Le 17 juillet, près d’un an après la signature de l’accord à Istanbul, la Russie a décidé de ne pas renouveler l’Initiative céréalière de la mer Noire, qui permettait à l’Ukraine d’exporter des produits agricoles vers les marchés mondiaux. Comme le souligne le secrétaire général de l’ONU, cette initiative était «une lueur d’espoir dans un monde qui en a désespérément besoin».
Avant la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine – un fournisseur alimentaire mondial essentiel –, un cinquième de l’orge mondiale provenait d’Ukraine, ainsi qu’un sixième de son maïs et un huitième de son blé. Après que la Russie a envahi l’Ukraine, attaquant les champs de céréales et les silos et bloquant les ports ukrainiens, les prix mondiaux des denrées alimentaires ont atteint des niveaux record et ils ont mis en danger l’approvisionnement alimentaire indispensable de nombreux pays importateurs. L’initiative céréalière visait à rétablir une voie vitale pour les exportations agricoles de l’Ukraine et à faire baisser les prix mondiaux des denrées alimentaires.
Malgré de nombreux défis, l’initiative a atteint son objectif principal. L’exportation de près de 33 millions de tonnes de céréales et de denrées alimentaires de l’Ukraine vers 45 pays différents a joué un rôle déterminant dans la réduction des prix alimentaires mondiaux d’environ 25% par rapport au niveau record atteint peu après l’attaque de la Russie. Comme le montrent les données commerciales publiques, plus de la moitié des céréales – dont les deux tiers du blé – sont revenues aux pays en développement.
En outre, l’initiative a garanti un accès continu aux céréales pour le Programme alimentaire mondial. En 2023, l’Ukraine a fourni 80% du blé acheté pour soutenir les opérations humanitaires dans les pays les plus touchés par l’insécurité alimentaire, comme l’Afghanistan, Djibouti, l’Éthiopie, le Kenya, la Somalie, le Soudan et le Yémen. Sans la route de la mer Noire, le Programme alimentaire mondial devra acheminer ses céréales ailleurs, à des prix plus élevés et avec des délais plus longs, alors que le monde fait face à une crise alimentaire sans précédent.
Contrairement aux mensonges répandus par la Russie, l’UE a en effet garanti que nos sanctions n’auraient aucune incidence sur la sécurité alimentaire mondiale.
Josep Borrell
La décision de la Russie a été prise malgré les propositions renouvelées du secrétaire général de l’ONU pour répondre à ses préoccupations. Afin de se dédouaner, la Russie prétend que ses propres exportations agricoles n’ont pas été suffisamment facilitées. Cela n’est pas confirmé par les données commerciales accessibles au public, qui montrent que les exportations agricoles russes sont florissantes. Moscou a également tiré d’importants avantages de son protocole d’accord avec l’ONU sur les exportations d’engrais, négocié parallèlement à l’accord sur les céréales. L’ONU a travaillé sans relâche pour clarifier les cadres réglementaires et s’engager auprès du secteur privé pour trouver des solutions dédiées dans les secteurs de la banque et de l’assurance. Ces efforts ont été menés en étroite collaboration avec l’Union européenne (UE) et ses partenaires.
Contrairement aux mensonges répandus par la Russie, l’UE a en effet garanti que nos sanctions n’auraient aucune incidence sur la sécurité alimentaire mondiale. Il n’y a pas de sanctions sur les exportations russes de denrées alimentaires et d’engrais vers des pays tiers et l’UE a fourni des orientations détaillées aux opérateurs économiques, précisant que ces transferts vers des pays tiers sont autorisés. Nous avons également travaillé avec l’ONU pour autoriser les paiements correspondants.
Malgré ces faits bien connus et vérifiables, la Russie a décidé de se retirer de l’initiative céréalière, utilisant la nourriture comme une arme et mettant en danger l’approvisionnement alimentaire mondial. Quelques heures après son retrait, la Russie a également commencé à détruire les installations de stockage de céréales et les infrastructures portuaires de l’Ukraine au moyen d’attaques ciblées sur une base quotidienne, non seulement dans la mer Noire elle-même, mais aussi sur le Danube. En réaction immédiate, les prix de gros du blé et du maïs ont connu leur plus forte hausse depuis le début de la guerre d’agression russe. La volatilité accrue des prix des denrées alimentaires devrait persister tant que la Russie mettra délibérément l’approvisionnement alimentaire mondial sous tension, aggravant la crise mondiale du coût de la vie, plus particulièrement pour les personnes qui souffrent d’insécurité alimentaire dans les pays qui dépendent des importations. Cela est inacceptable et doit être fermement condamné.
La Russie se rapproche désormais des pays vulnérables en leur proposant des offres bilatérales d’expéditions limitées de céréales, prétendant résoudre un problème qu’elle a elle-même créé.
Josep Borrell
Alors que le monde fait face à des approvisionnements perturbés et à des prix plus élevés, la Russie se rapproche désormais des pays vulnérables, notamment en Afrique, avec des offres bilatérales d’expéditions limitées de céréales, prétendant résoudre un problème qu’elle a elle-même créé. Il s’agit d’une politique cynique qui consiste à utiliser délibérément la nourriture comme arme.
En réponse aux actions irresponsables de la Russie, l’UE agit selon trois axes principaux. Premièrement, nous continuerons à soutenir les efforts inlassables de l’ONU et de la Turquie pour relancer l’Initiative céréalière de la mer Noire. Deuxièmement, nous continuons à renforcer nos «voies de solidarité» en tant que voies de rechange, ce qui permettra ainsi aux exportations agricoles ukrainiennes d’atteindre les marchés mondiaux via l’UE. Ces voies ont favorisé l’exportation de plus de 41 millions de tonnes de produits agricoles ukrainiens jusqu’à présent et nous augmentons ce chiffre autant que possible pour atténuer les conséquences de la résiliation par la Russie de l’accord sur les céréales. Troisièmement, nous avons augmenté notre soutien financier aux personnes et aux pays les plus démunis en fournissant 18 milliards d’euros pour garantir la sécurité alimentaire jusqu’en 2024.
Nous appelons la communauté internationale et tous les pays à intensifier leurs efforts en faveur de la sécurité alimentaire mondiale. Nous demandons à tous nos partenaires d’exhorter la Russie à reprendre les négociations, comme l’Union africaine l’a déjà fait, et à s’abstenir de prendre pour cible les infrastructures agricoles de l’Ukraine. Unissons nos voix pour inciter la Russie à reprendre sa participation à l’Initiative céréalière de la mer Noire. Le monde a un intérêt commun dans la gestion responsable de la sécurité alimentaire mondiale. Nous le devons aux personnes les plus nécessiteuses.
Josep Borrell est le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et vice-président de la Commission européenne.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com