Bien avant d’arriver à Washington, j’ai baigné dans le système politique américain, qui m’a rapidement fasciné. Dès la fin de mon parcours universitaire, j’ai participé à la campagne des Républicains pour les primaires de l’élection présidentielle de 1992 dans l’Etat pivot du New Hampshire. J’ai été mêlé à l’excitation de la campagne électorale: élaboration de stratégies électorales au beau milieu de la nuit, de plans médiatiques ou de contre-attaques d’autres adversaires politiques, porte-à-porte, lors desquels j’ai fait la connaissance des habitants du petit village dans lequel nous travaillions… Cette expérience m’a donné une véritable idée du fonctionnement de la politique américaine à une petite échelle.
Malgré tout ce que j’ai vu auparavant, la campagne pour les élections de 2020 ne ressemble à aucune autre: en raison de la pandémie de coronavirus, il n’y aura ni porte-à-porte massifs, ni discussions sur le terrain avec l’électorat, ni conventions du parti qui durent pendant une semaine, ni de meetings majeurs – l’exercice favori du président Donald Trump –où l’ambiance est sans pareille. L’expansion du virus a profondément modifié la forme traditionnelle des campagnes électorales, de même qu’il a bouleversé d’autres pratiques sociales. Dans un tel contexte, l’issue de la course présidentielle, qui s’annonçait déjà serrée, va être encore plus imprévisible.
Certaines tendances politiques se dessinent cependant clairement à moins de 100 jours du vote. Tout d’abord, Joe Biden, longtemps resté planqué dans son sous-sol du Delaware a repris du poil de la bête, et a pris une avance dans les sondages nationaux: selon le dernier en date de l’institut RealClearPolitics, Biden emporterait 51% des suffrages contre 41% pour Trump. Mais il faut bien rappeler que les Etats-Unis n’élisent pas leur président au nombre de voix des électeurs, mais par l’intermédiaire d’un collège de grands électeurs, désignés par les 50 Etats suite au vote citoyen.
Mais même en prenant en compte ce système, le président Trump a beaucoup de retard sur son concurrent. Selon la moyenne établie par RealClearPolitics la semaine dernière, Biden mènerait la course en tête, avec 352 grands électeurs (si les élections avaient lieu aujourd’hui) contre 186 pour Donald Trump. Dans les Etats-clés comme Wisconsin, la Floride et la Pennsylvanie, Joe Biden est largement en tête. De façon plus inquiétante, dans certains Etats traditionnellement acquis au Républicain – comme l’Ohio- Donald Trump est à la peine. Aucun candidat républicain à la présidence n’a jamais été élu sans avoir remporté cet Etat clé.
Joe Biden a marqué des points sur deux points très importants: il a fait une critique pertinente et réussie de la gestion erratique de la crise de Covid-19 par Trump et il a pris des positions en faveur du gigantesque mouvement civique déclenché par le meurtre de Georges Floyd, le plus grand mouvement qu’ait connu la génération actuelle.
Pour ce qui concerne la pandémie de Covid-19, Trump a payé son refus obstiné de prendre le virus au sérieux: un sondage du Washington Post daté du 20 juillet a révélé que seulement 39% des Américains approuvaient la gestion de la crise par Trump contre 60% qui la désapprouvaient. Le président a cependant opéré un revirement récemment, encourageant le port du masque et adoptant un ton plus grave, admettant que le virus continuait de faire rage dans le pays, plutôt que d’afficher un optimisme excessif et de déclarer que les Etats-Unis avaient déjà traversé le pire de la pandémie.
Si Donald Trump a eu une politique passive sur la Covid-19 et a pris les coups de Joe Biden sans riposter, il s’est en revanche pleinement engagé dans la controverse déclenchée par le meurtre de Georges Floyd. A l’image de Richard Nixon en 1968, Donald Trump s’est fait le défenseur de la stratégie de la « loi et de l’ordre », critiquant vivement le mouvement civique actuel, l’accusant de semer la violence et le chaos, et condamnant les demandes les plus manifestants les plus radicaux de « cesser de financer la police ». Sur cette question, il semble que Trump soit un terrain politique plus solide et stable. Un sondage effectué par ABC News le 12 juin a démontré que 64% des Américains étaient opposés à l’idée de cesser le financement de la police. Biden, sentant le danger que représentait des demandes aussi radicales, les a condamnées, tout en continuant par ailleurs à apporter son soutien au mouvement civique.
Trump, conscient que Joe Biden n’était pas tombé dans ce piège politique, tente d’attaquer Joe Biden sur un autre front différent: il accuse le candidat démocrate d’être trop faible pour contenir les tendances d’extrême-gauche de sa base. Alors que sa stratégie de maintien de l’ordre n’a pas encore porté ses fruits, il insiste pour lier le modéré Biden à ses partisans les plus à gauche, afin d’effrayer les électeurs indépendants modérés actuellement séduits par le candidat démocrate.
Malgré ces données, la campagne n’est pas jouée. Même si elle est déjà bien avancée, quelques discours politiques majeurs peuvent encore inverser la tendance. L’économie pourrait commencer à reprendre des couleurs, et le mouvement civique pourrait dégénérer en violences, justifiant la stratégie de maintien de l’ordre de Trump. La pandémie pourrait aussi se tasser aux Etats-Unis. Et n’oublions pas que Joe Biden n’est pas à l’abri de commettre des erreurs majeures lors des trois prochains débats présidentiels qui vont l’opposer à Donald Trump. Il est tristement surnommé la « machine à gaffes », une réputation qui lui colle à la peau. En d’autres termes, tout peut encore changer. Oui, Trump est à terre, mais il n’est pas encore éliminé de la course présidentielle de 2020.
Dr. John C. Hulsman est président et associé directeur de John C. Hulsman Enterprises, une importante société de conseil en risque politique mondial. Il est également chroniqueur principal pour City AM, le journal de la ville de Londres. Il peut être contacté via chartwellspeakers.com
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Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com