BEYROUTH: Ils étaient quelques milliers dans les rues de Beyrouth ce samedi pour célébrer les 1 an de la révolution. Le 17 octobre dernier, la gronde avait commencé à la suite d’une taxe imposée à un peuple qui glissait déjà dans la pauvreté, mais aussi à la suite de nombreux feux de forêts, qui n’avaient pas pu être maîtrisés par les services de l’État.
Depuis le premier jour des manifestations, la situation a pourtant empiré, l’économie libanaise est au bord du gouffre, la crise sanitaire ainsi que l’hyperinflation ont plongé plus de 50% de la population sous le seuil de pauvreté, des dizaines de milliers de jeunes quittent le pays.
Mais pour célébrer cet anniversaire, de nombreux Libanais qui avaient pourtant quitté les rues depuis lors ont tenu à être là, à descendre pour hurler leur colère et demander, encore une fois, la chute du régime, la fin de la corruption et un État laïque et social. Le cortège s’est élancé aux alentours de 15h, sous un soleil de plomb, sur la fameuse place des Martyrs, pour ensuite prendre la direction de la Banque du Liban, mais aussi la municipalité de la ville, pour terminer au port. Une marche d’environ 3 heures, pour un parcours de cinq kilomètres.
Ils sont venus de tout le Liban, jeunes et moins jeunes, en bus ou en voiture, et se sont organisés afin que la marche se passe pour le mieux.
«Nous faisons partie du Secours populaire libanais (indépendant du Secours populaire), nous sommes à peu près une dizaine aujourd’hui dans le cortège pour vérifier que tout va bien. S’il y a des blessés, nous allons leur porter les premiers secours» , explique un jeune homme arborant un gilet blanc et un gros sac à dos rempli de compresses, d’oignons contre les gaz lacrymogènes et autres désinfectants pour les blessures. La violence potentielle, ici, est une épée Damoclès au-dessus de la tête de tous les manifestants dans le cortège.
Lassitude, mais la colère est intacte
Elias Saadé, lui, fait partie du groupe « Bouclier de la révolution» formé à la suite de la manifestation du 8 août dernier. Ils sont plusieurs centaines, des gilets jaunes sur le dos, repérables de loin, et protègent les manifestants de la violence policière. «Tous ceux avec les gilets n’ont pas peur de la police, mais nous sommes là pour protéger ceux qui ont peur. Les violences policières que nous avons vues le 8 août dernier étaient incroyables… La police et l’armée nous ont tiré dessus à balles réelles, certains manifestants ont été touchés aux yeux. C’est cette violence qui a poussé de nombreux Libanais à quitter la rue» , notamment après les manifestations de janvier et février dernier qui avaient fait des centaines de blessés.
En ce 17 octobre 2020, les « Boucliers de la révolution » n’auront pas à former de bouclier humain, il n’y a pas eu de violences à déclarer sur le parcours. Mais leur tâche restera la même lors des prochaines manifestations, qui dégénèrent très facilement dès la nuit tombée.
Plus loin dans la marche, Youssef, 25 ans, porte son masque ainsi qu’une visière pour se protéger de la contagion qui explose au Liban. Sur les épaules, il arbore le symbole anarchiste et une bombe de peinture rouge. Il est venu avec ses amis sympathisants. «Nous taguons là où nous pouvons le A anarchiste, mais aussi des ACAB (All Cops Are Bastards), ou des slogans révolutionnaires contre la police et l’ordre établi.
Pour ce jeune, une partie du problème est l'État: «on dit toujours qu’il nous faut un État fort au Liban, mais regardez de quoi est déjà capable un État faible. S’il était plus puissant ce serait terrible !» Youssef souhaiterait une révolution plus violente, afin que le pouvoir libanais ait peur de la rue. «J’aimerais que l’on soit plus comme les Français. Eux ils savent se battre contre la police», dit-il en ricanant.
La manifestation se poursuit, le cortège retourne aux alentours de la place des Martyrs, et beaucoup vont au port, étape dorénavant cathartique depuis le 4 août. May revient du port, elle est rentrée des États-Unis où elle vivait il y a quelques mois seulement.
«C’est très important pour moi d’être là car j’ai commencé la révolution depuis l’étranger. J’étais au courant de toutes les nouvelles car j’étais scotchée sur mon portable. Aujourd’hui, il arrive que des amies de l’étranger me racontent ce qui se passe ici !»
May, comme la plupart des manifestants, est venue avec ses amis, sans organisation préalable. Lorsqu’on lui demande pourquoi elle est là, les premiers mots qui lui viennent à la bouche sont «je suis super énervée», une colère qui s’est mélangée à l’espoir dans les rues de Beyrouth, lorsque les manifestants ont dansé et crié des slogans qu’ils n’avaient pas prononcé depuis plusieurs mois.
L’esprit de 2019 était là, mais avec moins de conviction que l’année précédente, plus de fatigue aussi, au vu de l’année qu’a (sur)vécue le peuple libanais.