Imam, rabbin, évêque: trois femmes qui bousculent les traditions

Delphine Horvilleur, écrivaine et philosophe juive, Anne Soupa, théologienne et écrivaine catholique, et Kahina Bahloul, islamologue, ont, chacune à leur manière, interrogé et tenté d’améliorer la place de la femme dans leur religion respective. (Photos AFP/Combo ANFR).
Delphine Horvilleur, écrivaine et philosophe juive, Anne Soupa, théologienne et écrivaine catholique, et Kahina Bahloul, islamologue, ont, chacune à leur manière, interrogé et tenté d’améliorer la place de la femme dans leur religion respective. (Photos AFP/Combo ANFR).
Short Url
Publié le Lundi 30 novembre 2020

Imam, rabbin, évêque: trois femmes qui bousculent les traditions

  • Parmi ces personnes qui forcent le respect et suscitent l’admiration, trois femmes d’horizons distincts se retrouvent liées par cette volonté de changement
  • En femme courageuse et déterminée, Kahina Bahloul semble ne pas vouloir accepter que seuls les hommes puissent expliquer les textes et dicter les lois religieuses; idem pour Anne Soupa et Delphine Horvilleur

PARIS: Nager à contre-courant pour faire bouger les lignes n’est jamais une tâche facile. Pourtant nombreux sont ceux qui vouent leur vie à cet objectif, incapables de s’accommoder des limites de leur temps, ils cherchent à le faire évoluer même si cette quête est semée d’embûches.

Parmi ces personnes qui forcent le respect et suscitent l’admiration, trois femmes d’horizons distincts se retrouvent liées par cette volonté de changement. Anne Soupa, théologienne et écrivaine catholique, Delphine Horvilleur, écrivaine et philosophe juive, et Kahina Bahloul, islamologue, ont, chacune à leur manière, interrogé et tenté d’améliorer la place de la femme dans leur religion respective.

Anne Soupa, bousculer les obstacles

À 73 ans, Anne Soupa n’a de cesse de vouloir bousculer les obstacles qui entravent les femmes catholiques et qui bloquent leur évolution dans la hiérarchie ecclésiastique.

En mai dernier, à la suite de la démission de l’archevêque de Lyon, le cardinal Barbarin, Anne Soupa décide de se porter candidate à sa succession.

pic
Une femme peut enseigner le catéchisme ou entrer au couvent pour être religieuse. Anne Soupa ne s’en contente pas, elle veut enfoncer toutes les portes et, elle le dit clairement, «même pouvoir être pape». (AFP).

Elle n’ignore pas l’ampleur de la transgression que représente sa candidature qui n’a aucune chance d’aboutir.

C’est un gros pavé dans la mare puisque, pour être archevêque, il faut être prêtre et célibataire ce qui n’est pas son cas, et qu’on ne peut se porter candidat pour être archevêque, c’est le Pape qui le désigne.

L’objectif de cette entreprise vouée à l’échec est de revenir à ce qu’Anne Soupa a fait tout au long de sa carrière de théologienne: questionner la place de la femme dans l’Église.

Née dans une famille catholique qualifiée d’«ouverte», elle étudie la théologie à Lyon, et la Bible, son livre de chevet, lui a inspiré plusieurs ouvrages sur la religion qu’elle a publiés, et l’a confortée dans sa tâche principale: dénoncer l’invisibilité des femmes dans la hiérarchie ecclésiastique.

Une femme peut enseigner le catéchisme ou entrer au couvent pour être religieuse. Anne Soupa ne s’en contente pas, elle veut enfoncer toutes les portes et, elle le dit clairement, «même pouvoir être pape».

En 2013, à la renonciation du pape Benoît XVI, elle organise le premier conclave féminin de l’histoire dans une salle à Paris, un simulacre du conclave du Vatican pour l’élection du nouveau pape.

Le déferlement de violence dont elle fait l’objet sur les réseaux sociaux, les commentaires la traitant d’«hérétique», de «brebis galeuse» et même de «courgette» suscitent chez elle plus d’ironie que d’inquiétude.

Elle sait que sa vision des choses bouscule et dérange, mais l’écho médiatique de ses actions tout comme l’engouement de certains milieux féminins catholiques l’encouragent à persister.

Dans le sillage de sa candidature à l’archevêché de Lyon, six autres femmes ont d’ailleurs présenté les leurs à différents postes dans l’Église.

Les actions d’Anne Soupa n’ont suscité que peu de réactions de la part de l’Église, certains religieux avouant néanmoins que la posture de la théologienne pousse à la réflexion, malgré l’agacement qu’elle provoque au sein de l’institution.

Kahina Bahloul, première femme imam en France

Kahina Bahloul, 41 ans, première femme imam en France, fait également l’objet d’un déferlement de propos haineux allant jusqu’aux menaces de mort.

Née d’un père algérien et d’une mère française, Kahina Bahloul a grandi en Algérie où elle a vécu la décennie noire durant laquelle le gouvernement algérien s’est opposé à différents groupes islamistes.

pic
En femme courageuse et déterminée, Kahina Bahloul semble ne pas vouloir accepter que seuls les hommes puissent expliquer les textes et dicter les lois religieuses. (AFP). 

Juriste de formation, elle s’installe en France en 2005 et travaille dans les assurances. Le décès de son père bouleverse sa vie. Elle se pose des questions qui l’incitent à approfondir sa connaissance de l’islam et à entamer des études d’islamologie.

Tout comme Anne Soupa, sa connaissance de la religion s’accompagne d’interrogations sur la place de la femme. Elle en déduit qu’il est temps pour les femmes musulmanes d’occuper la place qu’elles méritent au sein de leur religion.

Au lendemain des attentats de 2015 revendiqués par Daech, qui ont semé la terreur dans Paris et provoqué la mort de 130 personnes, Kahina Bahloul crée une chaîne YouTube, «Parle-moi d’islam», afin d’apporter un éclairage sur la culture musulmane, dont la réputation est ternie par les attentats meurtriers.

Le succès de son site fait naître l’idée de fonder une mosquée pour dispenser des prêches sur l’islam à travers le prisme de la modernité.

Cette mosquée n’a pas encore vu le jour par manque de financement, mais Kahina Bahloul s’est déclarée imam en 2019, et, en février dernier, elle a conduit son premier prêche en présence de 22 fidèles dans une salle à Paris, une première en France.

Sa légitimité en tant qu’imam est mise en doute par ses détracteurs. Les responsables du culte musulman en France, quant à eux, gardent pour l’instant leurs distances. Seul l’imam de Bordeaux Tarek Oubrou a publiquement indiqué que l’imamat au féminin n’était pas interdit.

En femme courageuse et déterminée, Kahina Bahloul semble ne pas vouloir accepter que seuls les hommes puissent expliquer les textes et dicter les lois religieuses.

Delphine Horvilleur, rabbin, subit les foudres d’une partie de sa communauté

Depuis douze ans, Delphine Horvilleur, 46 ans, est rabbin et officie dans la synagogue de Beaugrenelle dans le XVe arrondissement de Paris. C’est l’une des trois femmes rabbins en France, mais elle se distingue du fait que sa voix porte au-delà de sa communauté.

Toute jeune, elle était attirée par le mystique. Elle se destinait au départ à une carrière de médecin, mais son grand-père, qui avait fait des études rabbiniques, a ébranlé sa certitude au cours d’une conversation en lui affirmant qu’il imaginait autre chose pour elle sans donner de précision.

pic
Delphine Horvilleur refuse de se laisser enfermer dans sa condition de femme ou de juive, et publie avec l’islamologue Rachid Benzine un livre intitulé Des mille et une façons d’être juif ou musulman. (AFP). 

Cette phrase l’a fâchée et a semé le doute en elle. Mais pour Delphine Horvilleur, douter c’est se chercher et se trouver.

Ses hésitations l’ont menée à devenir journaliste, et elle a travaillé pour une chaîne de télévision pendant plusieurs années, croyant avoir trouvé sa voie.

En 2002 elle décide de partir quelques semaines à New York pour étudier le Talmud. Dans le cercle juif le plus ouvert des États-Unis, une question la prend au dépourvu: «Pourquoi ne deviens-tu pas rabbin?» C’est le rabbin du Centre qui la lui pose. La boucle est bouclée, elle a l’explication de ce que son grand-père lui avait confié.

Delphine Horvilleur quitte son emploi de journaliste et s’installe à New York pendant cinq ans durant lesquels elle suit une formation de rabbin.

De retour en France, elle subit bien sûr les foudres d’une partie de sa communauté et fait l’objet d’une campagne de diffamation pour avoir écorné un monopole masculin.

Ce qui agace surtout ses détracteurs, c’est son ouverture d’esprit. Là non plus, l’intimidation ne fonctionne pas, Delphine Horvilleur étant un condensé de conviction et de tolérance.

Elle refuse de se laisser enfermer dans sa condition de femme ou de juive, et publie avec l’islamologue Rachid Benzine un livre intitulé Des mille et une façons d’être juif ou musulman.

Pour elle, le rabbin a pour mission de s’inspirer des textes sacrés pour faire le lien avec l’homme, ce qui la mène a développer sa propre réflexion sur la place de la femme, sur la haine et sur tous les sujets d’actualité de la société.


Vaste opération des forces de l'ordre en Nouvelle-Calédonie, après six morts dans des émeutes

Une rue bloquée par des débris et des objets brûlés est visible après les troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024.  (Photo Delphine Mayeur / AFP)
Une rue bloquée par des débris et des objets brûlés est visible après les troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024. (Photo Delphine Mayeur / AFP)
Short Url
  • Cette opération «avec plus de 600 gendarmes» vise «à reprendre totalement la maîtrise de la route principale de 60 km entre Nouméa et l’aéroport», a annoncé le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin dans un message sur X
  • Sur la route vers l’aéroport, des indépendantistes filtraient toujours le passage par de très nombreux barrages faits de pierres, d'engins divers ou d'autres objets, en fonction des véhicules qui se présentaient

NOUMÉA, France : L'Etat français a lancé dimanche une vaste opération des forces de l'ordre dans son archipel du Pacifique Sud de Nouvelle-Calédonie pour dégager la route vers l'aéroport, après six morts en six jours d'émeutes contre une réforme électorale.

Cette opération «avec plus de 600 gendarmes» vise «à reprendre totalement la maîtrise de la route principale de 60 km entre Nouméa et l’aéroport», a annoncé le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin dans un message sur X.

Une urgence pour les autorités, d'autant que la Nouvelle-Zélande a annoncé dimanche avoir demandé à la France de pouvoir poser des avions, afin de rapatrier ses ressortissants.

«Nous sommes prêts à décoller, et attendons l'autorisation des autorités françaises pour savoir quand ces vols pourront avoir lieu en toute sécurité», a indiqué dans un communiqué le ministre des Affaires étrangères, Winston Peters.

En l'absence de vols depuis et vers la Nouvelle-Calédonie, suspendus depuis mardi, le gouvernement de l'archipel estimait samedi que 3.200 personnes étaient bloquées, soit parce qu'elles ne pouvaient pas quitter l'archipel, soit parce qu'elles ne pouvaient pas le rejoindre.

- Plus de 3.000 personnes bloquées -

Pour déblayer la route vers l'aéroport, un convoi constitué notamment de blindés et d'engins de chantier à quitté Nouméa, dans un premier temps vers Païta.

Mais des journalistes de l'AFP ont constaté que dimanche à la mi-journée, à Nouméa et dans les communes avoisinantes, des indépendantistes filtraient toujours le passage par de très nombreux barrages faits de pierres, d'engins divers ou d'autres objets, en fonction des véhicules qui se présentaient.

«On est prêt à aller jusqu’au bout, sinon à quoi bon?», a dit un manifestant à l'AFP sur un barrage à Tamoa.

Les violences ont fait six morts, le dernier en date samedi après-midi, un Caldoche (Calédonien d'origine européenne) à Kaala-Gomen, dans la province Nord. Les cinq autres morts sont deux gendarmes et trois civils kanaks, dans l'agglomération de Nouméa.

Dans un communiqué dimanche matin, le Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie a fait cependant état d'une nuit «plus calme», soulignant que l'Etat se mobilisait.

«Au total, 230 émeutiers ont été interpellés» en près d'une semaine, a-t-il précisé.

Reprendre le contrôle par la force devrait être un travail de longue haleine pour les forces de l'ordre. La violence dans certains quartiers chaque nuit montre que les émeutiers restent très déterminés.

«La réalité c'est qu'il y a (...) des zones de non-droit (...) qui sont tenues par des bandes armées, des bandes indépendantistes, de la CCAT. Et dans ces endroits, ils détruisent tout», affirmait samedi sur BFMTV le vice-président de la province Sud de la Nouvelle-Calédonie, Philippe Blaise.

La Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) est une organisation indépendantiste radicale accusée d'inciter à la plus grande violence.

- «Ingérences» -

Nouvel exemple des troubles dans la nuit de samedi à dimanche: d'après la chaîne de télévision publique Nouvelle-Calédonie La 1ère, la médiathèque du quartier de Rivière salée à Nouméa a été incendiée.

Interrogée par l'AFP, la mairie de Nouméa a répondu dimanche matin n'avoir «aucun moyen pour le moment de le vérifier, le quartier étant inaccessible».

La maire de Nouméa, Sonia Lagarde (Renaissance), estimait samedi sur BFMTV que la situation était «loin d'un retour à l'apaisement». «Est-ce qu'on peut dire qu'on est dans une ville assiégée? Oui, je pense qu'on peut le dire», ajoutait-elle.

Les mesures exceptionnelles de l'état d'urgence sont maintenues, à savoir le couvre-feu entre 18H00 et 6H00 (7H00 et 19H00 GMT), l'interdiction des rassemblements, du transport d'armes et de la vente d'alcool, et le bannissement de l'application TikTok.

Signe d'une situation qui pourrait durer, le passage de la flamme olympique en Nouvelle-Calédonie prévu le 11 juin a été annulé.

Pour la population, se déplacer, acheter des produits de première nécessité et se soigner devient plus difficile chaque jour. De moins en moins de commerces réussissent à ouvrir, et les nombreux obstacles à la circulation compliquent de plus en plus la logistique pour les approvisionner, surtout dans les quartiers les plus défavorisés.

Dimanche matin, la province Sud, qui regroupe près des deux tiers de la population, a annoncé que toutes les écoles resteraient fermées dans la semaine.

Les autorités françaises espèrent que l'état d'urgence en vigueur depuis jeudi va faire reculer les violences, qui ont débuté lundi après une mobilisation contre une réforme électorale contestée par les représentants du peuple autochtone kanak, qui redoutent une réduction de leur poids électoral.

Sans faire de lien direct avec les violences, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a accusé l'Azerbaïdjan d'ingérence en Nouvelle-Calédonie, Bakou dénonçant des accusations «infondées».

Le sénateur français Claude Malhuret, rapporteur d'une commission d'enquête sur TikTok, interdit sur l'archipel en raison des émeutes, a lui estimé qu'il fallait plus craindre «des ingérences de la Chine» qui «veut être dans son pré carré en mer de Chine mais également prépondérante dans le Pacifique». «Elle a besoin de nickel pour produire ses batteries», a-t-il expliqué dans un entretien à l'AFP, en référence au minerai brut dont l'archipel détient 20 à 30% des ressources mondiales.

 


Le premier procès en France pour juger les crimes du régime syrien s'ouvre mardi

Le nouveau procureur antiterroriste français Olivier Christen pose lors d'une séance photo à Paris le 28 mars 2024 (Photo, AFP).
Le nouveau procureur antiterroriste français Olivier Christen pose lors d'une séance photo à Paris le 28 mars 2024 (Photo, AFP).
Short Url
  • Prévue sur quatre jours, l'audience sera filmée au titre de la conservation d'archives historiques de la justice
  • Parallèlement, en juillet 2016, l'épouse et la fille de Mazzen Dabbagh étaient expulsées de leur maison à Damas, qui était réquisitionnée par Abdel Salah Mahmoud

PARIS: Une première en France: trois hauts responsables du régime de Bachar Al-Assad seront jugés à partir de mardi, par défaut, de complicité de crimes contre l'humanité et de délit de guerre devant la cour d'assises de Paris, pour leur rôle dans la mort de deux Franco-syriens arrêtés en 2013.

Selon la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), ce procès "jugera les plus hauts responsables du régime jamais poursuivis en justice depuis l'éclatement de la révolution syrienne en mars 2011".

Des procès sur les exactions du régime syrien ont déjà eu lieu ailleurs en Europe, notamment en Allemagne. Mais dans ces cas, les personnes poursuivies étaient de rang inférieur, et présentes aux audiences.

Visés par des mandats d'arrêt internationaux, Ali Mamlouk, ancien chef du Bureau de la sécurité nationale, la plus haute instance de renseignement en Syrie, Jamil Hassan, ancien directeur des très redoutés services de renseignements de l'armée de l'Air et Abdel Salam Mahmoud, ancien directeur de la branche investigation de ces services, seront jugés, eux, par défaut.

Pour cette raison, la cour d'assises sera composée de trois magistrats professionnels, sans jurés.

Prévue sur quatre jours, l'audience sera filmée au titre de la conservation d'archives historiques de la justice. Et pour la première fois à la cour d'assises de Paris, un interprétariat en arabe sera assuré pour le public.

Les deux victimes, Patrick et son père Mazzen Dabbagh, étudiant à la faculté de lettres et sciences humaines de Damas né en 1993 pour le premier et conseiller principal d'éducation à l'Ecole française de Damas né en 1956 pour le deuxième, avaient été arrêtés en novembre 2013 par des officiers déclarant appartenir aux services de renseignement de l'armée de l'Air syrienne.

Torture 

Selon le beau-frère de Mazzen Dabbagh, arrêté en même temps que lui mais relâché deux jours plus tard, les deux hommes, de nationalités française et syrienne, ont été transférés à l'aéroport de Mezzeh, siège d'un lieu de détention dénoncé comme un des pires centres de torture du régime.

Puis ils n'ont plus donné signe de vie jusqu'à être déclarés morts en août 2018. Selon les actes de décès transmis à la famille, Patrick serait mort le 21 janvier 2014 et Mazzen le 25 novembre 2017.

Dans leur ordonnance de mise en accusation, les juges d'instruction jugent "suffisamment établi" que les deux hommes "ont subi comme des milliers de détenus au sein des renseignements de l'armée de l'Air, des tortures d'une telle intensité qu'ils en sont décédés".

Coups de barres de fer sur la plante des pieds, décharges électriques, violences sexuelles... lors des investigations, plusieurs dizaines de témoins - dont plusieurs déserteurs de l'armée syrienne et des anciens détenus d'al-Mezzeh - ont détaillé aux enquêteurs français et à l'ONG Commission internationale pour la justice et la responsabilité (CIJA) les tortures infligées dans la prison de Mezzeh.

Parallèlement, en juillet 2016, l'épouse et la fille de Mazzen Dabbagh étaient expulsées de leur maison à Damas, qui était réquisitionnée par Abdel Salah Mahmoud. Des faits "susceptibles de constituer les délits de guerre, d'extorsion et de recel d'extorsion", selon l'accusation, qui souligne que "l'appréhension des propriétés des Syriens disparus, placés en détention, déplacés de force ou réfugiés, représentait un véritable enjeu pour le régime syrien".

"Beaucoup pourraient considérer ce procès comme symbolique, mais il s'inscrit dans un long processus et doit se lire à l'aune des procès" déjà tenus ou en cours ailleurs dans le monde, observe Me Clémence Bectarte, qui défend plusieurs parties civiles. "Tout cela participe à un effort de lutte contre l'impunité des crimes du régime syrien, d'autant plus indispensable que ce combat pour la justice est aussi un combat pour la vérité".

"On a tendance à oublier que les crimes du régime sont encore commis aujourd'hui", met en garde l'avocate. Ce procès vient rappeler qu'"il ne faut en aucun cas normaliser les relations avec le régime de Bachar al-Assad".


En Nouvelle-Calédonie, situation «plus calme» mais vie quotidienne difficile

Des personnes font la queue pour acheter des provisions dans un supermarché alors que des articles carbonisés précédemment incendiés sont visibles à la suite des troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024. (Photo Delphine Mayeur AFP)
Des personnes font la queue pour acheter des provisions dans un supermarché alors que des articles carbonisés précédemment incendiés sont visibles à la suite des troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024. (Photo Delphine Mayeur AFP)
Short Url
  • Vendredi en fin de soirée, l'arrivée de 1.000 renforts supplémentaires, en plus des 1.700 déjà déployés, a montré la détermination des autorités françaises pour reprendre le contrôle de la situation
  • Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a recensé 3.200 personnes bloquées en raison de l'absence de vols commerciaux au départ de et vers l'archipel

NOUMÉA, France : La vie quotidienne des Néo-Calédoniens devient de plus en plus difficile samedi, malgré une situation «plus calme» sur la majeure partie de l'archipel français du Pacifique Sud, au sixième jour des émeutes causées par une réforme électorale qui a provoqué la colère des indépendantistes.

Vendredi en fin de soirée, l'arrivée de 1.000 renforts supplémentaires, en plus des 1.700 déjà déployés, a montré la détermination des autorités françaises pour reprendre le contrôle de la situation.

Mais pour les habitants, les dégâts de plus en plus étendus compliquent le ravitaillement dans les commerces, ainsi que le fonctionnement des services publics, notamment de santé.

Le danger subsiste par ailleurs dans les quartiers où les émeutiers sont les plus nombreux et les mieux organisés.

Dans l'un d'eux, la Vallée du Tir à Nouméa, un motard s'est tué vendredi en fin d'après-midi dans un accident de la route en heurtant une épave de voiture, selon le procureur de la République de Nouméa, Yves Dupas.

Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a appelé lors d'une conférence de presse à cesser barrages et barricades.

«On est en train de s'entretuer et on ne peut pas continuer comme ça», a déclaré Vaimu'a Muliava, membre du gouvernement chargé de la fonction publique.

«Des gens meurent déjà non pas à cause des conflits armés, mais parce qu'ils n'ont pas accès aux soins, pas accès à l'alimentation», a-t-il ajouté.

Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a aussi recensé 3.200 personnes bloquées en raison de l'absence de vols commerciaux au départ de et vers l'archipel.

Les autorités françaises espèrent que l'état d'urgence en vigueur depuis jeudi va continuer à faire reculer les violences, qui ont débuté lundi après une mobilisation contre une réforme électorale contestée par les représentants du peuple autochtone kanak.

Depuis, la crise qui frappe ce territoire colonisé par la France au XIXe siècle a fait cinq morts, dont deux gendarmes et trois civils kanaks, et des centaines de blessés au cours de violentes nuit d'émeutes. En réponse, le gouvernement a envoyé des renforts policiers, interdit TikTok - réseau social prisé des émeutiers -, et déployé des militaires.

- Strict minimum -

Devant les rares magasins de Nouméa qui n'ont pas été ravagés par les flammes ou pillés, les files d'attente restaient très longues samedi.

«Cela fait plus de trois heures qu'on est là», soupirait Kenzo, 17 ans, en quête de riz et de pâtes.

Selon la Chambre de commerce et d'industrie de Nouvelle-Calédonie, les violences ont «anéanti» 80% à 90% de la chaîne de distribution commerciale de la ville.

Le représentant de l'Etat français en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc, a promis la mobilisation de l'Etat pour «organiser l'acheminement des produits de première nécessité» et un «pont aérien» entre la métropole et son archipel, séparés de plus de 16.000 km.

De son côté, un responsable de l'hôpital de Nouméa, Thierry de Greslan, s'est alarmé de la dégradation de la situation sanitaire. «Trois ou quatre personnes seraient décédées hier (jeudi) par manque d'accessibilité aux soins», en raison notamment de barrages érigés dans la ville, a-t-il avancé sur la radio France Info.

Face à la «gravité» de la situation et afin «de répondre aux besoins sanitaires de la population», l'Etablissement français du sang (EFS) a annoncé vendredi l'envoi de produits sanguins.

- «Grande fermeté» -

A Paris, le ministre de la Justice a demandé au parquet «la plus grande fermeté à l'encontre des auteurs des exactions». Eric Dupond-Moretti a aussi indiqué qu'il envisageait de transférer les «criminels» arrêtés sur le «Caillou» en métropole «pour ne pas qu'il y ait de contaminations (...) des esprits les plus fragiles».

Parallèlement, la justice française a ouvert une enquête sur «les commanditaires» des émeutes, ciblant notamment le collectif CCAT (Cellule de coordination des action de terrain), frange la plus radicale des indépendantistes, déjà mis en cause par le gouvernement.

«J'ai décidé d'ouvrir une enquête visant notamment des faits susceptibles de concerner des commanditaires», parmi lesquels «certains membres de la CCAT», a déclaré le procureur Yves Dupas, pointant «ceux qui ont instrumentalisé certains jeunes dans une spirale de radicalisation violente». Au total, depuis dimanche, 163 personnes ont été placées en garde à vue, dont 26 ont été déférées devant la justice, selon le parquet.

Jeudi, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait qualifié la CCAT d'organisation «mafieuse».

Vendredi, ce collectif a demandé «un temps d'apaisement pour enrayer l'escalade de la violence». Sur la radio RFI, un de ses membres, Rock Haocas, a assuré que son organisation «n'a pas appelé à la violence», attribuant ces émeutes à une «population majoritairement kanak marginalisée».

Sur le front politique, après l'annulation d'une visioconférence avec tous les élus calédoniens jeudi, le président français Emmanuel Macron a commencé vendredi à avoir des échanges avec certains d'entre eux mais son service de communication a refusé d'en dire plus.

Présentée par son gouvernement, la réforme constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres vise à élargir le corps électoral aux élections provinciales, cruciales sur l'archipel. Les partisans de l'indépendance estiment que cette modification risque de réduire leur poids électoral.

Paris a par ailleurs détaillé ses accusations portées contre l'Azerbaïdjan «d'ingérences» en Nouvelle-Calédonie, archipel stratégique pour la France qui veut renforcer son influence en Asie Pacifique et de part ses riches ressources en nickel.

Paris a évoqué une «propagation massive et coordonnée» de contenus relayés par des comptes liés à Bakou et accusant la police française de tirer sur des manifestants indépendantistes.