DUBAÏ / DJEDDAH : Le monde s'est réveillé jeudi matin en apprenant la nouvelle d'une invasion russe à grande échelle de l'Ukraine voisine. Ce fut le début d'un autre conflit, avec destruction, souffrance, déplacement et mort à coup sûr.
Dans une allocution télévisée du 21 février, Vladimir Poutine a qualifié l'assaut de défense des républiques populaires autoproclamées de Donetsk et de Lougansk, dans l'est de l'Ukraine. Les dirigeants des deux territoires séparatistes avaient selon lui demandé une aide militaire à Moscou à la suite de la reconnaissance de leur indépendance par la Russie.
Pour les Ukrainiens travaillant dans les pays arabes, la distance protège, mais n' apaise pas leur angoisse alors que leurs familles et amis restent en danger, à des dizaines de milliers de kilomètres.
Mia, une Ukrainienne de 26 ans qui a déménagé à Jounieh au Liban en 2018 depuis Kiev, n'a pas besoin de faire défiler son smartphone pour obtenir les dernières informations de son pays d'origine. Elle reçoit constamment des SMS et des appels téléphoniques de ses proches qui sont piégés dans des villes désormais dans la ligne de mire.
«Je me retrouve à envoyer des messages à toute heure de la nuit à mes parents et amis juste pour m'assurer qu'ils s'en sortent. Je deviens très anxieuse quand un texto prend du temps à être livré parce que je commence immédiatement à penser au pire, à savoir que mes parents et mon jeune frère ont peut-être été tués», explique Mia, qui n'a donné que son prénom, à Arab News.
«Mes parents et mon frère, qui a 12 ans, vivent dans un abri anti-bombe souterrain. Ils n'ont jamais offensé personne dans leur vie. Nous ne méritons pas cela», a-t-elle déclaré.
Néanmoins, Mia a le sentiment que la guerre a fait ressortir le meilleur des Ukrainiens restés au pays.«Aujourd'hui, je suis fière d'être Ukrainien. Je suis fière de ma famille, de mon peuple et de mon président», souligne-y-elle. «Puissions-nous voir la lumière au bout du tunnel».
Comme Mia, la vie de ces derniers temps est pleine de stress, de peur et d'inquiétude pour Alissa Alchimali, une Ukrainienne libanaise installée au Koweït dont la famille et les amis sont maintenant dispersés à travers Kiev. Ils ont abandonné leurs maisons et leurs biens alors qu'ils cherchaient à s'abriter des tirs d'obus et de mortiers, raconte-t-elle à Arab News. Certains d'entre eux ont même fui vers les zones rurales en quête de sécurité.
Alchimali, qui vit et travaille dans l'État du Golfe depuis plus de quatre ans maintenant, affirme que sa mère était en sécurité à Beyrouth, mais que le reste de sa famille élargie est dorénavant déplacé à l'intérieur de l'Ukraine.
Elle confie qu'elle et sa mère s'inquiètent pour leurs proches, informées qu'elles sont des missiles frappant des zones peuplées de Kiev et d'autres grandes villes ukrainiennes.
«Tous ceux que je connais ont fui leur maison, à la recherche d'un endroit où séjourner près de la frontière ou dans des abris anti-bombes dans leur ville», déclare-t-elle à Arab News.
«La famille de ma marraine a quitté sa maison quand il faisait jour, dans l'espoir d'atteindre une ville près de la frontière polonaise. Mais alors qu'ils étaient à mi-chemin du voyage, des bombes ont commencé à tomber. Cette famille a donc été forcée de chercher refuge dans une ville voisine et de dormir sur les canapés d'un étranger».
«C'est stressant parce que vous ne savez pas ce qui va se passer ni où ils vont frapper ensuite. Il semble que partout où les gens vont, les forces ennemies ciblent cet endroit. Même les zones rurales que l'on considérerait comme ne méritant pas d'être ciblées ne sont pas sûres» ajoute-t-elle.
Inondée par les nouvelles de la guerre sur les réseaux sociaux, Alchimali doit chaque jour s'assurer que les membres de sa famille et ses amis vont bien le matin, puis le soir.
Elle s'effarouche des histoires de routes encombrées par la circulation, de provisions de nourriture qui s'épuisent, d'étagères des supermarchés vides et de files d'attente de plusieurs kilomètres pour le carburant.
«Les gens sont en mode panique», explique-t-elle, ajoutant que c'est un énorme soulagement à chaque fois qu'elle voit le message : «Nous allons bien. Nous sommes toujours vivants».
En Chiffres
150 000 : Ukrainiens qui ont fui le pays depuis le début de l'invasion russe le 24 février.
87 : Le nombre total de passages frontaliers entre l'Ukraine, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, la Roumanie et la Moldavie
Pour Iryna, une résidente de Dubaï de 29 ans, le retour de la guerre l'oblige à chercher constamment des nouvelles de sa famille élargie. Originaire du centre de l'Ukraine, sa famille est répartie dans les villes de l'est et de l'ouest du pays.
Elle explique que sa mère est à Kuzmintsi, un petit village au sud-ouest de la capitale près de la frontière moldave, tandis que son père est à Kiev.
«Ma famille a dû déménager dans un abri anti-bombes à Metro Sportu à Kiev. Avoir sa famille dans différentes villes du pays est assez rare pour les Ukrainiens. J'avais espéré qu'une telle chose n'arriverait jamais», déclare Iryna, qui n'a également donné que son prénom.
«Je savais que les Russes déplaçaient leurs troupes vers nos frontières, mais nous pensions tous qu'ils essayaient juste de nous faire peur comme ils l'avaient fait auparavant. J'ai lu des rapports d'ambassadeurs évacués, mais même alors j'étais sceptique.
«Je ne pensais pas que ma ville natale serait envahie sans préavis à 5 heures du matin». Nous espérions que les envahisseurs seraient dissuadés par le tollé général et les sanctions. Mais maintenant, il semble qu'ils peuvent bombarder, attaquer et envahir n'importe quel pays sans aucune conséquence».
Iryna souligne que son oncle en Pologne avait entendu l'appel du président Volodymyr Zelensky aux Ukrainiens à l'étranger pour qu'ils reviennent et prennent les armes pour défendre leur pays.
«Nous pensons toujours que la guerre ne peut jamais nous arriver, mais regardez la Syrie, la Bosnie et maintenant l'Ukraine», pointe-t-elle. «Ce n'est qu'une question de temps avant que nous sachions qui est le prochain. Les opinions politiques, l'ignorance et l'indifférence des gens renforcent leurs gouvernements. C'est très réconfortant de se taire».
«Ce qui arrive à l'Ukraine est tellement honteux. Mais, encore une fois, rien n'est éternel».
Des semaines de diplomatie n'ont pas réussi à dissuader la Russie, qui a regroupé plus de 150 000 soldats aux frontières de l'Ukraine, dans ce que l'Occident a qualifié de plus grand renforcement militaire de l'Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.
Les alliés occidentaux avaient initialement imposé des sanctions à la Russie, puis ont poursuivi jeudi en promettant d'essayer de punir lourdement la Russie économiquement.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com