Origines de l'Arabie saoudite: l'année où tout a commencé

Le Palais de Shada à Abha, en 1946 (Photo, AN).
Le Palais de Shada à Abha, en 1946 (Photo, AN).
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Publié le Mardi 22 février 2022

Origines de l'Arabie saoudite: l'année où tout a commencé

  • La nouvelle Journée de la fondation du Royaume célèbre le véritable anniversaire du premier État saoudien en 1727
  • «L'objectif est de choisir une date politique précise à la fondation de l'État, à savoir l'accession au pouvoir de l'Imam Mohammed ben Saoud à Diriyah»

Pendant des générations, les historiens et les écrivains ont involontairement perpétué le mythe selon lequel le premier État saoudien, précurseur de l'actuel Royaume d'Arabie saoudite, a été fondé en 1744.
En fait, comme le révèle une nouvelle réévaluation des origines du Royaume, ils avaient 17 ans de retard.
Il ne fait aucun doute que les événements de 1744, année où l'imam Mohammed ben Saoud de Diriyah a offert l'asile au réformateur religieux Sheikh Mohammed ben Abdelwahhab, ont été extrêmement importants.
Mais au fil du temps, l'importance de ce moment certes historique de cause commune entre l'État et la foi a fini par occulter les origines beaucoup plus complexes et profondes du premier État saoudien.
C'est pour corriger cette négligence des années embryonnaires cruciales du Royaume que la Journée de la fondation a été créée, pour célébrer 1727 comme le véritable moment de la naissance et pour permettre aux Saoudiens une appréciation plus profonde d'un passé bien plus riche que beaucoup ne le pensent.

La "Carte de Dreiye", la plus vieille carte de Diriyah, dessinée par un diplomate français en 1808 (Photo, AN).


C'est en 1727 que l'imam Mohammed ben Saoud est monté sur le trône, en rêvant de transformer la ville-État fondée par ses ancêtres trois siècles plus tôt en la capitale d'une nation qui, à son apogée, apporterait paix et stabilité à la majeure partie de la péninsule arabique.
Cette remise à zéro de l'horloge de 1744 à 1727 est le résultat de recherches historiques approfondies qui ont été menées en étudiant les ressources historiques détenues par la nouvelle Saudi Historical School.
« De nombreux historiens ont lié l'essor de l'État à l'arrivée du cheikh Mohammed ben Abdelwahhab et ont négligé la période initiale du règne de l'imam Mohammed ben Saoud et l'époque précédente, alors qu'il s'agissait de la période fondatrice de l'État », a déclaré le Dr Badran Al-Honaihen, directeur associé des recherches et études historiques à l'Autorité de développement de la porte de Diriyah.
« La révision et la réinterprétation des événements historiques est un phénomène intellectuel que l'on retrouve dans toutes les parties du monde. Les écrits antérieurs peuvent être considérés comme des jugements et des opinions qui n'empêchent pas les révisions ou les nouvelles conclusions. »
Aujourd'hui, personne ne peut dire exactement quand le long voyage vers le statut d'État a commencé. Le premier point de repère certain sur le chemin est l'année 430, lorsque la tribu des Banu Hanifah a migré vers Al Yamamah, dans le bas Najd, depuis leur foyer du Hejaz, sur la côte de la mer Rouge.

La porte originelle de la Mecque, à Jeddah (Photo, AN).


C'est là, au croisement de plusieurs routes où le passage des caravanes est important, que la tribu à laquelle appartient la maison régnante des Al-Saoud s'est installée et a prospéré, fondant Hajr - l'actuelle Riyad -, faisant du commerce et cultivant la vallée fertile qui, avec le temps, allait prendre son nom - Wadi Hanifah.

Les principaux succès de l'Imam Mohammed ben Saoud

  • Il unifia Diriyah et contribua à sa stabilité
  • Il renforça le mur de Diriyah la protéger des attaques
  • Il lança de nouvelles campagnes d'unification
  • Il fit en sorte de se préserver Diriyah des influences extérieures pour garder son indépendance
  • Il préserva Diriyah des influences extérieures et garantit son indépendance
  • Il géra efficacement les ressources du pays
  • Il unifia la majorité de Najd
  • Il sécurisa Hajj et ses routes commerciales

 

C'est avec l'avènement de l'Islam que les Banu Hanifah ont fait leur entrée dans l'histoire mondiale.
En 628, six ans après la hijra, la fuite de Mahomet et de ses disciples persécutés de La Mecque à Médine, le Prophète a envoyé des lettres à divers souverains arabes, les invitant à adhérer à « l’Islam », la soumission à la volonté de Dieu.
Le chef des Banu Hanifah à cette époque était Thumamah ben Uthal, dont le parcours spirituel, du rejet initial à l'acceptation sincère de l'islam, est célébré dans les hadiths.
Dans le hadith numéro 189, on le cite disant à Mahomet : « Il n'y avait aucun visage sur la face de la Terre qui était plus détestable pour moi que ton visage, mais maintenant ton visage est devenu pour moi le plus aimé de tous les visages ».
En termes historiques, Al-Yamamah est restée dormante pendant la majeure partie des 800 années suivantes. Ce fut une période sombre marquée par la négligence et l'émigration généralisée pour échapper aux difficultés économiques endurées sous la dynastie oppressive des Ukhaidhir, qui s'est temporairement imposée dans le Najd au IXe siècle.

Des soldats saoudiens en patrouille, au début du 20ème siècle (Photo, AN).


Le destin, cependant, sait attendre, et au 15ème siècle, le décor était enfin planté pour le retour à l'influence des Banu Hanifah.
Des générations plus tôt, une partie de la tribu avait migré vers l'est pour s'installer sur les rives du golfe. Mais en 1446, Manaa' Al-Muraide, chef du clan Marada de la tribu Al-Duru des Banu Hanifah, ramena son peuple au cœur de l'Arabie, à l'invitation de son cousin, Ben Dira', le souverain de Hajr.
La colonie qu'ils avaient fondée sur la côte avait été nommée Diriyah, d'après le nom de leur tribu, Al-Duru. C’est alors qu’ils établirent un nouveau Diriyah sur les rives fertiles du Wadi Hanifah.
Selon les mots de l'historien Dr Badran Al-Honaihen, l'arrivée d'Al-Muraide « a instauré les bases du plus grand État de l'histoire de la péninsule arabique, après l'État prophétique et le califat Rashidun ».
Il faudra attendre 300 ans pour que les prochaines étapes décisives soient franchies. En 1720, Saoud ben Mohammed prend la tête de Diriyah, que la famille royale saoudienne a baptisé de son nom.
Aujourd'hui, les historiens datent l'origine du premier État saoudien à 1727, lorsque le fils de Saoud, Mohammed, devint le dirigeant de la cité-État.

L'Imam Mohammed ben Saoud est arrivé au pouvoir en 1727 (Photo, AN).


Il avait, selon Al-Honaihen, « assumé le pouvoir dans des circonstances exceptionnelles ». Diriyah avait été déchirée par des divisions internes, et la peste qui s'était répandue dans toute la péninsule arabique avait fait de nombreuses victimes dans le Najd. Néanmoins, « l'Imam Mohammed a réussi à unir Diriyah sous son règne et à contribuer à la propagation de la sécurité et de la paix au niveau régional et au niveau de la péninsule arabique. »
« Le projet du premier État saoudien a commencé en 1727, puis ses fils l'ont repris après lui. Ce que nous devons retenir de cette histoire, c'est l'unité, la sécurité et la paix après des siècles de désunion. »
Enfin, voici un leader dont la vision va loin et qui est déterminé à fonder un nouvel État, basé sur l'éducation, la culture, la sécurité et l'allégeance à la vraie foi de l'Islam.
C'est par ce nouvel État dynamique et de plus en plus puissant sur le plan politique et économique que le réformateur religieux Sheikh Mohammed ben Abdelwahhab a été attiré.
Le cheikh, un érudit religieux du village voisin d'Al-Uyayna, était de plus en plus préoccupé par le fait que de nombreuses personnes dans le monde arabe abandonnaient les enseignements du Prophète et revenaient à des pratiques préislamiques hérétiques. Ses tentatives d'introduire des réformes ont été accueillies avec hostilité à Al-Uyayna, mais il a trouvé refuge à Diriyah.

La Journée de la fondation ne vise pas à remplacer la Journée nationale saoudienne (Photo, AN).


« La migration du cheikh Mohammed ben Abdelwahhab vers Diriyah est le résultat naturel de la politique de l'imam Mohammed ben Saoud », explique Al-Honaihen. « L'Imam était connu pour être religieux, et ses deux frères, Thunayan et Mishari, ainsi que son fils Abdelaziz étaient parmi ceux qui étaient en contact avec le Cheikh Mohammed ben Abdelwahhab à Al-Uyayna.
« Le cheikh Mohammed n'a quitté al-Uyayna qu'après que l'imam Mohammed l'a invité à Diriyah, dans un État capable de protéger la mission religieuse du cheikh. »
De son côté, « en soutenant cette mission réformiste, l'Imam Mohammed a vu qu'elle était conforme aux principes de l'État qu'il s'efforçait d'établir, notamment son aspect religieux. »
En somme, ce n'est pas l'alliance du cheikh et de l'imam qui a rendu possible la fondation du premier État saoudien, mais c'est plutôt l'existence de cet État, déjà fort politiquement et économiquement, qui a rendu possible la diffusion du message de la réforme.

La date précise du début du règne de l'Imam Mohammed est inconnue (Photo, AN).


Al-Honaihen a souligné que la décision de reconnaître officiellement 1727 comme année de fondation ne devait en aucun cas être interprétée comme une remise en cause de la religion pierre angulaire du Royaume d'Arabie saoudite.
« Ce n'est pas correct », a-t-il déclaré. « L'objectif est simplement de fixer une date politique précise à la fondation de l'État, à savoir l'accession au pouvoir de l'imam Mohammed ben Saoud à Diriyah, car un certain nombre de politiques et d'opinions erronées avaient vu le jour concernant l'essor et la création de l'État.
« En outre, l'État stipule dans sa constitution que le Royaume d'Arabie saoudite est un État arabe islamique dont la religion est l'islam et dont la constitution est le Livre de Dieu et la Sunna de son Prophète. »
Il est également clair que la Journée de la fondation n'est pas une alternative à la Fête nationale, célébrée le 23 septembre, mais un complément à celle-ci.

Aujourd'hui, les historiens datent l'origine du premier État saoudien à 1727, lorsque le fils de Saoud, Mohammed, devint le dirigeant de la cité-État (Photo, AN).


« La Journée de la fondation ne vise pas à remplacer la Journée nationale saoudienne, qui célèbre l'unification du Royaume d'Arabie saoudite en 1932, mais plutôt à reconnaître le début de l'histoire de l'État saoudien avec un nouvel événement qui célèbre les racines historiques profondes du Royaume. »

Bien qu'il n'y ait aucun doute sur l'année, 1727, la date précise du début du règne de l'Imam Mohammed est inconnue, a expliqué Al-Honaihen. Le 22 février a été choisi comme Journée de la fondation simplement parce qu'un certain nombre d'événements importants sont connus pour avoir eu lieu dans les premiers mois du règne de l'Imam Mohammed, au début de l'année 1727.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com


«Le sang coulait encore»: le calvaire des réfugiés d’El-Facher arrivés au Tchad

Les FSR, en guerre contre l’armée régulière depuis avril 2023, ont pris le contrôle le 26 octobre de cette ville du Darfour, une région de l'ouest du Soudan déjà ensanglantée dans les années 2000. (AFP)
Les FSR, en guerre contre l’armée régulière depuis avril 2023, ont pris le contrôle le 26 octobre de cette ville du Darfour, une région de l'ouest du Soudan déjà ensanglantée dans les années 2000. (AFP)
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  • "Ils ont appelé sept infirmiers et les ont réunis dans une pièce. Nous avons entendu des coups de feu et j’ai vu le sang couler sous la porte", raconte avec émotion à l’AFP l'adolescent de 16 ans
  • La vidéo, comme de nombreuses autres filmées par les FSR lors de leur entrée dans la ville, a été partagée sur les réseaux sociaux

TINE: Après 11 jours de trajet, Mounir Abderahmane atteint enfin le camp de Tiné, dans la province du Wadi Fira au Tchad, après avoir fui El-Facher, au Soudan, le 25 octobre.

Lorsque des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) ont envahi la ville, il veillait son père, militaire dans l'armée régulière blessé quelques jours plus tôt, à l'hôpital saoudien.

"Ils ont appelé sept infirmiers et les ont réunis dans une pièce. Nous avons entendu des coups de feu et j’ai vu le sang couler sous la porte", raconte avec émotion à l’AFP l'adolescent de 16 ans.

La vidéo, comme de nombreuses autres filmées par les FSR lors de leur entrée dans la ville, a été partagée sur les réseaux sociaux. Mounir quitte aussitôt la ville avec son père, qui mourra quelques jours plus tard sur la route qui devait le mener au Tchad.

Les FSR, en guerre contre l’armée régulière depuis avril 2023, ont pris le contrôle le 26 octobre de cette ville du Darfour, une région de l'ouest du Soudan déjà ensanglantée dans les années 2000.

Deux semaines après la prise de la ville, les réfugiés atteignent le Tchad, à plus de 300 km de là. Une poignée d’entre eux, accueillis dans le camp de transit de Tiné, livrent leurs témoignages à l’AFP.

"Coques d'arachides" 

Après 18 mois de siège, tous évoquent une intensification des bombardements à partir du 24 octobre, précédant l’entrée des paramilitaires.

Terrés dans des abris de fortune, des dizaines de personnes s’y entassent pour échapper aux drones. Ils n’ont pour seule nourriture "que des coques d’arachides", raconte Hamid Souleymane Chogar, 53 ans. Le 26 octobre, il s’échappe de sa cachette, "chaque fois que je montais prendre l’air, je voyais dans la rue de nouveaux cadavres, souvent des habitants du quartier que je connaissais", confie-t-il.

Il profite d’une accalmie nocturne pour fuir. Estropié en 2011 lors d'une précédente guerre "à cause des Janjawids" - des milices arabes ayant longtemps persécuté les tribus non arabes du Darfour –, il est hissé sur une charrette qui zigzague dans la ville entre les débris et les cadavres. Leur progression se fait sans parole ni lumière, pour ne pas alerter les paramilitaires.

Alors que les phares d’un véhicule des FSR balayent la nuit, Mahamat Ahmat Abdelkerim, 53 ans, se précipite dans une maison avec sa femme et ses six enfants. Le septième a été tué deux jours plus tôt dans une attaque de drone. "Il y avait une dizaine de cadavres, tous des civils. Leur sang coulait encore", explique-t-il derrière ses lunettes noires, qui cachent un œil gauche perdu quelques mois plus tôt lors d’un bombardement.

Mouna Mahamat Oumour, 42 ans, fuit avec ses trois enfants lorsqu’un obus frappe le groupe. "Quand je me suis retournée, j’ai vu le corps de ma tante déchiquetée. On l’a couverte d’un pagne et on a continué", raconte-t-elle en larmes. "Nous avons marché sans jamais nous retourner", ajoute-t-elle.

Arrivés au sud de la ville, au niveau de la tranchée construite par les paramilitaires pour l'encercler, les cadavres s’accumulent. "Ils remplissent la moitié de ce fossé de deux mètres de large et de trois mètres de haut", détaille Hamid Souleymane Chogar.

Des dizaines ? Des centaines ? Impossible d’estimer leur nombre en pleine nuit, dans cet espace qui s’étend à perte de vue.

Des analyses faites par le laboratoire de l'université américaine de Yale à partir d’images satellites croisées avec des vidéos postées par les FSR, évoquent la présence de nombreux corps dans cette tranchées et sur le talus voisin.

Samira Abdallah Bachir, 29 ans, a emprunté un autre passage, elle a dû descendre dans la tranchée, sa fille de deux ans dans les bras, ses deux autres enfants, âgés de 7 et 11 ans, marchant derrière elle. "On devait éviter les corps pour ne pas marcher dessus", décrit-elle.

Un système de racket 

Une fois sortis de la ville, les réfugiés subissent un nouveau calvaire. A chaque check-point sur les deux principales routes permettant de quitter la ville, les témoignages évoquent de nouvelles violences, viols et vols contre les populations civiles.

Après s'être fait voler son téléphone et son argent, Mahamat Ahmat Abdelkerim doit payer à chaque nouveau check point. "Les FSR ont des téléphones qu’ils mettent sur haut-parleur pour que nous contactions nos proches pour qu’ils nous envoient de l’argent", décrit-il.

Les sommes payées à chaque barrage varient entre 500.000 et un million de livres soudanaises selon les témoignages, soit entre 700 et 1.400 euros.

D’autres témoignages évoquent les ciblages ethniques des FSR. Ils disent "Vous êtes des noirs, des esclaves" raconte un réfugié tout juste arrivé à Tiné. "Ils mettent certains hommes de côté, les dépouillent et tirent au hasard sur eux."

Difficile de savoir combien de Soudanais réussiront à se réfugier au Tchad dans les prochaines semaines. Environ 90.000 personnes ont déjà fui la ville d’El-Facher depuis sa conquête par les paramilitaires, selon les derniers chiffres de l’ONU

Le HCR évoque de son côté "90.000 arrivées dans les trois prochains mois" alors que les violences se poursuivent au Darfour et que les affrontements entre l’armée et les paramilitaires poussent la population à fuir dans la région du Kordofan.

"Des relocalisations sont en cours pour permettre de désengorger le camp de transit de Tiné et accueillir de nouveaux réfugiés", précise Ameni Rahmani, 42 ans, responsable de projet de Médecins Sans Frontières (MSF) à Tiné.

"Les arrivées augmentent encore faiblement mais nous sommes prêts à intensifier notre réponse et à renforcer nos équipes sur place."

Côté soudanais, après s’être retiré du Darfour-Nord suite à des attaques de drones sur des structures médicales depuis deux semaines, MSF prévoit d’y redéployer ces prochains jours ses équipes.

Le conflit au Soudan a fait des dizaines de milliers de morts, en a déplacé près de 12 millions d'autres et provoqué, selon l'ONU, la pire crise humanitaire au monde.

 


Soudan: des sources d'information cruciales emportées par la guerre

En septembre, le reporter de l'AFP avait déjà appris la mort de trois autres de ses sources locales, des hommes toujours prêts à répondre à "ses questions macabres" quand les communications le permettaient. Et toujours sous couvert d'anonymat pour des raisons de sécurité. (AFP)
En septembre, le reporter de l'AFP avait déjà appris la mort de trois autres de ses sources locales, des hommes toujours prêts à répondre à "ses questions macabres" quand les communications le permettaient. Et toujours sous couvert d'anonymat pour des raisons de sécurité. (AFP)
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  • Pendant des mois, le Dr Omar Selik, le Dr Adam Ibrahim Ismaïl, le cheikh Moussa et l'activiste Mohamed Issa ont transmis des informations à l'AFP sur cette ville inaccessible à toute aide extérieure
  • Le correspondant de l'AFP au Soudan, Abdelmoneim Abu Idris Ali, lui-même déplacé de la capitale Khartoum à Port-Soudan, les appelait souvent pour couvrir à distance la guerre sanglante entre l'armée du général Abdel Fattah Al-Burhane et les FSR

PORT-SOUDAN: "Les bombes se rapprochent", "ils tirent sur ceux qui tentent de fuir", "il y a seize morts"... Les informations sur les combats meurtriers et les exactions commises à El-Facher parviennent au monde grâce à de simples citoyens soudanais, restés sur place au péril de leur vie, sources cruciales pour l'AFP.

Cette grande ville de la région du Darfour (ouest) a été assiégée pendant 18 mois avant de tomber le 26 octobre dernier aux mains des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo.

Pendant des mois, le Dr Omar Selik, le Dr Adam Ibrahim Ismaïl, le cheikh Moussa et l'activiste Mohamed Issa ont transmis des informations à l'AFP sur cette ville inaccessible à toute aide extérieure, ensanglantée par des affrontements meurtriers, puis par des massacres commis par les paramilitaires.

Le correspondant de l'AFP au Soudan, Abdelmoneim Abu Idris Ali, lui-même déplacé de la capitale Khartoum à Port-Soudan, les appelait souvent pour couvrir à distance la guerre sanglante entre l'armée du général Abdel Fattah Al-Burhane et les FSR.

Ses quatre sources ont joué un rôle crucial et anonyme. Jusqu'à leur décès...

Adam Ibrahim Ismaïl a été arrêté par les FSR le 26 octobre, le jour de la prise d'El-Facher qu'il tentait de fuir. Il a été abattu le lendemain.

Jusqu'au bout, ce jeune médecin a "soigné les blessés et les malades" de l'hôpital saoudien, le dernier fonctionnel de la ville, selon un communiqué du syndicat des médecins soudanais.

C'est par ce communiqué qu'Abdelmoneim Abu Idris Ali a appris son décès.

Il lui avait parlé quelques jours plus tôt pour faire le point sur les bombardements du jour: "il avait une voix épuisée", se souvient-il. "Chaque fois que nous terminions un appel, il disait au revoir comme si c'était peut-être la dernière fois".

"Questions macabres" 

En septembre, le reporter de l'AFP avait déjà appris la mort de trois autres de ses sources locales, des hommes toujours prêts à répondre à "ses questions macabres" quand les communications le permettaient. Et toujours sous couvert d'anonymat pour des raisons de sécurité.

Les trois ont été tués dans une frappe de drone sur une mosquée d'El-Facher qui a fait au moins 75 morts le 19 septembre.

"Beaucoup de ces 75 personnes avaient fui pour sauver leur vie quelques jours auparavant, mais le drone des FSR les a rattrapées", a précisé Abdelmoneim Abu Idris Ali.

Les voix des sources "me permettaient de dépeindre El-Facher", dit-il. "À travers eux, j'entendais les gémissements des blessés, les peines des endeuillés, la douleur de ceux que broie la machine de guerre", raconte-t-il depuis Port-Soudan.

Avant que la guerre n'éclate, les journalistes pouvaient parcourir le troisième plus grand pays d'Afrique jusque dans ses régions les plus reculées, comme le Darfour.

C'est ainsi que le reporter aguerri de l'AFP a rencontré le cheikh Moussa qui lui a ouvert la porte de son modeste logement en 2006, prélude à deux décennies d'amitié. Il connaissait bien moins les trois autres, faute de temps pour échanger dans une région soumise aux coupures de communication fréquentes.

"Cacher" sa tristesse 

Egalement disparu, le Dr Omar Selik, qui a été loué par de nombreux journalistes internationaux, a vu le système de santé d'El-Facher s'effondrer au fil des mois. Après avoir évacué sa famille dans une zone moins dangereuse, ce médecin continuait de sauver des vies, jusqu'à son propre décès.

"Il me parlait comme s'il s'adressait à la famille d'un patient, annonçant la mort d'un être cher et essayait toujours de cacher la pointe de tristesse dans sa voix lorsqu'il me donnait un bilan des victimes", se souvient Abdelmoneim Abu Idris Ali.

Mohamed Issa, lui, est mort à 28 ans, après des mois à traverser les lignes de front pour apporter nourriture, eau, médicaments aux familles piégées à El-Facher.

"Chaque fois que je lui demandais ce qui se passait, sa voix résonnait joyeusement: +rien de grave inch'Allah, je suis un peu loin, mais je vais aller voir pour toi!+ On ne pouvait pas l'arrêter".

Mohamed Issa se précipitait sur les lieux des frappes, chargeant les blessés sur des charrettes pour les emmener à l'hôpital ou dans n'importe quel lieu susceptible de prodiguer des soins d'urgence, explique le correspondant.

Chassé de son village 

Le cheikh Moussa avait, lui, été chassé de son village il y a 22 ans, au tout début de la guerre du Darfour, par les milices arabes Janjawid, dont les FSR sont les héritières. Il a ensuite vécu dans différents lieux accueillant les réfugiés ballottés au gré des attaques des paramilitaires.

"La violence éclatait encore et encore devant sa porte, mais son rire ne s'est jamais éteint", dit le journaliste de l'AFP.

Quand les bombes ont commencé à pleuvoir sur El-Facher, "il parlait sans fin de la douleur que son peuple subissait, mais si vous lui demandiez comment lui allait, il répondait juste: +alhamdulillah, grâce à Dieu+".

À chaque appel téléphonique, "je l'imaginais assis en tailleur à l'ombre devant sa porte, vêtu d'une djellaba d'un blanc éclatant et d'une calotte assortie, toujours souriant malgré les horreurs qui l'entouraient", se remémore le journaliste de l'AFP.

"Chaque mort est une tragédie que nous sommes habitués à rapporter, mais c'est une autre forme de chagrin lorsqu'il s'agit de quelqu'un avec qui vous avez partagé un repas, quelqu'un dont vous entendiez la voix chaque jour".

 


Trump reçoit le président syrien, une rencontre historique et discrète

Le président américain Donald Trump (à gauche) serre la main du président syrien Ahmed al-Chareh à la Maison Blanche à Washington DC. (AFP)
Le président américain Donald Trump (à gauche) serre la main du président syrien Ahmed al-Chareh à la Maison Blanche à Washington DC. (AFP)
Pas de drapeaux ni de caméras, mais une visite néanmoins historique: Donald Trump a reçu lundi Ahmad al-Chareh, une première pour un chef d'Etat syrien et une consécration pour l'ancien jihadiste. (AFP)
Pas de drapeaux ni de caméras, mais une visite néanmoins historique: Donald Trump a reçu lundi Ahmad al-Chareh, une première pour un chef d'Etat syrien et une consécration pour l'ancien jihadiste. (AFP)
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  • Le président syrien est arrivé à 11h37 locale (16h37 GMT), a annoncé la Maison Blanche, sans passer par le portail principal et sans le protocole habituellement réservé aux chefs d'Etat et de gouvernement étrangers
  • Les journalistes n'ont pas non plus été conviés dans le Bureau ovale au début de l'entretien, comme c'est généralement le cas lors de visites officielles

WASHINGTON: Pas de drapeaux ni de caméras, mais une visite néanmoins historique: Donald Trump a reçu lundi Ahmad al-Chareh, une première pour un chef d'Etat syrien et une consécration pour l'ancien jihadiste.

Le président syrien est arrivé à 11h37 locale (16h37 GMT), a annoncé la Maison Blanche, sans passer par le portail principal et sans le protocole habituellement réservé aux chefs d'Etat et de gouvernement étrangers, que le président américain vient presque toujours accueillir en personne sur le perron.

Les journalistes n'ont pas non plus été conviés dans le Bureau ovale au début de l'entretien, comme c'est généralement le cas lors de visites officielles.

"Très bon travail" 

Jeudi dernier Donald Trump, qui se voit en grand pacificateur du Moyen-Orient, avait estimé que son invité faisait "un très bon travail" en Syrie. "C'est un gars dur. Mais je me suis très bien entendu avec lui" lors d'une entrevue en Arabie saoudite en mai, avait-il ajouté.

A l'époque, le milliardaire de 79 ans avait jugé son homologue de 43 ans "fort" et "séduisant".

Le président intérimaire syrien, dont la coalition islamiste a renversé le dirigeant de longue date Bachar al-Assad en décembre 2024, était arrivé à Washington samedi.

Lors de cette visite historique, Damas devrait signer un accord pour rejoindre la coalition internationale antijihadiste menée par les Etats-Unis, selon l'émissaire américain pour la Syrie, Tom Barrack.

Les Etats-Unis, eux, prévoient d'établir une base militaire près de Damas, "pour coordonner l'aide humanitaire et observer les développements entre la Syrie et Israël", selon une autre source diplomatique en Syrie.

"Nouveau chapitre" 

Le ministre syrien des Affaires étrangères, Assaad al-Chaibani, qui accompagne le président à Washington, a mis en ligne samedi une vidéo tournée avant le voyage illustrant le réchauffement des relations avec les Etats-Unis.

On y voit les deux hommes jouant au basket-ball avec le commandant des forces américaines au Moyen-Orient, Brad Cooper, ainsi qu'avec le chef de la coalition internationale antijihadistes, Kevin Lambert.

La rencontre de lundi "ouvre un nouveau chapitre dans la politique américaine au Moyen-Orient", estime l'analyste Nick Heras, du New Lines Institute for Strategy and Policy.

Vendredi, les Etats-Unis ont retiré le dirigeant syrien de la liste noire des terroristes. Depuis 2017 et jusqu'à décembre dernier, le FBI offrait une récompense de 10 millions de dollars pour toute information menant à l'arrestation du leader de l'ancienne branche locale d'Al-Qaïda, le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS).

Jeudi, le Conseil de sécurité de l'ONU avait aussi levé les sanctions contre Ahmad al-Chareh, à l'initiative des Etats-Unis.

Israël 

Dès sa prise de pouvoir, le dirigeant syrien a rompu avec son passé, multipliant les ouvertures vers l'Occident et les Etats de la région, dont Israël avec lequel son pays est théoriquement en guerre.

Il a toutefois aussi promis de "redéfinir" la relation de son pays avec la Russie de Vladimir Poutine, allié-clé de Bachar al-Assad, qu'il a rencontré à Moscou il y a moins d'un mois.

"Trump amène Chareh à la Maison Blanche pour dire qu'il n'est plus un terroriste (...) mais un dirigeant pragmatique et, surtout, flexible qui, sous la direction américaine et saoudienne, fera de la Syrie un pilier régional stratégique", explique Nick Heras.

Les présidents américain et syrien devraient également évoquer les négociations entamées par les autorités syriennes avec Israël pour un accord de sécurité en vertu duquel l'Etat hébreu se retirerait des zones du sud du pays occupées après la chute de Bachar al-Assad.

En mai, Donald Trump avait pressé son homologue syrien de rejoindre les accords d'Abraham, qui ont vu plusieurs pays arabes reconnaître Israël en 2020.