PARIS: Les sondages se trompent-ils souvent ? Les candidats en mal de dynamique le crient haut et fort même si, depuis le séisme Le Pen de 2002, les résultats à la présidentielle ont assez peu différé des projections, malgré l'angle mort persistant de l'abstention.
1995: le vote Chirac surestimé
En avril 1995, à une semaine du premier tour, les instituts donnent une confortable avance à Jacques Chirac, à 26,1% d'intentions de vote. Suivent le socialiste Lionel Jospin, avec 20,1% et Edouard Balladur (16,9%).
Surprise au soir du 23 avril : Jacques Chirac et Lionel Jospin sont qualifiés pour le second tour mais le rapport de forces n'est pas du tout conforme aux projections: le candidat socialiste arrive en tête (17,7%) et Jacques Chirac ne devance son rival de droite que d'une courte tête (15,9% contre 14,1%).
Sonné, M. Chirac juge "extraordinaire" que les sondeurs "se soient plantés comme il n'est pas permis". "On a un problème pour mesurer l'état politique réel du pays", concède à l'époque Stéphane Vacher (Louis Harris).
2002: l'accident industriel
En avril 2002, dans le sprint final du premier tour, les sondages donnent tous Jacques Chirac et Lionel Jospin en tête, entre 18 à 19%, loin devant Jean-Marie Le Pen (12,5 à 14%).
"Coup de tonnerre" le 21 avril : Jacques Chirac obtient 19,9%, mais c'est Jean-Marie Le Pen (16,9%) qui accède au deuxième tour, devançant Lionel Jospin (16,2%).
"2002, c'est l'accident industriel", analyse pour l'AFP aujourd'hui Martial Foucault, directeur du Cevipof. "Les sondeurs ont été incapables d'estimer l'inhibition alors très forte autour du vote Le Pen".
A l'époque, les sondages se font encore beaucoup par téléphone où "il y a une interaction humaine avec un enquêteur qui peut créer une gêne", estime le politologue.
2007, 2012, 2017: un classement respecté malgré quelques écarts
Lors des trois présidentielles suivantes, les résultats aux premier et deuxième tours sont globalement conformes aux sondages.
En 2007, Nicolas Sarkozy, classé premier dans toutes les enquêtes d'avant premier tour à plus de 28%, se retrouve en pole position, avec trois points de plus (31,2%), suivi par Ségolène Royal, qui termine à 25,9%, après avoir été créditée de 24% dans les sondages.
Le classement sera aussi respecté pour François Bayrou et Jean-Marie Le Pen, respectivement troisième et quatrième. Les instituts de sondage auront tout de même surévalué d'environ 3,5 points le vote Le Pen à quelques jours du premier tour.
Lors du duel Hollande-Sarkozy de 2012, le candidat socialiste, crédité de 28% en moyenne les jours précédant le premier tour, l'emporte avec 28,6%. Son rival récolte 27,2% des votes, soit environ un point de plus que ce que lui prêtaient les sondages.
Marine Le Pen, 3e, Jean-Luc Mélenchon, 4e et François Bayrou, 5e, terminent aussi à la place prédite par les instituts, même si M. Mélenchon était crédité d'environ 3 points de plus
En 2017, les derniers sondages voient aussi juste : Emmanuel Macron et Marine Le Pen finissent au deuxième tour, talonnés par François Fillon et Jean-Luc Mélenchon.
Le score du candidat En Marche! (24,0%) est conforme aux projections tandis que Marine Le Pen (21,3%) a été légèrement surévaluée dans les sondages.
"On observe un changement après 2002 sur la manière dont les sondeurs pondèrent les intentions de vote", affirme à l'AFP Flora ChanvriI-Ligneel, statisticienne au Cevipof, qui évoque aussi la publication des marges d'erreur, obligatoire depuis 2016.
Des angles morts et des critiques
Depuis le crash de 2002, les instituts continuent toutefois d'avoir une grande difficulté à mesurer le taux de participation.
"Les intentions de vote ne sont pas mesurées sur l'ensemble des sondés mais seulement sur la partie d'entre eux qui ont déclaré être certains d'aller voter", assure Martial Foucault, pointant le risque que les sondages reflètent d'abord l'opinion de gens politisés.
Des voix s'élèvent également contre la prolifération de sondages plusieurs mois avant le scrutin, au risque de "fabriquer" l'opinion publique.
"Il y a des sondages en permanence, déplore Christian Brousse, directeur du très critique Observatoire des sondages. Le résultat, c'est que ça brouille le jeu électoral en guidant certains électeurs".