La crise ukrainienne sera sans aucun doute la grande invitée surprise de cette élection présidentielle française. Les différents candidats attendaient sagement que cette séquence de tension régionale puisse se refermer avant de vaquer à leur campagne électorale. C’était sans compter avec la politique inattendue de Poutine qui, tel un éléphant dans un magasin de porcelaine, a décidé de dynamiter l’Ukraine et... la présidentielle française.
Faut-il rappeler que quand l’administration américaine assurait avec certitude que Moscou avait décidé d’envahir l’Ukraine, pour les candidats à cette présidentielle française et jusqu’au sommet de l’État, c’est l’incrédulité qui dominait, accompagnée d’un haussement d’épaules: jamais Poutine n’osera une telle démarche. L’homme est dans une logique de surenchère médiatique et de manœuvres politiques.
L’Ukraine est présente dans la campagne électorale depuis le début. D’abord parce que sous le prétexte de s’investir dans des médiations internationales, Emmanuel Macron a retardé au maximum l’annonce de sa candidature, privant, selon ses opposants, les Français d’une campagne électorale où il aura à rendre des comptes sur son bilan.
Or, aujourd’hui, Emmanuel Macron s’en sort avec une double image qui pourrait le servir dans sa stratégie de reconquête. Au pire, il s’agirait d’un échec dans une médiation presque impossible à réussir. Au mieux, il dégagerait l’image d’un chef qui a tout essayé pour éviter la guerre au continent européen. L’iconographie politique que l’Élysée a tenté de vendre aux Français d’un Emmanuel Macron, barbe de quelques jours, en position d’ascète nocturne en train de tenter de sauver la paix dans le monde, visait justement à tresser cette image et à construire cette réputation.
Pour Emmanuel Macron, quelle que soit l’issue de cette crise, il s’en sort comme l’homme pas encore candidat qui a tout essayé. Ce n’est pas le cas de ses adversaires potentiels dont les positions ont été prises à rebours par les évolutions militaires de la situation.
En effet, Éric Zemmour ainsi que Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont été politiquement pulvérisés par la stratégie de Vladimir Poutine. De nombreuses récentes archives opportunément réapparues les montraient en total décalage avec la réalité des événements. D’abord, tous avaient la certitude que les Russes ne commettraient aucune invasion en Ukraine. Mais le pire, c’est l’admiration non feinte qu’ils vouaient à la personne de Vladimir Poutine. Un homme devenu un pyromane assumé qui défie le monde et met en danger sa sécurité et sa stabilité.
Ironie de l’histoire, l’admiration de Poutine, de son style, de son œuvre et de sa stratégie est un des rares points communs entre l’extrême droite et l’extrême gauche en France. Et à notre époque, cela devient plus un handicap qu’une simple posture politique. La réalité ukrainienne sous pression militaire russe montre la vacuité, la légèreté, voire la dangerosité des positions de ces candidats à la magistrature suprême.
D’ailleurs, il n’y a qu’à voir la gêne observée chez Marine Le Pen, Éric Zemmour ou Jean-Luc Mélenchon pour commenter cette activité pour constater à quel point la campagne militaire russe en Ukraine a profondément changé l’atmosphère de la campagne française. Les contorsions de Marine Le Pen pour ne pas qualifier Poutine de «dictateur» sont la preuve de cette douloureuse révision de l’extrême droite française qui continue à regarder le régime de Poutine avec les yeux de Chimène.
Si ces postulants à l’Élysée avaient la moindre chance d’accéder à la fonction présidentielle, Poutine vient de les dynamiter. Il est difficile pour l’opinion française, remontée par la crise ukrainienne, d’accorder le moindre crédit à des personnalités qui tressent des lauriers à Vladimir Poutine et sa politique agressive et déstabilisatrice.
Il y avait déjà un boulevard devant Emmanuel Macron pour reconduire son bail à l’Élysée. Avec la crise ukrainienne, l’actuel président s’est assuré qu’aucun concurrent sérieux ne viendrait déranger cet agencement des événements.
Son vrai défi n’est pas de conserver les clefs du palais de l’Élysée, mais de conserver une majorité parlementaire. Car s’il est dit que M. Macron est actuellement à la fois le meilleur et incontournable pour sa propre succession, il n’est pas certain que les élections législatives qui suivront après l’élection présidentielle ne puissent servir de caisses de résonance aux frustrations locales. Les résultats pourraient, comme le craignent beaucoup, priver Emmanuel Macron d’une majorité confortable qui l’avait aidé à gérer paisiblement son premier mandat. De mauvaises performances législatives pourraient l’obliger à envisager une logique de composition et de compromis avec d’autres forces politiques. Un exercice imposé, inédit pour lui.
L’extrême droite et l’extrême gauche sont engluées dans leur soutien au régime politique de Vladimir Poutine. Il est fort à parier que ces partis passent le reste de la campagne électorale française à justifier ce positionnement pro-Poutine à un moment clef de la vie du continent européen qui traverse une délicate séquence en raison de l’agressivité du régime russe. Emmanuel Macron n’aura qu’à compter les déboires et les contradictions de ses adversaires pour se baisser et ramasser la mise.
Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.
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