Le spectre de Charles de Gaulle, secret du succès politique d’Emmanuel Macron

Combo des portraits des présidents Charles de Gaulle et Emmanuel Macron (fourni)
Combo des portraits des présidents Charles de Gaulle et Emmanuel Macron (fourni)
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Publié le Samedi 26 février 2022

Le spectre de Charles de Gaulle, secret du succès politique d’Emmanuel Macron

Le spectre de Charles de Gaulle, secret du succès politique d’Emmanuel Macron
  • Une enquête publiée dans The Times place Macron confortablement en tête avec 25% des voix, suivi de la populiste d’extrême droite, Marine Le Pen avec 18%
  • Alors que le gouvernement allemand d’Olaf Scholz vient tout juste de naître, Macron a comblé le vide diplomatique en tant que principale voix stratégique de l’Europe, précisément comme de Gaulle s’est toujours efforcé de le faire

Comme Stephen King le dit si bien dans The Shining, les fantômes sont bel et bien réels. « Ils vivent à l’intérieur de nous et, parfois, ils gagnent », avait-il écrit. C’est précisément ce à quoi nous assistons actuellement dans le cadre de l’élection présidentielle française. Plus que tout, le spectre de Charles de Gaulle propulse Emmanuel Macron vers la victoire.

En lisant la Constitution de la Ve  République française, je me rends compte que le document est si personnalisé et correspond tellement à la personnalité du général de Gaulle que je revois l’image du képi militaire du grand homme. Il est facile aujourd’hui, 64 ans plus tard, d’oublier que de Gaulle est retourné de l’exil politique en 1958 en temps de crise, à la fois pour sauver la France des conflits politiques en lien avec l’Algérie qui ravageaient le pays et pour remédier à l’échec chaotique de la IVe République.

De Gaulle, conscient des liens historiques de son peuple avec un pouvoir exécutif fort et centralisé – un trait caractéristique depuis l’époque de Louis XIV et des Bourbons à travers les deux empereurs Bonaparte –, a donné à la France ce qu’elle voulait: un État centralisé, avec une « monarchie élective » à sa tête. Pendant que les Premiers ministres, nommés par le chef du pouvoir exécutif, s’occupaient des fonctions quotidiennes anodines de l’État, le président, lui, pouvait se concentrer sur la politique étrangère, la géostratégie et les enjeux majeurs qui affectaient ce que de Gaulle se plaisait à qualifier de « grandeur française ».

Cela peut parfois sembler ridicule pour les étrangers, mais de Gaulle comprenait très bien ce à quoi ses compatriotes aspiraient. Il disait : « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France.» Cette notion de grandeur française, d’un grand monarque (s’il est élu) s’élevant au-dessus du vacarme et des lieux communs, correspondait à ce que bon nombre de ses compatriotes désiraient. En associant les origines du rôle puissant de la Ve République au niveau du pouvoir exécutif avec ce désir mystique français, l’invention du général de Gaulle a été en pratique beaucoup plus forte que les quatre Républiques qui l’ont précédée. La Ve République a la légitimité politique qui découle uniquement d’un système correspondant à la culture politique spécifique d’un pays.

Ce n’est donc pas un hasard si l’actuel président français, Emmanuel Macron, a une photo du général de Gaulle dans son bureau privé. Raillé au début de sa présidence lorsqu’il se comparait avec arrogance à Jupiter, le roi romain des dieux, Macron s’orientait plutôt vers une approche gaulliste et profonde. Conscient que les Français veulent un leader fort, qui s’impose sur la scène mondiale et rassure son peuple sur le fait que la France, d’une manière ou d'une autre, restera une grande puissance mondiale respectée, Macron a joué le rôle de président jupitérien jusqu’au bout. Mais ce faisant, il ne fait que plonger dans le vieux livre de jeu gaulliste, en se rapprochant de la culture politique française de longue date.

« À seulement six semaines du premier tour de l’élection présidentielle française le 10 avril, Macron renforce sa position politique.» Dr John C. Hulsman

À seulement six semaines du premier tour de l’élection présidentielle française le 10 avril, Macron renforce sa position politique, grâce au spectre du général. Une enquête publiée dans The Times place Macron confortablement en tête avec 25% des voix, suivi de la populiste d’extrême droite, Marine Le Pen avec 18%, puis de la star de télévision d’extrême droite, Éric Zemmour, avec 14%. La candidate de centre-droit, Valérie Pécresse, obtiendrait 12% et le candidat d’extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon, 11%.

La plupart des personnes qui votent sont loin d’adhérer aux politiques d’extrême gauche ou d’extrême droite et Macron n’a rien à craindre. Seule Pécresse est suffisamment modérée sur le plan idéologique pour lui donner des raisons d’avoir peur. En effet, les premiers sondages après son émergence en tant que principale candidate de centre-droit l’ont mise au coude-à-coude avec le président actuel. Cependant, après un début de campagne très amateur – suivi d’un discours désastreux lors de son plus grand rassemblement – Pécresse a rapidement perdu en popularité.

Grâce à son approche gaulliste, Macron a volé la vedette à tous ses rivaux, se présentant comme un homme d’État mondial qui se dresse fièrement contre des prétendants en colère et médiocres. Si, à première vue, les efforts futiles de Macron dans la navette diplomatique au nom de l’Europe dans son ensemble n’ont pas réussi à empêcher la crise ukrainienne de basculer vers une guerre à part entière, cela ne lui a pas nui sur le plan électoral. Au contraire, les Français pensent qu’il vaut mieux essayer et échouer plutôt que de se fondre dans le décor.

Le spectre du général de Gaulle a légèrement renforcé la cote de popularité de Macron puisqu’il s’est imposé sur la scène internationale en tant que principale voix de l’Europe et se montre diplomatiquement comme l’égal des deux présidents Poutine et Biden, du moins en apparence. Alors que le gouvernement allemand d’Olaf Scholz vient tout juste de naître, Macron a comblé le vide diplomatique en tant que principale voix stratégique de l’Europe, précisément comme de Gaulle s’est toujours efforcé de le faire.

Le symbolisme, plus que l’ampleur réelle, est en jeu ici. Les spectres revêtent toujours une grande importance. L’un des effets secondaires les plus étranges de la crise ukrainienne est la montée en puissance de Macron qui porte désormais la cape gaulliste. Ce faisant, et en se rapprochant de la culture politique française que le général connaissait si bien, Macron s’assure un second mandat en tant que monarque élu de la France.

Le Dr John C. Hulsman est président et associé directeur de John C. Hulsman Enterprises, une importante société de conseil en risque politique mondial. Il est également chroniqueur principal pour City AM, le journal de la ville de Londres. Il peut être contacté via chartwellspeakers.com

NDRL: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com