Après avoir été reporté à plusieurs reprises en raison de la pandémie de Covid-19, le sommet Union européenne (UE)-Union africaine (UA) réunira enfin cette semaine à Bruxelles les chefs d’État et de gouvernement européens et africains pour la première fois depuis 2017. L’UE ambitionne de devenir le partenaire de choix de l’Afrique, un objectif fixé par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors de notre première visite au siège de l’Union africaine à Addis-Abeba il y a deux ans.
Que faudra-t-il pour atteindre cet objectif ambitieux? Premièrement, nous devons aborder le partenariat UE-UA avec beaucoup d’humilité. L’Afrique est un continent aussi vaste que les États-Unis, le Mexique, la Chine, le Japon, l’Inde et une grande partie de l’Europe réunis. Avec 54 pays, quelque 2 000 langues, ainsi qu’un large éventail de possibilités et de problèmes, le continent ne peut être traité comme une entité homogène.
Deuxièmement, nous devons être réalistes. Entre afro-pessimisme et afro-optimisme, je prône l’afro-réalisme. Avant de parler de croissance économique et de relations commerciales, l’Europe doit montrer qu’elle peut contribuer à la paix, à la sécurité et à la bonne gouvernance dans les pays africains. Avant de parler de dividende démographique, il faut aussi reconnaître l’ampleur des difficultés qu’une croissance démographique incontrôlée pourrait engendrer dans les sociétés. D’ici à 2030, trente millions de jeunes entreront chaque année sur le marché du travail africain. Pour leur donner accès à des emplois durables, l’éducation de base doit être une priorité absolue.
De plus, en soutenant la transition mondiale vers l’énergie verte et le développement durable, nous devons garantir l’accès aux services de base dans un continent où près de la moitié de la population n’a pas d’électricité, et où l’accès à l’eau et à la nourriture est un combat quotidien. Et tout en aidant les pays africains à développer leur future capacité de production de vaccins, nous devons également contribuer à accélérer la vaccination dès maintenant. Plus de 90% de la population du continent n’est toujours pas vaccinée contre la Covid-19.
En abordant ces questions, nous – Européens – ne devons pas commettre l’erreur de croire que nous pouvons imposer un programme à l’Afrique. Nous ne devons pas non plus faire fi des réalités immédiates et des contraintes à court terme auxquelles font face la grande majorité des Africains. Cela est particulièrement vrai maintenant que la pandémie de Covid-19 a aggravé les fragilités du continent. Au Sahel, l’insécurité et l’instabilité politique prennent une ampleur considérable. La Corne de l’Afrique, où l’on a assisté il y a deux ans à peine à des transitions démocratiques prometteuses, est aujourd’hui profondément déstabilisée. De plus, plusieurs pays africains sont de nouveau entrés dans une spirale d’endettement.
La pandémie a également poussé la concurrence géopolitique en Afrique au-delà des possibilités d’investissement et d’affaires pour inclure des valeurs et des modèles de gouvernance. Nous nous retrouvons confrontés à d’autres acteurs mondiaux dont les méthodes et les ordres du jour sont très différents des nôtres. Beaucoup d’entre eux n’hésiteront pas à avoir recours à des campagnes de désinformation et à d’autres formes de guerre hybride pour saper l’influence européenne.
Malgré ces difficultés, nous avons toujours des raisons impérieuses de vouloir faire de l’Europe le partenaire de choix de l’Afrique. Tout d’abord, les problèmes de l’Afrique sont également les nôtres. Le terrorisme et l’insécurité ne connaissent pas de frontières. Le Sahel n’est pas aussi éloigné de l’Europe qu’il en a l’air et l’instabilité dans la Corne de l’Afrique menace l’une des routes commerciales les plus importantes du monde. Ensuite, il y a le changement climatique, qui entraînera inévitablement de nouvelles vagues de migration puisqu’il détruit les moyens de subsistance des gens et rend leurs communautés inhabitables.
Notre objectif est également motivé par la richesse des possibilités à travers le continent. Les économies et les sociétés africaines sont jeunes et dynamiques. Les sociétés européennes vieillissantes devront tôt ou tard compter sur elles. Le continent dispose également d’une abondance de matières premières et d’un immense potentiel pour déployer des technologies d’énergie renouvelable et aider à leur production.
Enfin, il faudrait raisonner d’un point de vue géopolitique. Avec une population qui devrait atteindre 2,5 milliards d’individus d’ici à 2050, l’Afrique est une force mondiale émergente. Un partenariat plus étroit permettrait à l’Europe et à l’Afrique d’exercer ensemble une bien plus grande influence sur la scène mondiale, donnant ainsi un coup de pouce au modèle de multilatéralisme que les deux partenaires soutiennent.
«Un partenariat plus étroit permettrait à l’Europe et à l’Afrique d’exercer ensemble une bien plus grande influence sur la scène mondiale» - Josep Borrell
Pour y parvenir, nous aurons besoin d’un programme positif basé sur des priorités communes. Sans éluder les difficultés, nous devons nous concentrer sur l’obtention de résultats concrets et rapides. L’Afrique n’a pas besoin de charité ou de prouesses médiatiques. Elle a besoin de coopération et de partenariats qui peuvent réellement être bénéfiques pour son peuple.
Pour cela, l’UE devra combiner les forces de ses États membres, institutions financières, banques de développement et organismes. La pandémie a concrétisé l’approche «Team Europe» et cette façon de travailler doit devenir une habitude pour éviter une stratégie fragmentée et tous les problèmes qui vont avec.
En Afrique, comme ailleurs, l’UE n’a de poids que lorsque ses différentes composantes travaillent ensemble. Cela ne concerne pas uniquement les institutions et les gouvernements de l’UE. La société civile et le secteur privé doivent également être plus adaptés à la dynamique sur le terrain.
L’avenir de l’Europe sera façonné, en grande partie, par celui de l’Afrique. Là-bas comme ailleurs, il faudrait également mieux défendre le projet européen en démontrant que la valeur ajoutée de l’UE dépasse celle des autres puissances mondiales. Le sommet de cette semaine doit être le point de départ de la mise en place d’un nouveau partenariat intercontinental.
Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, est vice-président pour une Europe plus forte sur la scène internationale. Droits d’auteur: Project Syndicate.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com