, mais il semble que les chaînes de télévision de toutes nationalités soient désormais des cibles faciles.

La mort de Shireen a ravivé l'attention et la sympathie internationales envers la mère de toutes les causes justes. Son meurtre a fait la une des journaux et des émissions d'information. Elle était citoyenne américaine, le département d'État a déclaré que sa mort était «un affront à la liberté des médias», et la Maison-Blanche ainsi que le Congrès ont tenu des propos tout aussi enflammés.

Mais les mots doivent faire place à l'action. Les journalistes se mettent dans la ligne de mire pour le bien de l'humanité. Le meurtre délibéré de journalistes devrait donc être considéré comme un crime contre l'humanité, et faire l'objet d'enquêtes sous l'égide des Nations unies. Qui croit un seul instant qu'un tribunal israélien nous dira la vérité sur le meurtre de Shireen?

L'occupation israélienne continue de déstabiliser la région et de donner au Hezbollah et à d'autres mandataires iraniens un prétexte pour porter des armes et déstabiliser les États arabes. La question palestinienne doit donc être placée en tête de l'agenda mondial et les principaux acteurs doivent être contraints de travailler consciencieusement à un règlement juste. Avec les citoyens arabes chassés de leurs maisons à Hébron, à Jérusalem et dans d'autres parties de la Cisjordanie occupée, de plus en plus de terres sont volées chaque année, tandis que des enfants innocents sont tués ou forcés de grandir dans un climat d'injustice manifeste.

Avant que des dizaines d'autres civils, militants et journalistes innocents tels que Shireen ne doivent mourir, nous leur devons de mettre fin à ce climat d'impunité et d'oppression, afin que la responsabilité, la justice et la vérité prévalent.

La mort effroyable, injuste et prématurée de Shireen a réveillé un monde endormi. Non seulement nous devons travailler sans relâche pour une paix juste, mais les institutions inhumaines de l'occupation, construites sur le mensonge, l'injustice et la sauvagerie, doivent être brisées une fois pour toutes.

Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com