ISTANBUL : Une responsable du principal parti de l'opposition turque a été condamnée jeudi à quatre ans et onze mois de prison, un nouveau coup porté aux opposants au président Recep Tayyip Erdogan à treize mois de la prochaine présidentielle.
Sa condamnation en cassation a été confirmée à l'AFP par un responsable du Parti républicain du peuple (CHP).
Canan Kaftancioglu, responsable du CHP pour la province d'Istanbul, avait été condamnée en première instance en septembre 2019 à près de dix ans de prison, notamment pour "propagande terroriste" et "insulte au chef de l'Etat".
Sa condamnation avait été confirmée neuf mois plus tard en appel.
Il n'a pas été immédiatement précisé si, ni quand, Mme Kaftancioglu, qui avait été laissée libre pendant les procédures en appel, devait être incarcérée.
Présente à Ankara lors de l'annonce de décision, l'opposante a gagné jeudi soir le siège local du parti à Istanbul afin d'y prendre la parole: elle y a accueilli le chef du CHP, Kemal Kilicdaroglu, ainsi que le maire d'Istanbul, Ekrem Imamoglu.
Des dizaines de partisans se trouvaient devant le bâtiment, certains scandant "Droit, loi, justice", ou "Canan n'est pas seule", a constaté un photographe de l'AFP.
Quelques minutes après l'annonce de sa condamnation, M. Kilicdaroglu avait appelé les 135 députés de sa formation, la deuxième au parlement après le Parti de la justice et du développement (AKP) du président Recep Tayyip Erdogan, à s'y retrouver.
Mme Kaftancioglu, âgée de 50 ans, a été condamnée sur la base de tweets publiés entre 2012 et 2017, en lien notamment avec les grandes manifestations antigouvernementales de 2013, dites "mouvement de Gezi", et la tentative de putsch de juillet 2016, qui avait été suivi de purges massives à travers le pays.
«Procès politique»
Depuis le début de l'affaire, l'opposante n'a eu de cesse de dénoncer un "procès politique" visant, selon elle et ses partisans, à la punir pour son rôle dans la victoire de l'opposition aux municipales à Istanbul en 2019.
Mme Kaftancioglu est en effet présentée comme l'architecte des campagnes victorieuses d'Ekrem Imamoglu, candidat du CHP qui a battu le candidat de M. Erdogan à Istanbul à deux reprises, y compris après l'annulation du premier scrutin dans des conditions controversées.
"Nous respirerons ensemble quand nous rétablirons l'Etat de droit", a écrit l'opposante jeudi sur Twitter.
Le maire d'Istanbul a lui "condamné" une "décision politique". "Je suis derrière notre présidente", a-t-il ajouté également sur Twitter.
"Erdogan renforce la répression à mesure qu'il perd du terrain face à la pression économique croissante dans le pays", a réagi sur le même réseau social Seren Selvin Korkmaz, directrice générale du centre de réflexion IstanPol, pour qui "l'AKP tente de se venger après avoir perdu Istanbul".
Cette décision intervient moins d'un mois après la condamnation du mécène Osman Kavala, devenu la bête noire du régime emprisonné depuis 2017, à une peine de prison à vie incompressible.
L'homme d'affaires et philanthrope a été accusé d'avoir tenté de renverser le gouvernement, ce qu'il a toujours nié.
Sept autre personnes - avocats, documentaristes, urbanistes ou architectes -, qui comparaissaient en même temps, ont été condamnées à 18 ans de réclusion, accusées de lui avoir apporté leur soutien bien qu'elles aient toujours nié avoir le moindre lien avec lui.
Au pouvoir depuis 2003, d'abord comme Premier ministre puis comme président, Recep Tayyip Erdogan espère être réélu lors de la prochaine élection présidentielle, prévue pour juin 2023, malgré des sondages qui prédisent une élection serrée.
Le chef de l'Etat a considérablement renforcé ses pouvoirs en 2017 en remplaçant le système parlementaire par un régime présidentiel fort.
Accusant un ancien allié, le prédicateur Fethullah Gülen réfugié aux Etats-Unis, d'avoir ourdi le coup d'Etat raté de 2016, M. Erdogan a lancé une répression implacable contre ses partisans présumés, qui s'est élargie à l'opposition prokurde et à la société civile.