À moins d'un mois, l’élection présidentielle américaine de 2020 marque déjà l'histoire. Elle se déroule durant une pandémie, avec un président touché par le virus et la mort d'une juge de la Cour suprême dans les dernières semaines, sans évoquer les bizarreries des deux candidats. Le monde regarde, perplexe et nerveux. Peu importe où l'on se situe sur l'ampleur du déclin des États-Unis, il est crucial de choisir la bonne personne pour s’asseoir derrière le « Resolute desk » à la Maison Blanche et contrôler les affaires du Sénat. La manière dont les États-Unis gèrent leurs relations internationales nous concerne tous.
Les affaires étrangères ont cependant été étrangères à cette campagne électorale. Le premier et, probablement, le seul débat présidentiel ne s’est pas fourvoyé dans la scène internationale, ce qui est quelque peu inquiétant sachant que le président américain possède de tels pouvoirs dans ce domaine. Pour les électeurs, le coronavirus, l’économie, l’ordre public et le racisme sont des questions plus urgentes. Bien que les Accords d’Abraham soient importants, les électeurs au Wisconsin et à Michigan ne prendront pas le Moyen-Orient en compte lorsqu’ils voteront.
Qu’est-ce qui est en jeu en termes d’affaires étrangères ? Il est difficile de dire à bien des égards.
Les évènements internationaux sont actuellement chaotiques et fluides, donc l’approche et la manière de gouverner pourraient être des éléments clés. Au début de son mandat, Trump menaçait la Corée du Nord, au bord de la guerre ; plus récemment, il s’est vanté de ses « lettres d’amour » échangées avec Kim Jong Un. Ce qui n’a pas changé est son approche transactionnelle « L’Amérique d’abord » et sa position anti-immigration radicale. Il a pris des décisions importantes — comme que le raid américain qui a tué Qassem Soleimani en janvier — sans vraiment consulter ses partenaires tels que le Royaume-Uni ou la France. Il a un mépris limite pour les institutions multilatérales, de l'ONU à l'OTAN et à l'UE. Et, contrairement aux républicains, il est anti-mondialiste et s’oppose au libre-échange.
L’ancien vice-président Joe Biden est loin d’être un débutant dans les affaires étrangères. En effet, il était président de Comité des affaires étrangères du Sénat. Les critiques soulignent que, à la différence de Trump, il était en faveur de la désastreuse guerre d’Irak en 2003, mais il avait mis en garde : « Ce serait tragique d’éliminer un tyran en Irak seulement pour laisser place au chaos ». Apparemment, Biden n’était pas persuadé que les États-Unis étaient prêts pour le raid Navy Seal qui a tué Oussama Ben Laden au Pakistan en 2011. Par ailleurs, il semble que Trump n'a pas hésité à éliminer des personnalités clés de la direction de Daech, y compris Abou Bakr Al-Baghdadi.
Le candidat démocrate s’est engagé à révoquer certaines des lois essentielles de Trump le premier jour, s'il est élu. Biden mettra fin à l'interdiction de voyager qui vise les personnes originaires de pays à majorité musulmane, ce qui est certainement une initiative positive. Il rejoindra l'Accord de Paris sur le climat, également au premier jour — un énorme changement par rapport à Trump, négationniste du changement climatique. Trump a ignoré de nombreux conflits dans lesquels il ne pensait pas que les États-Unis avaient un intérêt direct. Biden ne le fera pas.
Les deux candidats sont également en désaccord en ce qui concerne le désarmement et le nucléaire. Trump prend des mesures sévères contre l’Iran mais se montre désormais plus clément avec la Corée du Nord ; Biden, quant à lui, adopte une position opposée. Trump s’est retiré de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien et s’engage aujourd’hui à maintenir sa politique de pression maximale et à empêcher l’Iran de posséder une arme nucléaire. Ce qui n’est pas clair, c'est jusqu'où ce président opposé à la guerre est prêt à aller pour empêcher cela, alors que l'Iran avance vers cet objectif. Biden reprendra les pourparlers avec Téhéran, en particulier au cours de ses six premiers mois, durant lesquels Hassan Rouhani sera toujours président, sachant que c’est un dur à cuire qui devrait lui succéder l'année prochaine. Cela pourrait être une occasion exceptionnelle pour Biden alors qu'il tente de raviver l'accord de 2015, tout en visant à limiter l'ingérence iranienne dans la région.
Trump n'est pas fan des traités de contrôle des armements, voyant largement d'autres pays — notamment la Chine et la Russie — les exploiter. Biden, à l'inverse, poursuivra une extension du nouveau traité START qui limite le nombre d'ogives nucléaires américaines et russes. Ce traité expirera en février 2021 et la Russie affirme qu'elle est prête à le prolonger.
Les deux candidats ont des opinions totalement opposées dans ces domaines-là, mais il existe quelques points communs entre eux. Trump et Biden sont tous deux hostiles aux aventures militaires à l'étranger. Tous deux veulent sortir des «guerres éternelles» dans lesquelles les États-Unis se sont enlisés, comme en Afghanistan. Biden a parlé de ne garder que 1 500 à 2 000 soldats au Moyen-Orient et en Afghanistan, un objectif qui serait probablement peu susceptible de se réaliser, et Trump a dû combattre ses hauts gradés pour obtenir des réductions.
Les évènements internationaux sont actuellement chaotiques et fluides, donc l’approche et la manière de gouverner pourraient être des éléments clés.
Tous deux sont pleinement déterminés à maintenir la sécurité d’Israël. Trump a fait plus que ses prédécesseurs dans ce domaine, notamment en transférant l’ambassade américaine à Jérusalem et en ne s’opposant pas aux colonies, mais l’historique de Biden montre qu’il est loin d’être un critique d’Israël. Cependant, il s'est engagé à essayer de reprendre contact avec les dirigeants palestiniens et potentiellement de restaurer le financement américain. Les deux candidats sont également pro-sanctions, Trump plus que Biden, mais celles-ci feront toujours partie de la politique étrangère américaine, quel que soit le gagnant le 3 novembre.
Une autre grande différence est que Trump n'a jamais manqué une occasion de réduire l’aide à l'étranger, tandis que Biden la considérera comme un outil du soft power américain.
Une grande partie de ce qui précède est ce que Donald Rumsfeld aurait décrit comme des « connus connus ». Aucun des deux candidats n'est alourdi par un agenda d’affaires étrangères très détaillé. Dans de nombreuses crises, on se retrouve avec des conjectures éclairées. La Syrie — peut-être le plus grand échec de la politique étrangère de Barack Obama — n’est même pas mentionnée sur le site Web de Biden.
Est-ce qu’un second mandat poussera Trump à agir différemment ? Continuera-t-il à s’acharner à annuler tous les principes fondamentaux d’Obama ? Y a-t-il un accord important qu’il essaiera de façonner? Quant à Biden, sera-t-il juste une continuation de l'ère Obama ou a-t-il une doctrine Biden dans son sac ? Obama a beaucoup pivoté vers l'Asie, mais Biden poursuivra-t-il cela ?
Chris Doyle est directeur du Conseil pour la compréhension arabo-britannique (Caabu), basé à Londres. Twitter: @Doylech
NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com