PARIS: C'est un travail de mémoire inédit autour du conflit colonial entre la France et l'Algérie : la série documentaire "En guerre(s) pour l'Algérie" s'appuie sur la collecte d'une soixantaine de témoignages recueillis des deux côtés de la Méditerranée.
Avec le soutien de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) français, l'historienne Raphaëlle Branche et le réalisateur Rafael Lewandowski ont filmé 66 témoins d'horizons très différents, en France et en Algérie, lors d'entretiens d'environ deux heures.
Au terme de trois ans de travail, les coauteurs et leur équipe ont réalisé 180 heures d'entretiens qui seront mis en ligne en intégralité mardi sur le site de l'INA, puis sur la plateforme éducative publique Lumni le 10 mars.
Ces témoignages constituent le fil rouge de la série documentaire "En guerre(s) pour l'Algérie", coproduite avec la chaîne franco-allemande Arte, qui diffusera les six épisodes de 52 minutes en première partie de soirée les 1er et 2 mars.
Tous les regards ont été réunis : civils algériens, Français d’Algérie, appelés du contingent, engagés et militaires de carrière français, militants indépendantistes du FLN (Front de libération nationale) et du MNA (Mouvement national algérien), combattants de l'ALN (Armée de libération nationale), intellectuels et étudiants, réfractaires, personnels de l’administration française en Algérie, membres de l'OAS (Organisation armée secrète, clandestine et opposée à l'indépendance), supplétifs de l’armée française, porteurs de valise…
La série documentaire décortique les mécanismes du conflit entre 1954 et 1962, relaté en voix off par l'actrice franco-algérienne Lyna Khoudri, au travers de ces témoignages tissés d'images d'archives.
Dernière occasion
"On voulait raconter la guerre selon plein de points de vue, donner à voir la multiplicité des expériences", explique à l'AFP Raphaëlle Branche.
"La perception de la guerre pour les gens à l'époque n'a pas commencé exactement en 1954. Il y a des gens pour qui elle a commencé avec l'arrivée des Français en Algérie, pour d'autres, elle a commencé en 1960", illustre-t-elle.
"Parfois les gens qui ont vécu la période ont du mal à se comprendre entre eux parce que selon qu'ils étaient à Oran, Uzès ou Strasbourg, leurs perceptions diffèrent".
D'où le titre de la série, pour "vraiment souligner le pluriel" et que les gens constatent les multiples "motivations" autour du conflit ainsi que les "conceptions différentes" de l'Algérie, poursuit l'historienne.
À l'image, au sein des deux principaux camps opposés, des nuances d'engagement -entre de jeunes appelés du contingent venus défendre la France en Algérie et les partisans de l'OAS, prêts à commettre des attentats - ou des dissensions entre nationalistes algériens sur leur vision de l'Algérie indépendante.
"Ce qui était paradoxal finalement dans un conflit aussi violent, c'était que tout le monde prétende se battre par amour pour cette même terre, c'est ce qui m'a le plus étonné par rapport à d'autres conflits autour desquels j'ai travaillé", relate à l'AFP le réalisateur Rafael Lewandowski.
Ce dernier évoque son souci de donner à l'image "exactement le même environnement de parole" aux témoins, via des règles de filmage identiques, qu'ils "soient à Paris, à Alger ou au fin fond du bled en Algérie".
À l'issue de ce travail monumental, grandement compliqué par les restrictions de déplacement liées au Covid, reste l'émotion suscitée par les témoins, pour beaucoup très âgés.
"Des témoins auraient peut-être pu parler avant, certains pas et d'autres l'ont fait parce que c'était la dernière occasion qu'ils avaient de le faire et ça a donné une intensité à certains témoignages", relate Raphaëlle Branche.
"Quand vous êtes au plus près de l'histoire d'un être humain, vous n'intégrez pas les choses de la même façon, vous êtes avec eux, vous entendez leurs choix, leurs points de vue", confie Anne Gènevaux, productrice pour l'INA, "on s'est pris des claques".