ANKARA: Le gouvernement turc prévoit de mettre en place une commission parlementaire afin de réguler davantage l’utilisation des réseaux sociaux.
Le lancement de la Commission des médias numériques (Digital Mediums Commission) coïncide avec les projets du Parti de la justice et du développement (AKP) d’adopter une loi permettant au gouvernement de contrôler davantage la liberté d’expression sur les réseaux sociaux.
Depuis que la fille du président Recep Tayyip Erdogan, Esra Albayrak, a été insultée sur Twitter, le gouvernement turc s’est empressé de concevoir un nouveau cadre juridique pour « abolir complètement ces plateformes ou les contrôler ». Le président turc estime que les réseaux sociaux qui jouissent de libertés totales ne conviennent pas au pays.
Ces déclarations ont été faites quelques jours avant l’apparition en direct d’Erdogan le 26 juin sur Youtube pour un discours adressé aux jeunes. Toutefois, des milliers de jeunes ont réagi à ce discours avec des « je n’aime pas » et des commentaires négatifs affirmant « Nous ne voterons plus pour vous. »
Le projet de loi exige la nomination de représentants turcs pour les fournisseurs de médias sociaux, en particulier pour Twitter et Netflix. Cela exposerait les géants du web à des sanctions financières, et les obligerait à obéir aux décisions des tribunaux turcs. Le gouvernement pourrait également mettre en œuvre des interdictions d'accès. Ce projet de loi composé de neuf articles est censé être adopté avant que le Parlement ne prenne ses vacances le 24 juillet.
Suleyman Irvan, professeur de journalisme à l’université Uskudar, a affirmé que toute restriction sur les réseaux sociaux pourrait déclencher la fureur de la Génération Z.
« Le fait d’obliger les fournisseurs de réseaux sociaux à ouvrir un bureau en Turquie vise à appliquer les décisions de la Cour concernant le contenu sur les réseaux sociaux, surtout celles qui sont en rapport avec la suppression de contenu, pour leur infliger d’importantes amendes qui décourageraient tout contenu antigouvernemental à l'avenir », a-t-il expliqué à Arab News.
Le CHP, le principal parti d’opposition turc, pense que ce projet de loi vise principalement à restreindre les libertés des individus. Kemal Kilicdaroglu, dirigeant de l’opposition, a critiqué cette loi car, pour lui, elle a été mise en place à la suite du discours en direct d’Erdogan qui avait été vivement critiqué en ligne.
« Il sait comment réagira la Génération Z. Sinon, pourquoi ce sujet reviendrait-il au premier plan maintenant ? Nous défendrons les espaces de liberté contre cet état d'esprit répressif », a-t-il récemment déclaré.
Ankara a critiqué Twitter le mois dernier pour avoir suspendu plus de 7 000 comptes liés au gouvernement et associés aux jeunes du parti AKP, accusant ces suspensions de faire parti d’un vaste plan pour intervenir dans la politique intérieure turque.
Les statistiques officielles de Twitter montrent que 74% des demandes légales de suppression de contenu sur le réseau social provenaient de la Turquie elle-même. Le dernier rapport « Web bloqué » réalisé par l’Association pour la liberté d’expression (Freedom of Speech Association) démontre qu’un total de 408 394 sites web ont été bloqués entre 2014 et 2019.
L’année dernière, l’accès à 130 000 adresses URL, 7 000 comptes Twitter, 10 000 vidéos sur Youtube et 6251 publications Facebook a été bloqué par le gouvernement turc. Il avait également interdit Twitter en 2014, avant que l’interdiction ne soit levée quelques semaines plus tard par un tribunal administratif d’Ankara. La Turquie fait partie des pays les plus actifs sur Twitter dans le monde.
Erkan Saka, expert en réseaux sociaux à l’université Bilgi à Istanbul, ne s’attend pas à des recommandations équitables de la part de la Commission, la majorité des commissions parlementaires étant contrôlées par des membres du parti au pouvoir.
« Les réseaux sociaux sont moins soumis au contrôle que les médias traditionnels et le gouvernement tient absolument à changer la donne. C’est est une nouvelle étape vers la légalisation des mesures de restriction de la liberté d’expression qui se sont intensifiées depuis la tentative de coup d’État en 2016 », a-t-il précisé.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur ArabNews.com