Il n’est pas trop tard pour tenir l’Iran responsable de crimes contre l’humanité

Le président iranien, Ebrahim Raïssi, à gauche, cherche à se forger une image de véritable partisan et disciple du Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei. (AFP)
Le président iranien, Ebrahim Raïssi, à gauche, cherche à se forger une image de véritable partisan et disciple du Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei. (AFP)
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Publié le Dimanche 17 avril 2022

Il n’est pas trop tard pour tenir l’Iran responsable de crimes contre l’humanité

Il n’est pas trop tard pour tenir l’Iran responsable de crimes contre l’humanité
  • En 1988, l’Iran a été le terrain de ce que de nombreux experts des droits de l’homme et spécialistes du droit international qualifient de «génocide» et de «pire crime contre l’humanité dans la seconde moitié du XXe siècle»
  • La violente répression des dissidents et l’exportation des principes «révolutionnaires» de l’extrémisme islamique sont des caractéristiques essentielles de la stratégie du régime des mollahs pour rester au pouvoir

Lorsqu’il est question du régime iranien et de son rôle dans les crimes contre l’humanité, de nombreux événements restent non résolus, des années, voire des décennies plus tard.

Certains, comme le bombardement d’infrastructures civiles en Syrie, sont probablement attribuables au régime iranien et à ses milices et groupes terroristes par procuration. Des avocats des droits de l’homme tentent actuellement de traduire en justice des responsables militaires iraniens et syriens. Ils seront tenus responsables de crimes de guerre devant la Cour pénale internationale.

Gissou Nia, un avocat qui fait partie de l’équipe juridique, déclare: «Jusqu’à présent, peu d’attention publique a été accordée à la responsabilité juridique de la République islamique d’Iran dans le conflit syrien qui dure depuis une décennie. En effet, les responsables iraniens mènent de grandes interventions en Syrie, en plus de commettre des atrocités. L’Iran a fourni un soutien militaire et non militaire considérable pour atteindre ses objectifs, principalement pour empêcher la chute du président syrien déchu, Bachar al-Assad. Malheureusement, ces objectifs ont été atteints au prix de centaines de milliers de civils syriens tués, blessés et déplacés.»

Pendant le conflit syrien, l’Iran a demandé l’aide de ses mandataires chiites, principalement le Hezbollah, pour soutenir les forces de M. Assad. Lorsque le nombre de groupes d’opposition syriens a augmenté, Téhéran a engagé des combattants chiites en provenance d’autres pays, dont le Pakistan et l’Afghanistan.

En outre, le régime iranien n’a pas encore été tenu responsable d’un autre crime majeur contre l’humanité. En 1988, l’Iran a été le terrain de ce que de nombreux experts des droits de l’homme et spécialistes du droit international qualifient de «génocide» et de «pire crime contre l’humanité dans la seconde moitié du XXe siècle».

Entre juillet et septembre de cette année-là, quelque trente mille prisonniers politiques ont été exécutés après des simulacres de procès qui duraient souvent moins de cinq minutes. Les «Commissions de la mort», responsables de ces procès, ont été constituées à la suite de l’émission par le Guide suprême de l’époque, l’ayatollah Khomeini, d’une fatwa. Cette dernière visait les militants du principal mouvement d’opposition iranien – le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) – et les a tous déclarés coupables du crime capital d’«inimitié envers Dieu».

Comparé à d’autres atrocités similaires, le massacre des prisonniers iraniens en 1988 s’est déroulé dans une relative discrétion. Mais même en l’absence de réseaux sociaux capables de diffuser ces informations à très grande vitesse, la nouvelle est presque aussitôt parvenue aux oreilles des décideurs politiques occidentaux. En conséquence, la forte augmentation des exécutions a été mentionnée dans une résolution de l’Assemblée générale des nations unies sur la situation des droits de l’homme en Iran la même année. Malheureusement, aucun des organes compétents de l’Organisation des nations unies (ONU) n’a donné suite à cette résolution. Les experts en matière de droits de l’homme de l’ONU ont reconnu ce fait en septembre 2020, lorsqu’ils ont envoyé une lettre aux autorités iraniennes appelant à la transparence sur ce massacre.

La lettre détaillait «les répercussions destructrices» que l’inaction a pu avoir sur les survivants du massacre et les familles des victimes, ainsi que sur la situation générale des droits de l’homme en Iran. Par extension, la lettre a servi d’avertissement général sur le danger de l’impunité lorsqu’il est question de crimes contre l’humanité, en particulier après qu'ils ont été publiquement reconnus et condamnés sur la scène internationale.

«Si de tels actes ne sont pas punis à un stade précoce, le mal qui en découle s’aggravera et se propagera.»

Dr Majid Rafizadeh

Bien qu’un ancien responsable des prisons iraniennes soit actuellement jugé en Suède en vertu des lois sur la compétence universelle pour son rôle dans le massacre de 1988, personne n’a jusqu’à présent été tenu responsable. En Iran, les hautes autorités ont été systématiquement récompensées pour leur implication, l’exemple le plus flagrant étant la nomination d’Ebrahim Raïssi au poste de président de la République islamique l’année dernière. En 1988, il faisait partie des quatre fonctionnaires qui ont siégé à la Commission de la mort de Téhéran, après quoi il s’est forgé une réputation de dévouement particulier à la demande de M. Khomeini selon laquelle les autorités cléricales devaient «réduire immédiatement les ennemis de l’islam à néant».

Comme si cela ne suffisait pas, M. Raïssi était en charge du système judiciaire iranien en 2019, lorsque la répression du régime a tué au moins mille cinq cents personnes et envoyé des milliers d’autres en prison, à la suite d’un soulèvement national. Cet événement a renforcé sa réputation de «boucher de Téhéran» et a mis en lumière une réalité essentielle sur l’impact à long terme des crimes contre l’humanité: si de tels actes ne sont pas punis à un stade précoce, le mal qui en découle s’aggravera et se propagera, s’ancrant dans le système qui a permis aux crimes de se produire en premier lieu.

La violente répression des dissidents et l’exportation des principes «révolutionnaires» de l’extrémisme islamique sont des caractéristiques essentielles de la stratégie du régime des mollahs pour rester au pouvoir. Mais il n’est jamais trop tard pour agir. Il est grand temps de mettre fin à l’impunité dont jouissent les ayatollahs au pouvoir depuis trois décennies et de les tenir responsables de leurs crimes contre l’humanité.

 

Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard.

Twitter: @Dr_Rafizadeh

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com