PARIS : Né en Oranie en 1941, Denis Martinez est issu d’une famille d’origine espagnole. Après l’Indépendance, il choisira l’Algérie comme patrie. Selon Anissa Bouayad, historienne de l’art, au cours de sa longue carrière d’artiste de plus de soixante ans, Denis Martinez a concentré dans les différents prismes de sa création, l’Histoire artistique de l’Algérie contemporaine.
Professeur de dessin aux Beaux-Arts d’Alger dès l’âge de 21 ans, l’artiste a fait preuve d’une grande pédagogie auprès de ses élèves, les jeunes artistes algériens. Pilier de la vie artistique de la jeune Algérie indépendante, son œuvre est l’objet d’une rétrospective au Musée d’Alger en 1985. Contraint à l’exil en 1994, durant les années de la décennie noire, Denis Martinez s’installe à Marseille et il enseigne à l’École supérieure d’art d’Aix -en-Provence.
«J’ai quitté l’Algérie lors de la décennie noire, je tiens à rendre hommage à tous les artistes et intellectuels assassinés par les islamistes», affirme Denis Martinez, qui cite le dramaturge Abdelkader Alloula; le professeur Mahfoud Boucebci, l’un des fondateurs de la psychiatrie algérienne; et Tahar Djaout, écrivain et journaliste.
Les œuvres exposées de Denis Martinez
Porte de l’illumination, acrylique sur toile (1991)
Anzar, le prince berbère de la pluie, (2001), donation Claude et France Lemand.
Il ajoute «Je suis citoyen algérien, et cette citoyenneté, je la revendique. Le travail que je réalise reflète une relation émotionnellement forte avec le vécu que j’essaye de raconter par étapes dans mes œuvres, dont celle intitulée Anzar, le prince berbère de la pluie. Elle évoque la violence et les massacres durant la décennie noire. Je suis présent à l’exposition Algérie mon amour, pour dire que l’Algérie est là, mais avec sa douleur.»
Fervent défenseur des arts populaires
Pour Anissa Bouayad, l’œuvre de Denis Martinez a pu être rapprochée de celle des surréalistes ou des dadaïstes, l’artiste revendiquant plutôt son goût pour les arts populaires. Assemblages, dessin vertigineux de virtuosité, peinture dans tous ses états et sur tous les supports – de la toile aux murs, de l’intérieur à l’extérieur –, sans oublier ses installations et ses fameuses performances.
L’Histoire de l’art souligne que son approche des murs comme support d’un art en situation, abordé à partir des années 1980, au travers d’un travail collectif avec les étudiants des Beaux-Arts – Les dernières paroles d’un mur (1986), Sept murs revisités (1990), ou encore au musée des Arts et des Traditions –, met en résonance ses œuvres avec la musique de Safy Boutella et les objets du musée. L’artiste déclare: «Les mots-repères, que l’artiste utilise dans ses compositions pour questionner et capter le regard, s’ajoutent dans leur véhémence inquiétée et vaine aux signes explicitement agressifs qui percutent la toile.»
L’œuvre D’un linceul à l’autre, réalisée en 1999 en exil à Marseille, comme plusieurs de ces portes de l’enfer, prolonge le témoignage sur ces années de plomb. Les longs rectangles qui entourent le personnage hébété se succèdent, alignés comme autant de linceuls, surmontés de mots en tifinagh, en arabe, en français, expression pathétique du désarroi et de l’omniprésence de la violence et de la mort.
Interrogé par Arab News en français sur son goût pour les arts populaires, Denis Martinez explique: «Nous avons une autre Histoire du point de vue esthétique qu’il faudra redécouvrir, à travers notamment les fresques du Tassili et toutes les traces des arts populaires berbères, habitants qui résident en Algérie, dans le Maghreb et plus largement en Afrique», confie l’artiste. «Apprendre à regarder autour de soi, pas pour répéter, mais pour comprendre le sens des arts populaires», souligne-t-il. «Ces femmes qui fabriquaient des tapis ou des poteries racontent des choses à travers les symboles, la manière de sentir les couleurs, les matières, tout cela est une école importante dans la vie», conclut-il.