PARIS: Du sang neuf et des cuisines diverses et durables: placée sous le signe des retrouvailles, l'édition 2022 du prestigieux guide Michelin, qui dévoile mardi son palmarès, veut refléter la vitalité de la gastronomie française.
Attendue chaque année avec appréhension par les chefs et les gourmets du monde entier, la sélection du fameux "guide rouge" sera dévoilée mardi à 16H30 lors d'une cérémonie en région, à Cognac (Charente).
Une première pour le guide qui avait l'habitude d'annoncer ses lauréats lors d'une cérémonie à Paris.
Cette édition sera "un moment de retrouvailles pour l'ensemble de la profession", souligne auprès de l'AFP Gwendal Poullennec, directeur du guide Michelin, après une édition 2021 qui s'était déroulée en mode mineur pour cause de crise sanitaire liée au Covid-19.
Un seul chef, Alexandre Mazzia, avait alors été promu trois étoiles, plus haute distinction dans le monde gastronomique.
A quoi faut-il s'attendre pour cette nouvelle édition? "Le millésime 2022 est un très beau millésime qui reflète la diversité des cuisines que l'on peut trouver en France (...) mais aussi fera la place à une nouvelle génération de chefs qui ont pris le risque de se lancer, malgré le contexte, dans leur propre projet et c'est cette vitalité qui va être célébrée", détaille M. Poullennec.
"Malgré la crise, malgré les difficultés, la profession a fait preuve d'une très grande résilience, d'une très grande résistance. Ca a été l'occasion pour les professionnels de se réinventer, d'aller plus loin et c'est ce que nous voulons soutenir", poursuit-il.
Succès et polémiques au guide Michelin, bible de la gastronomie
Le célèbre guide gastronomique Michelin, dont l'édition 2022 sort mardi, connaît le succès depuis plus d'un siècle, mais a aussi suscité des polémiques récurrentes.
Les débuts
En 1900, moins de 3 000 automobiles roulent en France. Les frères André et Édouard Michelin, confiants dans l'essor de l'automobile, mettent à la disposition des automobilistes un document facilitant leurs voyages avec l'adresse de mécaniciens et d'hôtels.
La première édition est tirée à 35 000 exemplaires. "Cet ouvrage paraît avec le siècle, il durera autant que lui", dit le préfacier, visionnaire.
En 1904, sort le premier guide hors des frontières, en Belgique. Dès 1910, paraissent les guides Allemagne et Espagne/Portugal. Beaucoup d'autres suivront.
Le guide est gratuit jusqu'en 1920.
En 2021 sort le premier guide pour découvrir la France à bord des trains régionaux. Une petite révolution pour le guide rouge historiquement conçu pour les automobilistes.
L'apparition des étoiles
La hiérarchie étoilée complète, appliquée à la France entière, date de 1933: une table "vaut le voyage" pour les trois étoiles, "mérite le détour" pour les deux étoiles, est "une très bonne table" pour une étoile.
En 1997, apparaissent les pictogrammes "Bib gourmand" qui indiquent un très bon rapport qualité/prix ou encore "Les piécettes" qui désignent des restaurants aux menus complets et économiques. En 2000, Michelin introduit quelques lignes de texte sur l'établissement.
En un siècle, l'édition française s'est vendue à quelque 30 millions d'exemplaires. D'autres guides, notamment anglo-saxons, lui mènent dorénavant une dure concurrence.
Critiques et polémiques
Le guide a été notamment critiqué par deux livres en 2004, révélant le monde impitoyable de la cuisine ou soulignant le manque de transparence des notations: "L'inspecteur se met à table", de Pascal Rémy, et "Food Business: la face cachée de la gastronomie française", d'Olivier Morteau. Pascal Rémy, inspecteur du Michelin, est licencié pour faute grave et rupture de clause de confidentialité.
A l'origine de débats récurrents, l'octroi de lauriers suscite une pression toujours accrue sur l'heureux bénéficiaire, laquelle est parfois mal vécue.
Plusieurs chefs triplement étoilés ont voulu résoudre le problème d'une manière ou d'une autre (retraite accélérée, fermeture du restaurant, demande de sortie du guide...): Joël Robuchon en 1996, Alain Senderens en 2005, Antoine Westermann en 2006, Olivier Roellinger en 2008, Sébastien Bras en 2017.
Plus dramatique, le suicide du chef triplement étoilé Bernard Loiseau en 2003. En cause, parmi d'autres raisons, la pression exercée par la critique gastronomique.
Un autre chef, Benoît Violier, s'est lui aussi suicidé en 2016, 24 heures avant la sortie du Michelin qui lui maintenait pourtant ses "trois étoiles".
Fin 2019, le chef Marc Veyrat, qui avait saisi la justice pour savoir pourquoi le Guide avait privé l'un de ses restaurants de sa troisième étoile, a été débouté.
Sur environ 20 000 restaurants dans le monde listés dans le guide, seuls une centaine ont obtenu la distinction suprême des "trois étoiles".
En 2021, le guide a une nouvelle fois été critiqué pour avoir maintenu sa sélection en France malgré les fermetures des restaurants imposées par la Covid. Ses concurrents, eux, avait choisi d'annuler leur palmarès.
Le guide rouge à l'international
En 2005, le Michelin quitte l'Europe pour la première fois avec la parution du guide New York, suivi en 2007 par San Francisco, puis Las Vegas et Los Angeles.
Le premier guide en Asie concerne Tokyo en 2008, puis Michelin lance pour la Chine une édition Hong Kong et Macao. Shanghai, Singapour, Taïwan, Séoul et Bangkok ont désormais toutes leur guide.
Parce qu'il refusait des réservations du grand public, un restaurant réputé de sushi de Tokyo, Sukiyabashi Jiro, qui était noté trois étoiles, a été radié en 2019.
Les restaurants du monde entier sélectionnés dans le guide sont depuis deux ans identifiables sur le site de Tripadvisor et peuvent être réservés sur LaFourchette, leader mondial de réservation de restaurants en ligne.
Équitable
Autre tendance qui pourrait bien se retrouver dans le palmarès: des chefs et des restaurants dont les menus sont plus minimalistes et font la part belle au local: "Les chefs sont de plus en plus atteints par le local et la question de la traçabilité des produits. Tout ça se retrouve dans la simplification de l'offre culinaire et des menus", avance M. Poullennec.
Reste une question: le guide a-t-il pris en compte le contexte difficile dans lequel évolue la profession depuis le début de la crise sanitaire?
"Notre préoccupation est d’être équitable vis-à-vis de la profession et d'être au rendez vous qualité pour la clientèle. Les critères restent les mêmes et la méthode aussi. Nous avons adapté notre planning (la sélection était initialement prévue en janvier, ndlr) mais nous sommes restés en totale conformité avec nos valeurs et notre méthode", affirme-t-il.
Qualité de la table et des produits, maîtrise des techniques, harmonie des goûts, personnalité du chef exprimée dans l'assiette et régularité dans le temps et tout au long d'un menu: les critères d'évaluation "sont les mêmes partout dans le monde et depuis toujours", insiste-t-il.
Une sélection qui a été faite avec le même sérieux que les éditions précédentes, les inspecteurs ayant pu réaliser autant de repas que les années précédentes, selon Gwendal Poullenec.
Si rien n'a filtré du côté des rétrogradations, ce dernier rappelle que "les étoiles se gagnent tous les ans".
Aucun chef détenteur de trois étoiles n'avait été rétrogradé lors du millésime 2021, contrairement aux années 2019 et 2020 durant lesquels avaient été respectivement rétrogradés le chef Marc Veyrat et un restaurant Bocuse, créant l'émoi au sein de la profession.
"Il est important que nos recommandations restent pertinentes pour la clientèle", se défend-il.
Créé en 1900 par les frères André et Edouard Michelin, à destination des automobilistes, le guide Michelin est aujourd'hui présent en Europe, en Asie, en Amérique du Nord et du Sud et se décline en une trentaine d'éditions.
Début mars, il annonçait suspendre ses activités en Russie en raison de la guerre en Ukraine, un an après y avoir consacré une gastronomie inspirée des cuisines de l'ex-empire soviétique.