La Russie et l’Occident devraient rééquilibrer les rapports de force

Le président français, Emmanuel Macron, et le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, s’entretiennent avec des journalistes à l’Élysée, à Paris, le 21 mai 2021 (Photo, AFP).
Le président français, Emmanuel Macron, et le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, s’entretiennent avec des journalistes à l’Élysée, à Paris, le 21 mai 2021 (Photo, AFP).
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Publié le Mardi 01 mars 2022

La Russie et l’Occident devraient rééquilibrer les rapports de force

La Russie et l’Occident devraient rééquilibrer les rapports de force
  • Compte tenu de l’ampleur des ravages subis par les cibles militaires ukrainiennes, il ne semble y avoir aucun espoir d’inverser le cours des événements
  • Le péché originel de l’Ukraine remonte sans doute à 2008, lorsque le pays a décidé de lancer un plan d’action pour adhérer à l’Otan

La semaine dernière, le président russe, Vladimir Poutine, a donné l’ordre de mener une offensive militaire contre l’Ukraine, deux jours seulement après avoir signé un décret qui reconnaît l’indépendance des deux républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk.

En raison de l’ampleur des ravages subis par les cibles militaires ukrainiennes, il ne semble y avoir aucun espoir d’inverser le cours des événements en Ukraine, notamment en l’absence de tout soutien tangible de la part de l’Otan ou de l’Union européenne (UE). Les pays membres de ces deux blocs occidentaux ont réagi en publiant des déclarations fermes qui condamnent l’action militaire russe ou qui promettent d’imposer des sanctions économiques comme les restrictions de voyage ou le gel des comptes bancaires. L’espoir que de telles sanctions dissuadent la Russie d’exécuter ses projets est bien mince. Moscou poursuivra probablement son offensive jusqu’à persuader l’Ukraine de parvenir à une solution selon les conditions de Poutine.

Malgré leurs efforts sincères, l’Otan et l’UE n’ont pas été en mesure d’empêcher l’intervention militaire de la Russie en Ukraine. L’efficacité du système des Nations unies en matière d’instauration et de maintien de la paix s’est avérée insuffisante. La communauté internationale doit tirer des leçons de cet échec.

L’Allemagne devrait assumer sa part de responsabilité, puisqu’elle a immédiatement mis un terme à la procédure de certification du projet de gazoduc Nord Stream 2. C’était une étape importante. La suspension aura des répercussions négatives sur l’économie russe, qui est fragile, mais, en réalité, il s’agit d’une situation désavantageuse. On se demande si cette mesure aura pour effet de paralyser l’économie russe. Nous avons vu, par le passé, de quelle manière les sanctions américaines contre l’Iran ont affaibli l’économie du pays sans pour autant la paralyser. L’économie russe est beaucoup plus grande et diversifiée que celle de l’Iran et elle pourrait donc s’avérer encore plus résistante.

Les États-Unis pourraient utiliser l’échec de l’Otan pour contrer l’action militaire de la Russie en Ukraine et tenter de revitaliser l’alliance. Ils pourraient ainsi la sauver de ce que le président français, Emmanuel Macron, a qualifié de «mort cérébrale» en 2019.

Le péché originel de l’Ukraine remonte sans doute à 2008, lorsque le pays a décidé de lancer un plan d’action pour adhérer à l’Otan. Une initiative similaire a ensuite été prise pour conclure un accord d’association avec l’UE. Ces deux initiatives ont été reléguées au second plan lorsque le prorusse Viktor Ianoukovitch a remporté l’élection présidentielle de 2010. Il a préféré tenir son pays à l’écart de cet alignement. Cependant, le peuple ukrainien souhaitait si fortement adhérer à ces deux organisations que le président Ianoukovitch n’a pu faire face à la pression et a été contraint de fuir le pays.

Le soutien à l'adhésion à l’Otan était faible en Ukraine auparavant. Pendant la présidence de Viktor Ianoukovitch, il n’était que de 28%. C’est seulement après l’annexion de la Crimée par la Russie qu’il est monté à 69%.

Plus tard, à la question de savoir si l’Ukraine devait adhérer à l’alliance, les pays de l’Otan ont exprimé des avis divergents dans la mesure où cela reviendrait à y importer le conflit russo-ukrainien. L’Ukraine a payé un lourd tribut face à cette indécision.

Après le début des opérations militaires russes, la semaine dernière, l’ambassadeur d’Ukraine à Ankara a officiellement demandé à la Turquie de bloquer le passage des navires de guerre russes via le détroit turc en utilisant ses droits qui découlent de l’article 19 de la convention de Montreux. Cependant, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a déclaré que les navires de la marine russe qui se dirigent vers leur base en Russie seraient autorisés à traverser le détroit. La réponse de Cavusoglu ne tient pas compte des subtilités du problème: l’article 19 prévoit que, «en temps de guerre, la Turquie n’étant pas belligérante […], il sera interdit aux navires de guerre de toute puissance belligérante de traverser le détroit». Un point n’est pas clair, en l’occurrence: sommes-nous techniquement «en temps de guerre» au sens de la convention? En effet, ni la Russie ni l’Ukraine n’a déclaré la guerre en bonne et due forme.

Une guérilla urbaine se prépare dans plusieurs villes ukrainiennes. Les Ukrainiens organisent une résistance acharnée; ils ont été formés à le faire et disposent de plusieurs années d’expérience.

La crise actuelle en Ukraine est susceptible d’entraîner des changements fondamentaux au niveau des règles qui régissent les relations internationales.

Yasar Yakis

À son tour, la Russie se sent encerclée et enclavée après que son accès au niveau de la mer Baltique a été réduit à Saint-Pétersbourg et Kaliningrad lorsque l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie sont devenues des alliés de l’Otan. Après le démembrement de la Yougoslavie, elle a également perdu l’accès à la mer Adriatique. En outre, lorsque la Bulgarie et la Roumanie – deux États de la mer Noire – sont également devenues membres de l’Otan, la menace navale s’est trop rapprochée de la Russie. Cela a suscité l’inquiétude de Moscou et l’a incité à tenter de créer une ceinture de sécurité près de ses frontières.

La crise actuelle est susceptible d’entraîner des changements fondamentaux au niveau des règles qui régissent les relations internationales. Au-delà de l’appétit insatiable de la Russie à regagner autant que possible l’ancien territoire soviétique, cela restera probablement une préoccupation majeure de la communauté internationale. Un nouveau rapport de force doit s’établir entre la Russie et l’Occident, faute de quoi ces tensions ne s’apaiseront pas.

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir.

Twitter: @yakis_yasar

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com